Culture

Vous l’aviez peut-être oublié, mais LinkedIn est une fenêtre ouverte sur l’Enfer

Qui parmi vous a déjà trouvé du travail grâce à LinkedIn ? Personne, ou presque. Rassurez-vous, c’est tout à fait normal. Tout d’abord, le fait de peaufiner consciencieusement son profil ne signifie pas « chercher du travail » à proprement parler. Ce serait comme affirmer que vous cherchez activement du boulot parce que vous avez pris soin de vous laver les dents ce matin. Ensuite, ce réseau social vous plonge dans un monde peuplé de 106 millions de personnes qui produisent exactement la même chose que vous : du contenu à moindre coût. 

Les réseaux sociaux sont pour moi un loisir, un outil que j’aime utiliser lorsque je me rends aux toilettes d’un bar. Je vais sur Facebook pour faire défiler des photos et des statuts absurdes, je consulte Instagram pour savoir de quoi se sustentent mes collègues et traîne sur Twitter pour perdre toute foi en l’humanité. Mais chaque connexion sur LinkedIn me donne envie de passer sous un bus de ramassage scolaire. Si le réseau social promet à tous de « trouver un travail », il est surtout une vitrine sur ce qui se fait de pire chez l’Homme : travail, argent et productivité. LinkedIn est un vivarium où DRH, directeurs commerciaux et Happiness managers forniqueront jusqu’à donner naissance à une nouvelle société faite de pots de départs et d’entretiens collectifs.

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Photo via l'utilisateur Linkedin JK Baseer.

Photo via l’utilisateur LinkedIn JK Baseer.

Dès la page d’identification, on se retrouve en plein musée des horreurs. On y trouve une mosaïque géante de cadres supérieurs censé représenter la population mondiale, alors qu’ils s’appellent probablement tous Donovan et possèdent une résidence secondaire dans l’Illinois. Leur visage, crispé par un sourire obséquieux, laisse penser que ces gens sont sans doute drogués – ou pire, qu’ils ne sont pas humains. Cette mosaïque donne l’impression d’être tombé sur un mauvais site de photos libres de droit après avoir tapé le mot-clé « ambition ». Imaginez un instant un monde fait uniquement d’utilisateurs LinkedIn comme ceux-là : des milliards de banquiers Celio arpentant les rues, telle une armée dont un simple regard assassin vous transformerait en photocopieuse Xerox. Si cette image vous terrifie, sachez que c’est potentiellement le type de personnes qui décideront ou non de vous gratifier d’une augmentation de 0,2 % par an. Mais comme le dit très bien le site, « lancez-vous, c’est gratuit ». Je suis d’ailleurs le premier abruti à l’avoir fait.

Les utilisateurs Linkedin se divisent en plusieurs catégories. Il y a ceux qui n’en n’ont globalement rien à foutre et qui se sont contentés d’ajouter leur lycée et trois personnes au hasard. Viennent ensuite les entrepreneurs, les pires de tous. Ils font de ce réseau social un vaste champ de mines, où les mines seraient remplacées par du contenu de propagande entrepreneuriale. Sur LinkedIn, les entrepreneurs transforment chaque information en concepts digestes. Il suffit de scroller pendant plusieurs secondes pour tomber sur des montages Photoshop d’entrepreneurs en plein boulot, assis sur un pouf et pianotant sur leur MacBook Air, accompagnés d’une mention philosophique de type : « Nous sommes en train de vivre le siècle le plus intense de notre l’histoire, où tout va 10 fois plus vite qu’avant » – ou encore : « Un bon brand content, c’est comme la drague. Faut pas être trop cash dès les premières minutes. » Bien sûr, chacune de ces interventions est noyée par de multiples hashtags qui semblent dépourvus de sens.

Certes, LinkedIn est une sorte d’Instagram pour entrepreneurs – et à ce titre, il est normal de ne pas en attendre grand-chose. Mais si l’autodérision est normalement répandue sur les réseaux sociaux, les utilisateurs Linkedin semblent quant à eux très sérieux, surtout quand ils citent calmement Mère Teresa entre deux séances de networking. C’est ce qui rend cette sphère particulièrement sinistre. 

Arrivent ensuite les personnes qui n’ont généralement pas trop d’autodérision : les cadres. Les pensées de ces personnes sont condensées au sein de milliers d’articles, tous tournés vers un seul et même objectif : vous rendre meilleur. Mais qu’y a-t-il de plus déprimant que de se connecter à un réseau social pour y voir des conseils sur sa productivité ? C’est comme si vos potes ne parlaient que de boulot au restaurant. LinkedIn agit ainsi comme un coach personnel qui vous bombarde d’études américaines douteuses sur la meilleure manière de manager, et les meilleures méthodes pour négocier votre salaire ou entuber vos subalternes. Tout le monde y va de son article sur les nouvelles méthodes de management « qui font fureur outre-Atlantique », illustré par l’image d’un homme en train de gravir une gigantesque montagne.

Photo via le compte Linkedin de l'auteur.

Photo via le compte LinkedIn de l’auteur.

En fait, LinkedIn est un lieu où tout dépend de vous et où le hasard n’a pas sa place. Comme dans un programme informatique, en somme. Si vous êtes une merde, c’est de votre faute. Si vous réussissez, c’est uniquement grâce à votre travail acharné. C’est la représentation parfaite de cette personne qui a un jour jugé bon de vous dire : « C’est ton choix d’être heureux, tout comme c’est ton choix de rester triste ». Tout y est expliqué de façon binaire. Là où les autres réseaux sociaux tentent de « connecter » les gens entre eux, LinkedIn semble plutôt éduquer les gens pour en faire des clones. 

À en croire les articles que Linkedin me propose, on se croirait presque dans un meeting du Medef, où les chômeurs ne sont que des blattes qu’il faut écraser et les travailleurs des esprits vides à remodeler. Surtout, à quel moment le site a pu croire que je m’intéressais au marketing stratégique ? Je ne sais même pas de quoi il s’agit. Plus que n’importe quel réseau social, LinkedIn regorge de choses que je ne comprends pas – comme des articles intitulés « Capitaliser les connaissances dans l’exploitation du social data ». Et je ne parle même pas des noms de jobs absurdes que je vois passer. Je me demande même si au fond, LinkedIn n’est pas une vaste blague que tout le monde ferait semblant d’avoir comprise. 

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