Les orgies existent depuis la nuit des temps mais, dans leur incarnation moderne, aucune n’évoque l’hédonisme et l’avant-garde avec autant d’intensité que celles qui ont lieu entre les murs de Torture Garden. Depuis plus de 30 ans, le club – appelé affectueusement TG – est tout simplement le meilleur et le plus mean en matière de soirées fétichistes. Il est connu dans le monde entier pour héberger les performances artistiques les plus provocatrices accompagnées d’une bande-son dance en constante évolution et d’un code vestimentaire notoirement strict.
« Les personnes qui se présentent avec un t-shirt, vous regardent dans les yeux et vous disent que leur kink c’est le coton sont les pires », souffle Charlotte Hellicar, ancienne physio et désormais directrice du Torture Garden. Derrière elle, des boules à facettes reflètent la lumière sur la peinture rouge et noire d’une maquette de décor dans l’entrepôt de TG Productions.
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Les règles vestimentaires sont une spécialité d’Hellicar. Elles incluent l’interdiction de porter des jeans, des costumes ordinaires, des chemises en coton, des t-shirts, des boxers, des déguisements ringards, des leggings ou des collants. En revanche, le latex, le cuir, le métal et les fantaisies fétichistes sont les bienvenus. Comme le dit Hellicar : « Vous ne pouvez pas vous saper avec quelque chose que vous auriez mis pour aller faire les magasins. Si vous pouvez le porter pour une soirée lambda en boîte de nuit, eh bien c’est que vous n’avez fait aucun effort ».
Torture Garden, qui a vu le jour en octobre 1990, s’est donné pour mission de dynamiter la scène alternative contemporaine. Ses fondateurs, Allen Pelling et David Wood, alors colocataires, estimaient à l’époque qu’elle était devenue « un peu chiante ».
« J’avais l’habitude d’aller cluber à Londres tous les soirs de la semaine », raconte Pelling. « David a cinq ans de plus que moi et il a fréquenté certaines des meilleures boîtes lorsqu’elles étaient à leur apogée. Cela me manquait et je lui demandais souvent comment étaient ces clubs. Un soir à la maison, on a discuté de ce que serait son club idéal, et de ce que serait mon club idéal. Et c’est au cours de cette conversation qu’on a eu l’idée de Torture Garden. »
« Je sortais d’une école d’art et je voulais devenir cinéaste, donc je n’avais aucune envie de me lancer dans le monde de la nuit », confie Wood. « Au départ, je ne faisais que débiter à Allen toutes les idées que j’avais eues au fil des années. Et au fur et à mesure, j’étais de plus en plus excité par la possibilité qu’elles puissent prendre forme. »
Et ce nom ? « J’avais un livre que je venais d’acheter, intitulé Torture Garden », sourit Wood. « Je ne l’avais même pas encore lu. Mais ça sonnait comme un endroit exotique, lointain et mystérieux. »
Après avoir trouvé une salle au coin de la rue, TG a ouvert ses portes un jeudi soir et plus de 100 personnes se sont déplacés pour l’inauguration. « La soirée suivante, on était peut-être 250, puis 350, puis 500. À la quatrième ou cinquième soirée, on avait même des papiers dans les tabloïds locaux », se rappelle Wood. « On avait l’impression d’avoir lancé quelque chose d’assez dangereux, neuf et edgy. »
Pelling a su qu’ils avaient réussi leur coup lorsqu’il a ouvert les journaux du dimanche et qu’il a vu un article intitulé « Naughty Nights in the Garden » (Nuits coquines dans le jardin en VF). Il se souvient : « Je me suis dit : ‘C’est mon club !’. C’était un article inventé de toutes pièces, mais j’étais quand même très excité, j’ai téléphoné à ma mère et je lui ai dit : ‘Achète le canard, je suis dedans’ ».
« On était l’underground de l’avant-garde de cette scène », retrace Wood. « On avait peut-être quelques années d’avance sur ce qui se passait dans la société et la culture en général. La presse pensait encore que le fétichisme et la sexualité étaient quelque chose dont il fallait rire, se moquer ou bruyamment réprouver. Les lieux se sentaient encore assez vulnérables. »
Le club a longtemps existé dans une « zone très grise » comme l’appelle Allen. « Il y avait toute cette atmosphère à l’époque où ce qu’on faisait était considéré comme totalement illégal. Avec le temps, c’est devenu de plus en plus acceptable. »
Et malgré l’attention des tabloïds, l’environnement créé par Torture Garden a joué un rôle énorme dans l’acceptation croissante du fétichisme et de ses codes dans les décennies qui ont suivi la soirée d’ouverture. Le fait que Torture Garden se soit forgé une réputation d’oasis pour les pionniers de la mode londonienne des années 90 a évidemment aidé.
« Vous pouvez être un enfoiré de première au taf la journée – mais quand vous venez à Torture Garden dans votre pantalon en caoutchouc, vous vous libérez de ce personnage ».
« Le début des années 90 a été une période très innovante pour la mode influencée par le fétichisme », explique Wood, vêtu d’une chemise, d’un blazer et d’un pantalon camouflage Vivienne Westwood assortis. « Ce n’était plus seulement du latex noir ou rouge. Beaucoup d’outfits étaient très proches de ce que créaient des gens comme Alexander McQueen ou Thierry Mugler. »
Allen renchérit : « Jean Paul Gaultier est aussi passé par le club. Il y a chopé tout un tas d’idées qui ont initié une collection. Je ne sais pas s’il a seulement été influencé par Torture Garden ou par tout ce qu’il se passait dans la scène alternative de l’époque. »
L’industrie de la mode a toujours affiché un profond mépris pour le monde fétichiste, souligne Wood. « Les créateurs ont puisé leur inspiration dans cet univers-là mais le monde fétichiste n’a jamais eu la reconnaissance qu’il méritait. »
Hellicar, qui porte un harnais en cuir bleu bébé moucheté d’or, trouve « hilarant » que des célébrités comme Kim Kardashian sortent en latex de la tête aux pieds ou en cagoule BDSM.
« Cela me semble vraiment hors contexte, parce que j’ai l’habitude de les voir dans des soirées underground jusqu’au petit matin », dit-elle, ajoutant que sa cagoule de cuir en forme de tête de cochon a connu un succès certain lors de récents événements TG.
L’intérêt de Torture Garden c’est la possibilité de se transformer en quelque chose de complètement différent, ajoute-t-elle. « Vous pouvez être un enfoiré de première au taf la journée – mais quand vous venez à Torture Garden dans votre pantalon en caoutchouc, vous vous libérez de ce personnage ».
Une grande partie de cette évasion est rendue possible par la conception créative des décors du TG, l’ADN du club autant que le latex et la fessée. « C’est une sorte de voyage dans l’inconnu avec les risques que cela comporte. On ne sait pas vraiment ce qui va se passer », dit Pelling.
« Aucun autre endroit n’organiserait la variété de spectacles qu’on a mis en place, des shows d’art corporel vraiment extrêmes aux représentations plus glamour de Dita Von Teese. »
Lors d’une soirée au seOne – la salle de 3 000 personnes du London Bridge, aujourd’hui fermée, qui prétendait être la plus grande boîte de Londres – TG a transformé sa salle de dogging en une forêt nocturne, avec des arbres. « On avait placé des vieilles voitures cabossées autour pour que les gens les utilisent comme ils le souhaitent », se souvient Hellicar. « C’est à ce moment-là que notre production avait vraiment atteint un nouveau niveau ».
« Je n’ai jamais été dans un club où il y a une surcharge sensorielle équivalente à celle qu’on trouve à Torture Garden », assure Wood. Alors que les boîtes du monde entier ont fermé leurs portes à cause de la pandémie, les clients attendent davantage de leurs établissements aujourd’hui, à mesure de leur réouverture.
Les sex parties n’ont d’ailleurs jamais été aussi populaires et, malgré la concurrence accrue d’autres événements comme le Klub Verboten, One Night et Pinky Promise, Torture Garden continue d’innover et de faire salle comble.
Wood a quitté le TG en 2019, mais sous la direction de Pelling et Hellicar, le club continue de tenir chaque mois ses promesses et sa réputation de faire le tour du monde. « Aucun autre endroit n’organiserait la variété de spectacles qu’on a mis en place, des shows d’art corporel vraiment extrêmes aux représentations plus glamour de Dita Von Teese, qui a fait ses trois premiers numéros au Royaume-Uni à Torture Garden », explique Wood.
« Le concept à l’origine de TG il y a plus de 30 ans semble être désormais la norme, même en dehors du cercle des clubs fétiches. C’est ce que tout le monde veut vivre, ce qui est plus qu’une simple boîte de nuit. »
Photos de Jeremy Chaplin qui a documenté les premiers jours de Torture Garden.
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