Les développeurs des Sims savent très bien que vous adorez torturer et massacrer les personnages qu’ils ont créés. Et ça les fait marrer.
Azure Bowie est une productrice associée qui a notamment travaillé sur le personnage de la Faucheuse dans le jeu et qui connaît donc bien tout ce qui touche à la mortalité des Sims. Elle m’a raconté que, parfois, les développeurs étaient même franchement impressionnés par la créativité de certains joueurs lorsqu’il s’agit de faire de la vie de leurs Sims un enfer.
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Elle m’a notamment donné l’exemple d’un joueur qui avait créé un immense labyrinthe, au beau milieu duquel était simplement installé un lit. Chaque matin, le Sim qui vivait là se réveillait et partait au travail. Mais le labyrinthe était fait de telle manière que, le temps qu’il en trouve la sortie, la journée était terminée et il ne lui restait plus qu’à repartir en sens inverse pour aller se recoucher. Toute sa vie se résumait donc à parcourir inlassablement le labyrinthe dans un sens, puis dans l’autre.
« Et le pire, c’est que pendant ce temps-là, le Sim s’évanouit régulièrement, se fait dessus, c’est terrible, et sa situation ne fait qu’empirer puisque tout ce qu’il fait c’est marcher, sans jamais s’arrêter, raconte-t-elle. Quand j’ai vu ça, j’étais sciée. Ce mec avait manifestement passé beaucoup de temps sur son projet insensé. »
Ce genre d’histoires, qu’on pourrait appeler le “côté obscur” des Sims, circulent depuis que la toute première mouture du jeu est sortie en 2000. Il est rapidement devenu l’un des jeux PC les plus vendus de tous les temps, tant il plaît à un large public. Contrairement à la plupart des jeux, il s’adresse à toutes les catégories d’âge, et ne vise pas quasi-exclusivement les hommes. Mais malgré cet aspect très familial, les concepteurs du jeu ne se sont jamais inquiété de voir les joueurs brûler vivants leurs personnages ou les laisser se noyer dans des piscines sans échelle.
L’un des plus beaux exemples de ce comportement dépravé se trouve dans ce thread Reddit, où des joueurs partagent leurs secrets les plus inavouables, et donc peuplé d’histoires de Sims enterrés vivants, d’orphelinats incendiés, et même de coucheries avec des Sims plus âgés pour les faire mourir de fatigue. Selon Azure Bowie, les développeurs passent leur temps à se partager ce genre d’histoires en interne. Non seulement c’est drôle, mais c’est aussi une part essentielle du jeu.
La mort et les joueurs sadiques jouent deux rôles capitaux dans Les Sims, m’explique Bowie. Le premier, c’est qu’avoir des joueurs cruels rend la simulation meilleure pour tout le monde. En gros, il y a trois types de joueurs. D’abord, il y a les bâtisseurs, qui aiment construire des maisons et les décorer pendant des heures. Il y a ensuite les conteurs (comme Bowie), ceux qui aiment jouer comme si leurs Sims étaient les personnages d’une série ou d’un film (Les Sims 3 a même introduit une fonction de montage vidéo et de partage pour ces joueurs-là).
Et enfin, il y a les expérimentateurs, ceux qui aiment tester les limites du jeu et voir tout ce qu’il est possible de faire. Ce sont eux qui construisent des labyrinthes infernaux, et eux aussi qui ont découvert qu’il était possible de noyer un Sim en construisant une piscine, en le laissant s’y plonger, et en retirant immédiatement l’échelle. Cette méthode d’assassinat était tellement absurde que l’équipe des développeurs a finalement décidé d’y mettre un terme. Désormais, les Sims peuvent sortir de la piscine même s’il n’y a pas d’échelle. Par contre, vous pouvez toujours bâtir un mur autour de la piscine, si vous tenez absolument à les noyer.
Mais sans les joueurs les plus sadiques, les développeurs ne se seraient jamais aperçus de ce bug évident. C’est pour ça qu’ils ont besoin que des joueurs poussent le jeu dans ses derniers retranchements, pour voir à quel moment il cesse d’être cohérent. Par exemple, la facilité avec laquelle les joueurs ont découvert qu’il était possible de mettre le feu à sa maison simplement en cuisinant a fait prendre conscience aux développeurs qu’il fallait que l’on puisse installer des détecteurs de fumée et des extincteurs automatiques dans sa maison virtuelle.
Les développeurs veulent que des incendies puissent se produire dans le jeu, afin de le rendre plus réaliste, mais ils veulent aussi que les joueurs qui tiennent à leurs Sims soient capables de les protéger. Tous les joueurs ne veulent pas explorer les parties les plus sombres du jeu, mais leur existence le rend plus intéressant.
Ce qui nous amène à la seconde raison, plus philosophique, pour laquelle les Sims doivent mourir : ça donne du sens à leur vie.
Dès le premier jeu, les Sims pouvaient mourir dans des accidents. Mais c’est dans Les Sims 2 que le vieillissement est apparu, même si les joueurs peuvent le désactiver s’ils le souhaitent. Au lieu de simplement créer une famille et de jouer avec, les joueurs pouvaient ainsi s’occuper de plusieurs générations successives.
Pour Azure Bowie, cela a totalement transformé le jeu et son expérience d’utilisatrice, avant même qu’elle ne rejoigne l’équipe. Elle jouait avec une famille, et l’un de ses Sims peignait le portrait de chaque nouveau membre qui apparaissait. Au fil des années, les portraits des différentes générations de sa famille de départ ont fini par peupler les murs de l’immense hall qu’elle avait bâti dans leur maison.
« Avant, je jouais en désactivant le vieillissement, et tous les jours mes Sims faisaient un peu la même chose, et ils finissaient par avoir une énorme maison. Mais ça n’avait pas grand intérêt. Désormais, j’active toujours le vieillissement, parce que ce qui rend spécial chaque moment que mes Sims passent ensemble, c’est qu’ils ne seront pas toujours là. »