Comme chaque matin, à peine réveillée, j’attrape mon téléphone et allume la radio, à l’affut de ce qui s’est passé dans le monde pendant mon absence nocturne. Twitter, Facebook, Instagram, je n’ai plus besoin de chercher l’information, c’est elle qui vient à moi. Le Monde : « Le réchauffement climatique s’annonce pire que prévu », La Provence : « Meurtre de Lola : la principale suspecte aurait déclaré avoir bu du sang de l’adolescente après l’avoir tuée », BFM : « Un riche PDG mis en examen pour trois viols lors d’une même soirée ». L’Humanité : « Covid. La 8e vague poursuit sa croissance dans l’indifférence ». LCI : « Les 4 scénarios d’une attaque nucléaire russe ». Pendant ce temps sur France Inter on débat de l’inflation. Un matin, mon cerveau a dit stop. Harassée par le flot continu des nouvelles toujours plus mauvaises les unes que les autres, j’ai tout coupé et contemplé le vide. Je me suis alors rendue compte que toutes ces informations qui me parvenaient quotidiennement créaient une cacophonie, un brouillard mental qui m’épuisait. Et je suis loin d’être la seule.
Plus d’un Français sur deux souffre de fatigue informationnelle. Un chiffre révélé par une enquête de la Fondation Jean Jaurès avec Arte et l’Observatoire société & consommation paru en septembre 2022. Aussi appelé infobésité, la surcharge informationnelle désigne l’excès d’informations que l’on reçoit et l’incapacité qu’a notre cerveau à les traiter. Un terme apparu avec le développement des chaînes d’information en continu. Ce trop-plein d’informations peut causer un large éventail de symptômes tels que l’agitation, l’addiction, l’anxiété, l’agoraphobie (la peur de sortir de chez soi), le manque de concentration, les pensées invasives ou encore l’insomnie.
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Pour essayer de mieux comprendre ce phénomène, je suis allée à la rencontre de personnes qui ont vrillé à cause des infos, à commencer par Victor. Il a 27 ans, travaille dans l’informatique, et depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il est devenu complètement accro à cette actualité. « Au début j’ai commencé par regarder des chaînes d’infos en continu sur mon ordi, chose que je ne faisais jamais auparavant. Il y avait plein d’éditions spéciales consacrées à la guerre, j’étais fasciné et apeuré en même temps. J’en suis devenu accro. » Victor commence par zapper son entrainement de foot pour regarder un docu consacré à Poutine, puis esquive les soirées avec ses potes le week-end incapable de décrocher de son écran. Il lit à peu près tout ce qu’il trouve sur le sujet, active les notifications avec les mots clés « guerre », « Ukraine », « Russie » et devient très angoissé à l’idée d’une attaque nucléaire. « J’ai acheté de l’iode, pleins de conserves au cas où on aurait plus d’électricité. » Au boulot Victor parle de la guerre tous les jours à ses collègues qui en ont vite marre. Le soir, il n’arrive même plus à avoir une conversation basique avec sa copine. « Le small talk me paraissait complètement ridicule. Comment parler de ce qu’on allait manger ce soir alors que des personnes étaient cachés dans des caves pour éviter les bombes ? » Après six mois de guerre, elle menace de le quitter. « Ça m’a fait un choc, c’est comme si je me réveillais tout d’un coup. »
Mais difficile pour Victor d’arrêter vraiment. « Dès que je vais sur les réseaux sociaux, je ne vois que ça, des informations sur l’Ukraine ». La faute aux « algorithmes prédictifs », comme nous l’explique Stéphanie Lukasik, docteur en Sciences de l’information et de la communication et enseignante chercheuse à l’Université du Luxembourg. « Les procédures de calcul vont déterminer des contenus qui sont susceptibles de nous plaire à partir de choix initiaux que nous avons fait, c’est ça qui nous rend très dépendants de ces plateformes. On tombe sur des contenus qui ont un intérêt pour nous. On est rapidement enfermé dans une bulle de filtres, une bulle informationnelle personnalisée aux effets pervers. » Un terme inventé par l’activiste Eli Pariser, pour décrire la manière dont les médias sociaux nous isolent en créant des environnements hyper personnalisés.
Une bulle qui peut s’avérer macabre. Le 30 septembre dernier, la justice britannique a déclaré que les contenus en ligne publiés par Instagram et Pinterest avaient joué un rôle dans la mort de Molly Russell, adolescente de 14 ans qui s’est suicidée en 2017. Molly a regardé plus de 2 000 contenus sur Instagram liés au suicide, à l’automutilation ou à la dépression au cours des six derniers mois précédant sa mort. On a également trouvé plus de 400 images liées à ces sujets sur son compte Pinterest. Un fait divers qui nous oblige à questionner la manière dont est produite et diffusée l’information.
« Dès que je vais quelque part, je vois un agresseur, j’en vois partout » – Emilie
Selon Sabine Duflo, psychologue clinicienne et auteure de Quand les écrans deviennent neurotoxiques (Marabout), nos téléphones, tablettes et télévisions nous exposent à « une hyperviolence » qui n’est pas sans conséquence pour notre santé mentale. « L’information est aujourd’hui très formatée, de plus en plus courte et centrée sur la dimension choc et émotionnelle. Par ailleurs, les évènements relatés se déroulent souvent à des milliers de kilomètres. Cela renforce notre sentiment d’impuissance. On se met à attendre l’information comme un spectacle, un spectacle d’horreur la plupart du temps. »
Suivre l’actualité 24 heures sur 24 peut même avoir de graves répercussions sur la santé physique. C’est ce que révèle une étude parue cet été dans la revue Health Communication. « Être témoin de ces événements dans les actualités peut provoquer un état d’alerte constant chez certaines personnes, exacerber leurs motivations de surveillance et donner l’impression que le monde est un endroit sombre et dangereux », explique Bryan Mc Laughlin, professeur agrégé de publicité à la Texas Tech University. Un sentiment que connaît bien Emilie, 22 ans. Elle se définie comme féministe et suit de près les actualités relatives aux violences sexuelles. « Dès que je vais quelque part, je vois un agresseur, j’en vois partout », confie-t-elle. Elle décrit une angoisse quotidienne, « un effet de tournis » selon ses mots, qui par moment lui donne de fortes nausées.
Y-aurait-il un risque que ces nouveaux modes de consommation de l’information créent de nouvelles pathologies ? « On en constate chaque jour les dégâts même si nous savons encore les nommer », assure Sabine Duflo. Dans son cabinet, la psychologue constate une augmentation des jeunes patients souffrant de pathologies qui impliquent des troubles de l’attention comme le TDAH, et plus généralement des troubles du développement. En cause notamment, la vitesse infinie de propagation de l’information qui n’est « pas adaptée au cerveau, à sa capacité plus lente d’analyse. »
« Le cerveau a besoin d’un environnement moins rapide, beaucoup plus stable », insiste la psychologue qui alerte sur une nouvelle pratique : le doomscrolling, que l’on peut traduire par « faire défiler jusqu’à sa perte. » Qui n’a pas scroller sur son canapé sans être capable de s’arrêter ? Mais attention, consulter des informations négatives, tristes ou anxiogènes de manière compulsive peut mener à la dépression. C’est ce qui est arrivé à Sacha, 20 ans. « Je scrollais en moyenne 8 heures par jour. Je regardais surtout beaucoup de témoignages de personnes ayant vécu des choses super dures. A chaque fois que j’avais fini une vidéo, automatiquement une autre du même genre s’enchaînant, je n’arrivais pas à décrocher. Je n’arrivais plus à m’intéresser à autre chose. »
Mais alors, est-ce la faute des médias ? « Il faudrait un véritable questionnement sur l’information de demain », insiste Stéphanie Lukasik. « Face à la concurrence, notamment des influenceurs, certains médias ont trouvé refuge dans l’exacerbation d’un sensationnalisme médiatique. » Des sites et chaînes d’informations feuilletonnent les faits divers, dévoilent des détails plus sordides les uns que les autres, avec un seul objectif : faire des vues, donc de l’argent. Un phénomène qui n’a rien de nouveau, mais qui s’est amplifié avec le développement du numérique. « C’est une tradition de la presse de privilégier ce qui est accès sur l’émotion, ça a toujours existé. Pourtant il n’y a pas forcément plus de clics sur ces sujets, c’est une idée reçue », explique la chercheuse.
« Par moment, je suis pris de crises de larmes. Évidemment je vais voir un psy, mais ce n’est ni le développement personnel, ni un suivi psychologique qui va régler le problème. » – Benjamin
S’ajoute à cela « le piège de l’endogamie médiatique, ce que Bourdieu appelait la circulation circulaire de l’information. Les médias s’influencent entre eux, ils ne doivent pas rater une info que leur concurrent aurait traitée. » Résultat, quand vous scrollez sur Facebook ou Twitter, vous lisez cinq fois la même information provenant de cinq médias différents. De quoi créer rapidement un sentiment d’overdose et une défiance envers les médias. Faut-il alors prôner l’abstinence médiatique ? Le risque est double : le premier est de se détourner de l’information traditionnelle pour aller vers « des contenus d’opinion qui ne respectent pas la déontologie et vont désinformer », développe Stéphanie Lukasik. Le second, de tout couper. « S’éloigner complètement de l’information, c’est dangereux pour la démocratie », met en garde la chercheuse qui insiste sur l’importance d’être éclairé « pour prendre des décisions, notamment au moment du vote. »
Dans un contexte de crises successives, s’informer est pourtant plus important que jamais. Notamment sur le réchauffement climatique. Mais regarder le monde se consumer dans une certaine indifférence peut être douloureux. Benjamin, 38 ans, militant écologiste souffre d’éco anxiété. « Par moment, je suis pris de crises de larmes. Évidemment je vais voir un psy, mais ce n’est ni le développement personnel, ni un suivi psychologique qui va régler le problème. » Benjamin canalise son angoisse et sa colère dans l’action. Il travaille actuellement pour un média consacré à l’écologie. Mais ce qui le tourmente le plus, après bien sûr le déni des uns, c’est l’angoisse des autres. « Je suis inquiets de voir que les gens restent tétanisés par la peur au lieu d’agir. » C’est bien là le propre de l’angoisse. Nous restons ébahis à contempler le chaos du monde sur nos téléphones comme un divertissement de mauvaise qualité.
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