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​Les stars du guidon de Ouagadougou

Un large sourire goguenard ne quitte plus le visage de l’adolescent. Sacoche d’écolier en cuir marron, petit béret rouge vissé sur la tête, le jeune homme fringuant file à toute vitesse la tête collée au guidon de sa « moto »*. En ce dimanche de fin novembre, sur une des longues lignes droites qui traverse la « ZAD » de Ouagadougou, zone d’activité située au sud de la ville, tous les regards sont braqués sur lui. Sur le bas côté, chacun de ses passages suscite les applaudissements nourris d’une centaine de personnes. « Wheeling », « stoppie » et autres numéros d’équilibristes, il décline toutes les figures de son répertoire. Une fois le récital terminé, il commence à dessiner d’amples virages, frôlant le plus possible le goudron avec ses genoux. Aujourd’hui, il le sait, le roi c’est lui.

Comme lui, ils sont nombreux à venir, chaque dimanche, faire vrombir leur moteur et imposer leur style dans cette zone inhabitée qui se transforme en vaste terrain de stunt. Initialement prévu pour accueillir des bureaux, l’endroit fournit aux motards dominicaux un bien précieux : deux longs axes récemment goudronnés, où la circulation est quasi nulle. « A Ouaga, c’est rare, confie Khaled Tiendrebeogo, un habitué des lieux. Une route sert à faire la course et l’autre des figures ». C’est d’ailleurs surtout autour de cette dernière que vient se masser le public une heure avant le coucher du soleil, à 17 heures. L’horaire habituelle du début des hostilités.

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Pour expliquer cet entassement des aficionados des deux roues, sur les bas-côtés de la ZAD, il suffit de jeter un coup d’oeil aux avenues ouagalaises. Dans la capitale burkinabée, la moto est de loin le moyen de transport numéro 1. En 2013, selon la Direction générale des transports terrestres et maritimes (DGTTTM), Ouagadougou comptait 495 193 deux roues. Un chiffre quatre fois supérieur au nombre de voitures, dans une ville qui compte près d’1,6 million d’habitants. « Chaque jour, on immatricule en moyenne 250 motos », indique Maliki Sawadogo, directeur des statistiques à la DGTTM. Forcément, cela suscite des vocations chez certains.

« Ici, à 10 ans, tu sais déjà conduire une moto », affirme Mohammed Ouedraogo. Assis sur la selle de son scooter, l’ado de 15 ans regarde passer ses comparses, hochant la tête à chaque figure. Il en maîtrise quelques-unes mais n’ose pas encore se lancer dans l’arène. « Le dimanche, c’est réservé aux meilleurs. Je suis encore un débutant. Je viens plutôt le jeudi soir pour m’entraîner, quand il n’y a pas grand monde. » Ce jour-là, ils sont une petite quinzaine à faire des allers-retours sur la piste. Tous semblent galvanisés par les photos prises à l’arrache au portable et les hurlements enthousiastes de la foule. « C’est pour ça que les gens viennent, ils ont envie d’être impressionnés. » assure Kamso Pafanam dit « Le Commerçant » parce qu’il « vend des trucs ». Selon ses dires, à la ZAD, il est le « champion » du stoppie, figure qui consiste à avancer en équilibre sur la roue avant. Pour preuve, une vidéo enregistrée sur son téléphone, où il réalise cette figure sur plus d’une dizaine de mètres. « Il y a beaucoup de concurrence entre nous. A chaque fois, il faut montrer que tu es le meilleur. »

Mais Kamso n’aura pas le temps de montrer tout son savoir-faire. À peine s’élance-t-il sur le goudron qu’on entend crier deux syllabes bien distinctes : « PO-LICE ! ». Pendant l’espace d’une demie seconde, les corps se figent. Avant que la foule n’explose. Simultanément, des centaines de personnes enfourchent leur moto, leur vélo ou se mettent à courir avant de se disperser aux quatre coins de la ZAD. Mais une fois la menace dissipée, le cortège de motos revient au compte-gouttes. « C’était une fausse alerte, commente Fadel Sawadogo. Il y a toujours des mecs qui trouvent ça drôle de faire flipper tout le monde ». Malgré tout, chaque alerte est prise au sérieux, la venue de la police n’étant pas prise à la légère. « Ils arrêtent des gens et confisquent les motos », soupire Mohammed Ouedraogo.

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En plus de leur caractère spontané et anarchique, ces rassemblements donnent souvent lieu à des chutes, plus ou moins graves. Téléphone portable à la main, Aziz Kaboré filme les exploits des motards du dimanche. S’il se rend à la ZAD dès qu’il en a l’occasion, le jeune homme de 16 ans n’est pas vraiment tenté par l’expérience. « C’est beaucoup trop dangereux. À chaque fois que je viens, il y a au moins une chute. Parfois il y a même des morts », croit savoir le garçon. Un des motards, plus âgé acquiesce : « Ici, presque personne ne porte de casque ou de protections, explique-t-il, lui-même en short, tongs et débardeur. Le problème est que souvent les plus jeunes essaient de faire comme nous ».

Vers 18 heures, le jour finit par se coucher sur la ZAD. Mais la foule ne désemplit pas pour autant. « Parfois, si les flics ne viennent pas nous interrompre, on reste jusqu’à 23 heures », indique Mohammed Ouedraogo. Immuable sur la roue avant de sa moto, « Le Commerçant » continue de perfectionner sa technique. Pour lui, ni la police, ni les chutes, ou la nuit, ne l’arrêteront. « De toute façon, la peur fait partie du divertissement, s’amuse-t-il. La seule chose qui compte vraiment, c’est de faire vibrer les gens et de se faire plaisir ».

À la ZAD, avec un peu d’abnégation, il est facile d’obtenir une petite notoriété pour les fous du deux roues. Certains acquiert même le statut de légende. L’un d’eux, dénommé « Bouzi », fait partie de ceux-là. « Tout le monde connaît son nom. Même ceux qui ne sont jamais venus à la ZAD, affirme Aziz Kaboré. C’est le meilleur. Il est capable de traverser toute la ZAD sur la roue arrière ». Mais aujourd’hui, « Bouzi » n’est pas là. Et selon l’adolescent, l’homme se ferait de plus en plus rare. « Ca fait assez longtemps qu’on ne l’a pas vu. A ce qu’on dit, il s’est mis au moto-cross. »

*nom donné aux scooters à vitesses

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