Drogue

L'Europe fait face à une vague de « cocaïne rose » colombienne

Mélange de kéta, de MDMA et de colorant alimentaire, « el tusi » est la marque de fabrique d'une nouvelle génération de narcos.
Max Daly
London, GB
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Photos de sachets contenant du « tusi » ou cocaïne rose, à Medellin en Colombie. Photo: Joaquin Sarmiento/AFP via Getty Images.

Elle est connue des acheteurs sous le nom de « tusi », des médias et de la police sous celui de « cocaïne rose », bien qu'elle n’en contienne aucune trace. Cette drogue provenant de Colombie, mélange de MDMA, de kétamine et de colorant alimentaire, gagne du terrain parmi les consommateurs en Europe où les saisies sont de plus en plus fréquentes.

Dans les grandes villes colombiennes, « el tusi » est synonyme d'une nouvelle génération de narcos qui fabriquent et vendent la drogue pour encourager sa consommation dans les boîtes de nuit du pays ou alimenter l’économie locale du tourisme sexuel.

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Commercialisé par les dealers comme une substance d’une qualité supérieure à la cocaïne, le « tusi » est plus une marque qu'une drogue spécifique. Apparue dans les rues de Colombie vers 2010, cette poudre, teintée par des colorants roses pour la distinguer des autres produits et sentant généralement la fraise, était appelée « tusi » ou « tusibi » car elle contenait à l’origine du 2CB, un hallucinogène psychédélique.

Des tests médico-légaux ont depuis montré que le « tusi » s'est transformé en un mélange totalement imprévisible, composé de kétamine, de MDMA et de caféine dans des proportions très variables. Le produit, fabriqué par les fournisseurs dans des laboratoires de fortune, change d'un « cuisinier » à l'autre. Les autorités ont par exemple constaté à plusieurs reprises la présence d’autres drogues comme des benzos, de la méthamphétamine et des cathinones.

L’effet recherché est un mélange de celui plutôt sédatif et trippant de la kétamine, couplé à celui plus stimulant de la MDMA et de la caféine.

Les rumeurs selon lesquelles le « tusi » contiendrait du fentanyl n’ont pas encore été corroborées par des preuves. Côté utilisateurs, l’effet recherché est un mélange de celui plutôt sédatif et trippant de la kétamine, couplé à celui plus stimulant de la MDMA et de la caféine. 

Récemment, la police espagnole a annoncé avoir arrêté sept membres d'un gang soupçonné de distribuer de la cocaïne et du « tusi » à Madrid et à Malaga après l'avoir fait passer par avion depuis l'Amérique latine dans des valises remplies de drogue. Une perquisition à leur domicile en Espagne a permis de découvrir 8 kg de ce que les agents ont appelé de la « cocaïne rose », ainsi que de la cocaïne ordinaire et de l'argent liquide.

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En août dernier, les forces de l’ordre ont découvert sur l'île d'Ibiza 13 kg de la même substance, probablement le plus gros chargement de « tusi » jamais saisi en Europe, ainsi que de la cocaïne ordinaire et de la kétamine, 440 000 € en espèces et un pistolet-mitrailleur. Sur les 12 personnes arrêtées, la plupart étaient britanniques et deux étaient colombiennes.

Cet été, une fausse histoire alarmiste diffusée sur les réseaux sociaux prétendait qu'un lot de « tusi » mélangé à du fentanyl avait provoqué une vague d'overdoses sur l'île. En mai, la police avait découvert un laboratoire de drogue dans une ville proche de Madrid où, selon elle, des fournisseurs avaient mélangé plusieurs ingrédients pour créer la fameuse cocaïne rose.

Selon un rapport des Nations unies sur l'augmentation du commerce illégal de la kétamine, le « tusi » a également été repéré cette année lors d'un festival de musique au Royaume-Uni, ainsi qu'en Autriche et en Suisse. En juillet, un ressortissant colombien arrêté pour avoir introduit clandestinement de la cocaïne en Italie a été trouvé en possession de tusi à son domicile de Milan.

« Des jeunes font du ‘tusi’ dans leurs propres cuisines et ont retiré aux trafiquants de cocaïne traditionnels le monopole de l'argent et des belles femmes » - Julian Quintero, sociologue.

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« Cette drogue est liée à la culture des néo-trafiquants en Colombie », a déclaré à VICE Julian Quintero, sociologue et chercheur à Social Technical Action, une ONG colombienne spécialisée dans la politique de lutte contre la drogue. « Les meilleurs lieux de fête, les prostituées à plusieurs millions de pesos et les soirées les plus ostentatoires ne sont plus l’apanage des vieux « patrons » traditionnels du commerce de la drogue.

Des jeunes ambitieux qui ont appris à faire du ‘tusi’ dans leurs propres cuisines revendiquent aujourd’hui le même matérialisme. » Selon Quintero, avec l'aide du « tusi », la culture néo-narcos a « retiré aux trafiquants de cocaïne le monopole de l'argent et des belles femmes ».

« Avec le tusi, n'importe qui – notamment les jeunes – peut jouer au trafiquant de drogue. La culture du gangster adolescent s'est même démocratisée. » Selon lui, le « tusi » est la drogue de prédilection des étrangers qui se lancent dans la prostitution à Medellin et Carthagène. Aujourd'hui, c’est même la cinquième drogue la plus populaire en Colombie et elle figure régulièrement au menu des stupéfiants dans des pays comme l'Argentine, le Venezuela, l'Uruguay, le Chili et le Panama. 

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Un graffiti de « tusi » au siège de Social Technical Action à Bogota. Image : Hellsaintcat

Que le « tusi » finisse sa course en Espagne, le pays européen ayant les liens les plus étroits avec le monde de la drogue en Colombie, n’est pas une surprise. Identifiée sporadiquement depuis 2011 en terre ibère, la substance est pour la première fois au cœur d’une opération de police en 2016, lorsque neuf personnes, dont certains Colombiens, sont arrêtées pour avoir exploité un laboratoire de « tusi » juste à l'extérieur de Madrid.

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Avant 2019, l'ONG ne recevait qu'une poignée d'échantillons de drogues qu'elle identifiait comme étant du « tusi ». Au cours des trois dernières années, elle en aurait reçu 150.

Les experts affirment qu'au cours des trois dernières années, ils ont constaté une augmentation de la circulation du produit en Espagne. Une enquête menée au début de l'année auprès de 1 412 consommateurs de drogues récréatives par Energy Control, une ONG de réduction des risques, a révélé qu'une personne sur cinq avait déclaré avoir consommé du « tusi » au cours des 12 derniers mois. Avant 2019, l'ONG, qui teste les drogues envoyées par les particuliers, ne recevait qu'une poignée d'échantillons de drogues qu'elle identifiait comme étant du « tusi ». Au cours des trois dernières années, elle en aurait reçu 150.

« Contrairement à la croyance selon laquelle la ‘cocaïne rose’ est une drogue des élites, uniquement consommée par les mannequins et les riches, ce produit est utilisé par des personnes de n’importe quel niveau social », a déclaré Claudio Vidal, directeur chez Energy Control. « Bien qu'au début, on le trouvait principalement dans les grandes villes comme Madrid ou Barcelone, ou dans des lieux touristiques comme Ibiza, Costa del Sol, aujourd'hui le ‘tusi’ s'est répandu dans d'autres villes. »

La propagation du « tusi » s'inscrit dans le cadre d'une évolution lente mais significative de l'offre mondiale de drogues, qui passe de celles d'origine végétale comme le cannabis, la cocaïne ou l'héroïne à celles de synthèse, fabriquées en laboratoire, souvent plus faciles et moins chères à produire, mais qui, comme le fentanyl, peuvent être plus imprévisibles et mortelles. 

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