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L’univers étrange et fascinant des émissions pour enfants tournées dans GTA V

Parfois (souvent, pour qui y perd suffisamment de temps), Internet nous offre des trucs que l’on ne peut pas effacer de sa mémoire. Cette semaine, pour moi, ce sera Spiderman et Lightning McQueen, le héros de Cars, en train de se bastonner avec un T-Rex géant, le tout dans l’univers pixellisé de GTA V. Ouais, c’est un peu tendu comme concept. Sachez que ce n’est pourtant que l’une des nombreuses – nooooooombreuses itérations d’une formule commerciale étonnante qui a fleuri sur Youtube ces derniers mois : les dessins animés pour enfants (en bas âge, ou profondément défoncés au Lexomil) créés dans GTA V. Si, sans réfléchir, vous trouvez qu’utiliser l’un des titres les plus gratuitement violents de l’histoire des jeux vidéo pour divertir d’innocents marmots a quelque chose de moralement discutable, félicitations, vous êtes normal.

Mais tout le monde ne pense pas comme vous. De fait, en se penchant par-dessus le puits sans fond des vidéo Youtube pour enfants, on se rend vite compte que des dizaines de chaînes cohabitent, nommées à peu près pareil –« Car Kids Songs », « Cartoon Cars Songs for Kids », « Super Kids », etc – chacune d’entre elles capable de pondre deux à trois vidéos par semaine. Et le pire, c’est que le public est là pour les regarder. Sur une chaîne comme Cartoon Cars Songs for Kids, par exemple, les vidéos les moins populaires totalisent quelques dizaines de milliers de vues quand les plus gros succès, comme la désopilante « LONG CARS with SPIDERMAN Cartoon for Kids and Nursery », affichent fièrement huit millions de visionnages. Huit. Millions. Huit putains de millions.

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Une recette déclinée à l’infini

Lorsque l’on se met à regarder suffisamment de ces vidéos, outre le fait de se mettre à saigner des yeux, on peut rapidement identifier les ingrédients essentiels de la « recette » commune à toutes ces vidéos. Premièrement, une « histoire » condensée en dix à douze minutes pour tenter de faire oublier l’absence quasi-totale de scénario – pour quiconque âgé de plus de six ans, l’effet sera inefficace. Ensuite, la récurrence des personnages et de leurs affinités : dans le monde parallèle des dessins animés sur GTA, Spiderman est une star absolue, le seul super-héros qui vaille. Présent dans absolument tous les épisodes, il file la parfaite bromance avec l’ambitieux coupé-cabriolet du dessin animé Cars de Pixar, Lightning McQueen, qui se retrouve quasiment toujours en fâcheuse posture. Le rôle du grand méchant est majoritairement tenu par le Joker, qui n’aime rien tant que maltraiter de pauvres petites voitures innocentes. Le Joker balance de l’essence sur McQueen. Le Joker attache McQueen sur des rails et lui fonce dessus avec un train (comme l’explique Kotaku, ce scénario-là, aussi vieux qu’Henri Salvador, est pourtant l’un des plus déclinés). Le Joker… bref, vous avez compris. Parfois, le méchant est un T-Rex géant, parfois Spiderman et McQueen croisent Mickey, Hulk, Sonic, Superman voire d’autres Spiderman aux couleurs LGBT, mais les personnages sont toujours à peu près les mêmes.

Cependant, Spiderman ne passe pas son temps à sauver la mise à tout le monde. Dans la majorité des vidéos, l’homme-araignée fait des trucs aussi triviaux que vous et moi, répare sa bagnole, fait un peu de guitare, prend le soleil OKLM à Los Santos ou s’amuse à conduire n’importe comment des véhicules aux dimensions fabuleuses ou inadaptés à leur environnement, comme un bateau sur le sable, un train sur l’autoroute, une voiture-banane voire un tank sur le toit de limousines disproportionnées (combo !).

Voilà, en gros, les deux catégories de vidéos proposées aux enfants : Spiderman sauve la mise à d’autres personnages (pour celle-ci, rendez-vous directement sur la chaîne « Policeman Spiderman »), ou Spiderman est bourré et fait n’importe quoi avec les véhicules qu’il trouve. On imagine que la première est un tantinet plus exigeante à créer sur l’éditeur de GTAV, ce qui explique que la seconde soit plus répandue. Visuellement, n’oubliant pas qu’ils s’adressent avant tout à un public analphabète et bourré de troubles de la concentration, les créateurs de ces vidéos bourrent leurs décors de couleurs arc-en-ciel vives et rehaussent le tout d’une bande-son lénifiante à souhait, que Kotaku a identifié comme étant le thème « Muffin Man ». Ce thème, plus viral qu’une gastro-entérite de Toussaint, se retrouve sur toutes les chaînes du sous-genre, dans la même version, tout le temps, partout (sorte-moi de là, par pitié). Et voilà comment on se débarrasse, temporairement, de ses enfants : en leur noyant le cortex sous un déluge de stimuli sensoriels, jusqu’à atteindre un état d’abrutissement profond.

Vu le nombre de vues et le type de commentaires, qui s’apparentent souvent à des suites de lettres sans queue ni tête, ça doit forcément fonctionner. Difficile de savoir comment une idée aussi tordue à peu naître dans l’esprit cynique d’un créateur de contenu, mais force est de constater qu’elle est bonne : ces vidéos ne coûtent rien, sont faciles à produire, ne nécessitent aucune once de créativité et rapportent potentiellement de l’argent. Combien ? Impossible à dire, d’autant que les responsables de ces chaînes ne répondent pas aux sollicitations. Mais ces vidéos marchent, car il existe bien plus de parents irresponsables que l’on ne le croit sur cette planète. Et tant pis pour le développement cérébral des prochaines générations.