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Loutres géantes et crocodiles Motörhead : les meilleures illustrations de paléo-art de 2017

Certaines personnes pensent que la paléontologie n’a rien d’autre à nous offrir que du bon old des familles, par définition. En tant qu’artiste paléo, je sais que rien n’est moins faux : tous les jours, je gagne ma vie en dessinant des ptérosaures et autres créatures disparues.

Chaque année, des recherches et des découvertes inédites viennent bouleverser notre compréhension des formes de vie qui ont parcouru la Terre il y a plusieurs millions d’années. 2017 n’a pas fait exception à la règle. Plumes colorées de dinosaures carnassiers, découverte de tissus mous, loutres géantes, la récolte a été plutôt bonne. Au Royal Museum de Toronto, mon lieu de travail, j’utilise mes compétences en illustration pour transmettre la passion de la paléontologie au plus grand nombre par l’intermédiaire des fameuses “vues d’artiste” qui permettent de peupler notre imaginaire préhistorique.

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L’art apparaît de plus en plus volontiers comme un outil essentiel de la vulgarisation scientifique, ce qui me réjouit au plus haut point. Aujourd’hui, j’aimerais profiter de l’espace que m’accorde Motherboard pour faire connaître quelques unes des meilleures illustrations qui ont agrémenté des études de paléontologie publiées cette année.

Borealopelta markmitchelli par Julius Csotonyi

Image: Julius Csotonyi

Il y a quelques années, l’industrie faisait ses petites affaires du côté de la province Canadienne d’Alberta – à savoir, pulvériser des rochers pour extraire du pétrole des sables bitumeux – lorsqu’elle a participé malgré elle à un moment majeur de l’archéologie. Pendant ses travaux, l’entreprise Suncor est tombée sur les restes d’une espèce inconnue de nodosaure. Le spécimen était dans un état de préservation tel qu’il pourrait bien être le meilleur fossile de dinosaure jamais découvert.

Le dinosaure en question était un genre de tank – gros, lourd et protégé par une épaisse armure – décédé puis fossilisé il y a quelques 110 millions d’années. Aujourd’hui, nous avons récupéré sa partie antéro-postérieure dans un état de préservation quasi-parfait : les os, mais aussi les tissus mous comme la peau et la kératine qui recouvrait ses piques et même ses osselets.

Grâce à ces découvertes, le Borealopelta de Julius Csotonyi est probablement le dessin de nodosaure le plus précis de l’histoire. L’arrangement des écailles, la taille de chaque pique, les couleurs du corps : tout est un reflet de la réalité.

Luskhan itilensis par Andrey Atuchin

Image : Audrey Atuchin

Les reptiles marins – et notamment cette nouvelle espèce de pliosaure– sont étranges : ils parcouraient les océans il y a des millions d’années mais leur corps ressemble souvent à celui d’animaux qui peuplent la Terre en 2017. C’est la magie de l’évolution : quand des espèces différentes sont contraintes de s’adapter au même environnement, elles développent parfois des traits similaires. On appelle cela la convergence évolutive.

Ces pliosaures ont un corps parfaitement adapté à l’évolution en milieu liquide : leur corps est profilé, leurs nageoires larges et puissantes. Leur ressemblance avec les cétacés est frappante. Andrey Atuchin fait allusion à cette ressemblance dans sa représentation du Lushkan itilisensis, mais il ne la surjoue pas : avec force détails crédibles, il différencie clairement le pliosaure des animaux que nous connaissons. La familiarité est à la fois un outil et une tentation dangereuse dans l’art paléo. Pour moi, cette illustration a réussi à trouver le parfait équilibre entre le familier et l’étrange.

Siamogale melilutra par Mauricio Anton

Image : Mauricio Anton

Il m’a toujours été difficile de choisir une illustration préférée dans le portfolio de Mauricio Anton. Ceci dit, j’ai un vrai faible pour celle dans laquelle il représente les loutres de 45 kilos qui écumaient les mangroves du sud-ouest de la Chine il y a six millions d’années. Ces bêtes grosses comme des loups étaient dotées de mâchoires puissantes, un outil idéal pour briser des coquilles de mollusque toute la journée. Plot twist : les connaissances actuelles indiquent que les loutres aux mâchoires solides étaient peu douées pour utiliser des outils. En d’autres termes, ces animaux arrivaient sans doute mieux à ouvrir leur proies en les déchirant avec les dents qu’en les découpant proprement avec des accessoires. Tant pis, tant mieux.

Lemmysuchus obtusidens par Mark Witton

Image : Mark Witton

Je n’ai pas pu résister à cette illustration pour plusieurs raisons. Après leur découverte en Angleterre, les premiers fossiles de Lemmysuchus ont été placés sur une étagère de musée, puis oubliés. Des années plus tard, quelqu’un a remarqué que ces fragments de crocodilomorphe vieux de 164 millions d’années appartenaient à une espèce inédite. Une bête effrayante qu’il allait falloir baptiser.

En 2015, le monde a perdu l’un des plus grands pionniers de l’histoire de la musique : Lemmy Kilmister, le meneur de Motörhead. Comme notre crocodilomorphe, il était originaire d’Angleterre. Il n’en fallait pas plus pour que les chercheurs décident de donner son nom à l’animal.

Cette peinture est comme un rêve mi-paléo, mi-metal. L’atmosphère est sombre et menaçante, le paysage rongé par l’humidité. Sous les rayons lunaires, un monstre dévore sa proie. Pauvre petit poisson ; on pourrait dire qu’il a été “Killed by Death“.

Anchiornis huxleyi par Rebecca Gelernter

Image : Rebecca Gelernter

Anchiornis huxleyi, t’as changé de coiffure ? Je la trouve adorable. Les paléontologues tentent de reconstituer le puzzle Anchiornis depuis bien longtemps. Il y a plusieurs années, ils sont parvenus à identifier la couleur des plumes de ses ailes ; en 2017, ils ont découvert un nouveau genre de plume (les pennes) qui couvrait sans doute tout son corps.

Les pennes des oiseaux modernes sont rondes et plates, ce qui les rend douces, aérodynamiques et hydrophobes. Les pennes d’Anchiornis huxleyi, elles, sont taillées en V et garnies de quelques filaments indépendants. Résultat : un dinosaure volant duveteux et doux comme un édredon. Rebecca Gelertner est parvenue à représenter ces traits avec talent dans cette illustration inspirée du style de l’ornithologue John James Audubon.

Lagenanectes richterae par Joschua Knuppe

Image : Joschua Knuppe

Un papier publié cette année a annoncé qu’un nouvel elasmosauride venu du Crétacé avait été découvert en Allemagne. L’illustration qui accompagne l’article le représente tel qu’il était : gigantesque, hérissé de dents angoissantes, et évoluant dans l’eau. Cette scène est si réaliste et crédible qu’elle en devient inquiétante. Que sommes-nous face à ces animaux sveltes, élégants et barrés d’une grimace bizarre ?

Les larges mâchoires des Lagenanectes richterae étaient plantées de dents longues et saillantes. La lumière pâle et réaliste de cette illustration nous permet d’apprécier leur taille gigantesque, environ huit mètres de long. Le ballet de poissons et de pieuvres argentées qui les accompagne fait encore ressortir leur beauté.

Vouivria damparisensis par Chase Stone

Image : Chase Stone

Je crois qu’aucune illustration de sauropode ne me plaît plus que celle-ci. Ce que vous voyez ici est le plus vieux brachiosauroïde connu, une bête tout droit sortie de la France du Jurassique.

Les sauropodes sont incroyablement longs et gros : le cauchemar d’un illustrateur. Pour faire rentrer tout leur corps dans le cadre d’une image, il faut placer l’observateur loin d’eux, ce qui se fait au prix d’importants effets de distortion. Cette illustration évite le problème en nous permettant de rencontrer Vouivria à sa hauteur, et pas au niveau du sol. Un point de vue surprenant et plutôt agréable ! De l’éclairage à la robe douce et néanmoins frappante des animaux, tout me frappe dans le bon sens du terme. Une perspective extrême comme on aime.

Wakaleo schouteni par Peter Schouten

Image : Peter Schouten

La fin de l’année 2017 a apporté son lot de taxons inédits ornés d’illustrations géniales. Plusieurs d’entre elles m’ont tapé dans l’oeil. Ici, vous pouvez contempler un Wakaleo schouteni. La belle histoire, c’est que les auteurs du papier dans lequel figure cette oeuvre ont rendu hommage à l’artiste en donnant son nom à la bête.

Wakaleo schouteni est un thylacoleonide, un genre de lion marsupial qui a arpenté notre planète entre l’Oligocène tardif et le milieu du Miocène, c’est-à-dire entre 34 et 14 millions d’années avant notre ère. Il est l’ancêtre du fmaux Thylacoleo carnifex.

Difficile d’arrêter de regarder cette peinture. Je ne peux pas m’empêcher de m’accrocher à chacun des coups de pinceaux qui constituent cette oeuvre. Peter Schouten est un vrai maître des couleurs et des textures. Cette illustration me donne envie de tendre la main et toucher la fourrure de ces bêtes. À cause d’elle, je me trouve intimement convaincue qu’elles existent toujours !

Halszkaraptor escuilliei par Lukas Panzarin

Image : Lukas Panzarin

Encore une merveille de fin d’année, un nouveau droméosauridé plutôt étrange. Il y a 75 millions d’années, ce dinosaure gros comme une dinde galopait dans une zone que nous appelons désormais Mongolie. Il avait un long cou, des membres aux segments antérieurs courts qui l’aidaient peut-être à nager et une bouche garnie de petites dents aiguisées. Certains scientifiques pensent qu’il s’agissait en fait d’un amphibien.

La reconstruction de ce nouveau dinosaure est belle et frappante. J’admire le traitement que Lukas Panzarin a accordé aux plumes blanches : grâce à lui, l’apparence “cygnoïde” de l’animal touche juste. D’un point de vue technique, ces plumes sont si réussies qu’elles ressemblent plus à des petits prismes qui accrochent toutes les couleurs du spectre. La théorie des couleurs et la réfraction à leur plus haut niveau !

Zuul crurivastator par Danielle Dufault

Image : Danielle Dufault

J’espère qu’ajouter un peu de mon travail à ce classement n’est pas trop inapropprié. Le Zuul crurivastator est une nouvelle espèce d’ankylosauroïde du Crétacé tardif découverte du côté du Montana. Depuis quelques mois, elle est étudiée dans le laboratoire de mon lieu de travail – le Royal Ontario Museum – ce qui a sans doute participé à ce que je développe un genre de crush pour la créature. Des papiers consacrés à la queue et le crâne ont déjà été publiés et beaucoup d’autres études intéressantes restent à paraître.

Le Zuul crurivastator tire son nom de sa ressemblance avec le Zuul, un démon-chien du film Ghostbusters. Le spécimen étudié au Royal Ontario Museum est dans un état de préservation exceptionnel : il comporte des tissus mous, des osselets et de la kératine. J’ai pris beaucoup de plaisir à le reconstruire et à lui donner vie, et j’espère être parvenue à le rendre tout à fait frappant. Nous ne savons pas de quelle couleur était le Zuul, mais je trouve que ce petit costume lui sied. Qu’en pensez-vous ?