D’autres bizarreries ont commencé à faire leur apparition : James ne permettait pas à Sarah de le suivre sur son compte Instagram privé, n’envoyait aucune photo de lui et restait étrangement secret sur d’innombrables autres aspects de sa vie.D’après ses dires, il se rendait souvent dans le Nord-ouest du Pacifique, la région de Sarah. En 2019, il lui a dit qu’il serait bientôt en ville et qu’il en profiterait pour lui rendre visite. Mais peu de temps avant sa visite, Sarah rapporte que James aurait volontairement provoqué une dispute, et la rencontre n’a pas eu lieu. Plus tard, elle a commencé à penser qu’il n’était jamais venu en ville du tout.La dynamique a rapidement commencé à devenir plus tendue.« À aucun moment, je n’ai eu l’illusion d’être sa petite amie et d’être dans une relation exclusive », nous confie Sarah ; James, ajoute-t-elle, a clairement indiqué qu’il ne voulait pas d’une relation à distance. À plusieurs reprises, elle a « atteint son point de rupture », comme elle dit, et a essayé de rompre avec lui, en lui disant que leurs interactions l’empêchaient de trouver un partenaire plus proche de chez elle.« Il acceptait et nous arrêtions de nous parler pendant quelques jours, voire une semaine, puis il revenait à l’assaut, essayait de m’appeler, de flirter avec moi, et je le laissais faire », raconte Sarah. Leur pause la plus longue a duré six mois. Les disputes et les périodes de silence, dit-elle, « sont arrivées une vingtaine de fois. À plusieurs reprises, j’ai essayé de m’éloigner et il ne l’acceptait pas ». Si elle était jalouse ou agacée qu’il flirte avec une autre femme sur Twitter, il lui répondait qu’ils n’étaient pas en couple et qu’il pouvait faire ce qu’il voulait.« Plus d’une fois, il m’a gâché mes premiers rendez-vous en canardant mon téléphone de messages et en étant hyper agressif. Il considérait que c’était une trahison »
Comme preuve, Belandres nous a fourni plusieurs échanges d’e-mails entre lui et des personnes utilisant des adresses qui sont de toute évidence des adresses à usage unique. Mais ces e-mails montrent aussi qu’il a clairement menacé de contacter leurs familles et leurs employeurs, ce qu’il avait dit n’avoir jamais fait.« Sans vouloir m’apitoyer sur mon sort, j’ai moi aussi l’impression d’être une victime »
Belandres aurait commencé à lui envoyer des messages à partir de faux comptes ; les captures d’écran qu’elle a partagées à VICE montrent des dizaines de comptes, qu’elle a bloqués au fil des ans. Beaucoup d’entre eux utilisaient des noms qui étaient des variations du nom de Santiago, du nom de Laurie ou de celui d’une autre femme qui a rapporté avoir subi son harcèlement à la même époque (la même femme dont nous avons trouvé le site web de doxing archivé en ligne). En même temps, nous dit Laurie, « il a fini par pirater mon mail, mon compte Photobucket, mon LifeJournal, mon compte World of Warcraft, changer mes mots de passe et supprimer tout ce qu’il pouvait. » (Belandres nie avoir jamais piraté ou accédé de manière inappropriée aux comptes de messagerie ou aux réseaux sociaux de quiconque.)Laurie était certaine que la police prendrait ses plaintes au sérieux. « Ce n’est pas comme ça que ça s’est passé. La police m’a dit qu’elle ne pouvait pas déterminer l’âge que j’avais sur les photos ».
Alexandra lui avait envoyé une seule photo intime, qu’elle avait faite pour lui sur Snapchat et sur laquelle elle avait appliqué un filtre. Personne d’autre ne l’avait jamais vue. C’est comme ça qu’elle a tout de suite su ce qui se passait lorsqu’il lui a envoyé un texto à Noël de cette année-là. Dans son message, dont elle nous a fourni des captures d’écran, il l’accuse de n’avoir jamais vraiment prévu de le rencontrer et de l’avoir simplement fait marcher. Puis, dans un autre SMS, il ajoute : « Mdr t’es sur un site web appelé [expurgé], je viens de te voir et j’ai pensé que tu aimerais être prévenue, voilà bonne chance avec tout ça ». Il a inséré un lien vers un post sur un obscur site de doxing, qui présentait cette photo d’elle et une autre en provenance de son compte Twitter.« Mdr t’es sur un site web appelé [expurgé], je viens de te voir et j’ai pensé que tu aimerais être prévenue, voilà bonne chance avec tout ça ».
Tout ça était faux. « Le Spelman College porte littéralement le nom de ma famille », nous dit Grace Spelman. « Elle est remplie d’abolitionnistes. » Bien qu’elle ne soit pas « une figure de la gauche », comme elle le dit elle-même, le compte a continué à tweeter des trucs comme « la famille de votre reine gauchiste possédait des esclaves. » Ont également été publiées des vidéos incroyablement vieilles d’elle et de ses frères et sœurs. Grace ignore toujours comment le titulaire du compte les a trouvées.Selon les dires de Spelman, cette expérience a été effrayante et l’a rendue « beaucoup moins confiante », mais également plus alerte quant aux hommes qui deviennent trop vite familiers dans leurs réponses. « J’ai depuis arrêté d’entrer en conversation avec des reply guys. Et en fait, ça m’a permis de trouver des femmes avec qui j’ai pu me lier d’amitié et des amis géniaux. » Bien qu’elle n’ait aucune preuve que le compte était celui de Belandres, le timing lui parait plus que fortuit. (De son côté, Belandres nie avoir créé le compte Twitter en se faisant passer pour Spelman.)Le compte a publié des vidéos incroyablement datées d’elle et de ses frères et sœurs. Grace ne sait toujours pas comment le titulaire du compte les a trouvées.
« C’est à ce moment-là que le déclic s’est produit », nous a confié Patricia. « Cette affaire avait une amplitude tellement plus large que ce que je pensais. Ce n’était pas un truc chelou qui m’était arrivé par hasard. C’était un schéma qui se répétait. »Une femme hors des États-Unis, Amy, a raconté à VICE avoir subi un harcèlement particulièrement grave. Après une brève relation en ligne avec James Bell en 2020 — qui avait commencé, encore une fois, sur Twitter — Amy, jeune Anglaise, est venue en vacances Californie. Pendant qu’elle était sur place, Bell a promis de venir la voir depuis San Diego. Il lui a envoyé des SMS pour lui dire qu’il était en route, mais il n’est jamais arrivé.« Cette affaire avait une amplitude tellement plus large que ce que je pensais. Ce n’était pas un truc chelou qui m’était arrivé par hasard. C’était un schéma qui se répétait. »
Pendant un certain temps, elle a pris sur elle et a continué à lui parler, juste pour l’apaiser ; alors qu’elle continuait à s’éloigner peu à peu, le harcèlement s’est aggravé. Amy tient un tableau Excel détaillé de ses tentatives de contact, documentant quelque 500 fois où, selon elle, il l’aurait harcelée par le biais d’une fausse adresse électronique, d’un faux numéro de téléphone ou d’un faux compte Twitter.Elle a dû lutter seule contre l’isolement et la peur, mais a longtemps hésité à se rendre à la police au Royaume-Uni. « Je ne savais pas comment parler aux gens de ce qui se passait. Je suis sûre que d’autres femmes vous ont dit pareil, pas vrai ? C’est une chose très étrange à expliquer à des personnes qui n’ont pas été dans ce genre de relation virtuelle ou dans une dynamique pareille », nous a-t-elle déclaré. La police « n’a pas du tout été compréhensive. Ils se sont moqués de moi, ils m’ont dit : “Pourquoi parler à un type sur Internet que tu ne connais pas, pourquoi envoyer des photos à quelqu’un que tu n’as jamais rencontré ?” Bref, beaucoup de commentaires mesquins et de questions stupides. »En avril 2021, une autre femme ayant eu le même genre d’expérience avec Bell a vu le fil Twitter de Sarah, qui discutait du harcèlement. Theia l’a contactée et, ensemble, elles ont commencé à mettre en contact toutes les survivantes, pour partager leurs expériences et essayer de trouver une solution. (Elles ont également réussi à découvrir d’où provenaient les photos de « James Bell » : elles appartenaient à un Italien qui les avait publiées sur les réseaux sociaux il y a plusieurs années. Belandres a admis avoir utilisé des photos qui n’étaient pas de lui pour entrer en contact avec des femmes sur le net, mais a précisé qu’il ne l’avait fait que vers 2010-2011 : « J’ai — et je continue — de ressentir de la honte et de la culpabilité à ce sujet et je me suis sincèrement excusé auprès de toutes les personnes que j’avais trompées, c’était une erreur de ma part et je le regrettais déjà avant même que ce ne soit découvert. »)« Ça a été incroyable et tellement libérateur de trouver une communauté et un soutien avec toutes ces autres victimes. Mais ce que je veux vraiment, c’est qu’il ne puisse plus faire ça. »
Le cabinet d’avocats lui a alors conseillé d’intenter une action civile, parce que d’après Sarah, elle pourrait éventuellement servir de base à des accusations criminelles ultérieures. Et aussi parce que ce serait un moyen de remédier immédiatement au comportement de Belandres.« Je veux que ce soit mis par écrit et validé dans le système juridique », continue Sarah, « qu’il soit indiqué que cela m’est arrivé et que c’est une affaire importante ».
Après l’audience au cours de laquelle le juge a accédé à la demande de dommages et intérêts de Sarah, Carlisle a déclaré : « Je pense qu’elle a éprouvé un énorme sentiment de soulagement. » Le processus, a-t-il ajouté, « reconnaissait formellement qu’elle avait été lésée. C’est là que j’ai perçu son soulagement. C’était un long processus, et elle a réussi à le traverser. Elle a dû s’investir beaucoup, même s’il ne s’est pas présenté… Je pense que c’est un soulagement pour beaucoup de gens. Vous l’ignorez jusqu’au moment où vous entendez le juge dire, “je suis d’accord avec vous et je vais le mettre sur papier” ».Mais le processus de recouvrement de ces dommages est beaucoup plus incertain, selon Danielle Citron, auteur et professeur à la faculté de droit de l’université de Virginie. Experte reconnue en matière de cyberharcèlement et de harcèlement, Citron est également l’auteur d’un livre à paraître sur la vie privée numérique et ses violations, se concentrant particulièrement sur ce qu’elle appelle la « vie privée intime ».Danielle Citron n’a pas été surprise d’apprendre que Sarah n’avait pas obtenu d’ordonnance restrictive ; c’est une situation qu’elle rencontre régulièrement.Les réactions culturelles et sociales autour de ce genre d’affaires peuvent être résumées comme ceci : « C’est juste ton vagin, personne ne peut voir ton visage », a-t-elle expliqué. « Ils ne comprennent pas. Ou bien, si la vidéo avait déjà été publiée sur un autre site, ils vont vous dire : “Mais quel est le problème, elle était déjà présente ici ?” Ils sautent d’un mauvais raisonnement à une idée erronée et ainsi de suite ». Les sites web de « doxing » jouent également un rôle important, a-t-elle ajouté, notamment un site spécifique sur lequel plusieurs femmes de cette histoire ont déclaré que leurs photos avaient été uploadées. Le site est maintenant hébergé à Las Vegas, a précisé Citron, après avoir été hébergé aux Pays-Bas puis fermé par la police néerlandaise. « Je parle à énormément de victimes dans le monde entier qui ont leurs photos sur ce site ».Le GoFundMe a été mis en ligne le 6 juillet 2021. Sarah s’attendait à des moqueries et à de l’online shaming ; mais ça n’est pas arrivé.« Me manifester a été la meilleure chose que j’ai pu faire », nous a-t-elle déclaré. « Je m’attendais à un énorme backlash et j’y étais préparée, croyant que j’allais également devoir subir les représailles de Belandres. Finalement, j’ai fait le bon choix. C’est difficile de se mettre en avant et de s’avouer vulnérable. C’est embarrassant. Les gens ne vont pas te croire, ils vont se dire que tu inventes tout ou que c’est juste une dispute de couple. Que vous êtes tous les deux des personnes toxiques, que vous vous prenez la tête. C’est difficile de défendre ses propres intérêts face à des étrangers qui ne vous connaissent pas. Mais ce sont des choses qui arrivent. »L’argent du GoFundMe a permis à Laura d’envoyer à Belandres une lettre de cessation et de désistement, qu’il nous a confirmé avoir reçue. Dans un mail, quelqu’un utilisant l’une de ses adresses électroniques a dit au cabinet d’avocats qu’il n’avait pas eu de contact avec Laura depuis trois ans. (La date qu’il a mentionnée était bien antérieure à leur rencontre, selon Laura.) L’expéditeur de l’e-mail a ajouté : « toute autre affirmation est fausse et tout harcèlement via de fausses accusations sera signalé à mon avocat. Informez votre cliente que je suis bien conscient de la campagne en ligne qu’elle a menée pendant un an en publiant mes informations privées et j’ai la demi-preuve [sic] qu’elle a participé à mon harcèlement par le biais de textos, de messages directs et de messages vocaux. Dites-lui que j’accueillerai favorablement toute bataille juridique qu’elle souhaite engager. »En discutant avec Laura, cette dernière nous a laissés entendre que le côté financier des démarches juridiques liées à la gestion du harcèlement est un problème dont personne ne semble vraiment parler.« Ce n’est pas une somme insignifiante que vous pouvez sortir facilement pour faire face à un petit emmerdeur », a-t-elle déclaré.Au début du mois de mai 2022, juste après le silence de Belandres face à son action civile, Sarah a obtenu un jugement par défaut ; selon son avocat, le juge lui a alors accordé les dommages et intérêts qu’elle avait demandés. Elle a l’intention d’essayer de recouvrer ces dommages auprès de Belandres, mais ça va prendre du temps. Elle doit en effet intenter une action en justice distincte en Californie afin d’enregistrer le jugement qu’elle a obtenu dans son État d’origine auprès des tribunaux locaux où vit Belandres.D’après Danielle Citron, il est très courant que les hommes accusés de cyberharcèlement ne répondent pas aux poursuites ou ne paient pas les jugements par défaut prononcés à leur encontre. Mais même dans ces cas-là, a-t-elle dit, « les jugements par défaut ont une valeur aux yeux des victimes. Ils signifient qu’elles sont vues et entendues, que le système judiciaire peut être là pour elles ». Un juge qui rédige un avis en faveur d’une victime « lui dit qu’il l’entend, et qu’il admet que ce qui lui est arrivé est terrible. Que le harceleur ne s’est peut-être pas montré, mais que le système judiciaire la prend au sérieux. »Dans de nombreux cas, ajoute Citron, les cyberharceleurs ne sont pas des personnes disposant de vastes ressources. « Ces gens n’ont généralement pas beaucoup d’argent. Vous pouvez toujours essayer de saisir leur salaire ». Mais de manière générale, dit-elle, « le système civil devrait mieux fonctionner » pour aider les victimes qui obtiennent des jugements en leur faveur. (Cela dit, même si Sarah et Andrea ne parviennent jamais à percevoir de dommages et intérêts de la part de Belandres, le fait d’avoir deux jugements impayés peut se répercuter contre lui s’il essaie un jour d’acheter une maison ou de contracter un prêt.)Il est peu probable que Belandres ne soit pas au courant des poursuites judiciaires, comme il nous l’a prétendu. À trois reprises au moins, des avocats ont envoyé des documents juridiques à Belandres. Directement à l’adresse qui figure dans les registres publics ou par e-mail dans les cas de Sarah et d’Andrea, et en ce qui concerne Laura, elle a demandé à son avocat de lui envoyer une lettre de cessation et de désistement.Dans chacun de ces cas, les e-mails ont été envoyés à des comptes utilisés par « James Bell » et lui ont été adressés en tant que Santiago Belandres. Et à chaque fois, le mec a répondu par e-mail, non pas pour nier son implication ou dire à ses correspondants qu’ils tenaient la mauvaise personne, mais bien pour les menacer d’intenter une action en justice.« J’imagine que je dois découvrir ce qui se passe », a dit Belandres lorsque nous avons évoqué avec lui les multiples jugements rendus contre lui.
« Faites une faveur à votre cliente en lui faisant savoir que j’engagerai moi-même une action en justice », a-t-il écrit aux avocats de Sarah, accusant cette dernière d’avoir violé la loi en divulguant ses « informations personnelles » en ligne. Il a également affirmé avoir reçu des menaces de la part de ses patrons et collègues, « et dans ce cas, je suis libre d’en toucher un mot à son lieu de travail, faites-lui donc savoir que je compte bien le faire. »« Je te battrai facilement au tribunal », a-t-il écrit dans un mail envoyé uniquement à Sarah à l’été 2021. « Va te faire foutre. »Cependant, les actions en justice semblent également avoir incité Belandres à se tenir à l’écart. Le jour où Sarah a posté la collecte de fonds sur Twitter, elle a reçu encore un autre appel d’un numéro inconnu, auquel elle n’a pas répondu, et depuis lors, elle n’a pas entendu le moindre mot de sa part.« Je pense que c’est enfin devenu réel pour lui, nous dit Sarah, il sait que je veux aller jusqu’au bout. »Belandres affirme qu’il n’aurait contacté personne depuis un an. (Amy — la Britannique qui a méticuleusement tenu un dossier complet sur le harcèlement dont elle a été victime — conteste cette affirmation et rapporte qu’il les a contactées, elle et sa mère, le 4 février. Elle a fourni des captures d’écran d’un mail envoyé à l’adresse professionnelle de sa mère. Elle a également fourni de très nombreuses autres captures d’écran de « James Bell » menaçant de contacter sa mère, faisant usage du nom de cette dernière.)Les ennuis judiciaires de Belandres sont loin d’être terminés. Amy prévoit également de le poursuivre en justice. « Je ne cherche pas à obtenir des dommages et intérêts », a-t-elle déclaré. « Ce serait inutile, à mon avis ». Mais elle aimerait trouver un moyen de s’assurer qu’il ne puisse plus jamais la contacter légalement.Amy a déclaré que dans les e-mails qu’il lui avait envoyés, Belandres aurait souvent fait référence aux autres femmes harcelées. (Il lui a également partagé une discussion par mail expurgée qui, selon lui, était destinée à son avocat, un cabinet d’Oakland spécialisé dans les dommages corporels. Il a dit à Amy que « l’avocat lui mettait la pression pour qu’il se dépêche de porter plainte contre elle et intente un procès au civil ». Il n’a jamais porté plainte contre Amy, ni au pénal ni au civil.)« Il est manifestement conscient que nous sommes en communication les unes avec les autres », nous raconte Amy, et semble « être piqué à vif » par ça. « Mais ça a été tellement cathartique de se connecter les unes aux autres », a-t-elle ajouté, « et de partager nos histoires ».« Je suis terriblement en colère qu’un si grand nombre d’entre nous aient été repoussées dans l’ombre et aient dû garder le silence à propos de ces choses terribles qu’une autre personne nous a infligées », a-t-elle déclaré. « Nous n’avons rien fait de mal. Ce n’est pas un crime de se lier avec quelqu’un sur Internet ou d’avoir une relation intime et romantique à part entière pendant des années. Ce n’est pas inhabituel, ou bizarre. Ce n’est pas quelque chose de mal. »« Nous trouver et nous réunir nous a permis de reprendre le contrôle », a ajouté Amy. « Il a exercé un tel contrôle sur nous toutes pendant des années, et probablement sur d’autres femmes dont nous ne connaissons même pas l’existence ».Aujourd’hui, certaines des femmes qui disent avoir été victimes de harcèlement de la part de Belandres affirment que ce harcèlement n’aurait cessé qu’au début de cette année : appels étranges de numéros inconnus et tweets hostiles provenant de fake accounts. VICE a compilé une liste des comptes que les femmes pensaient lui appartenir et les a vérifiés régulièrement pendant plusieurs semaines. Tous contiennent d’étranges bribes de conversations blessantes, dirigées contre personne en particulier — juste des tweets « d’ambiance » sur le ressentiment envers quelqu’un, ou des plaintes sur un groupe de femmes qui se ligueraient contre lui.Sarah vit dans une espèce de paix précaire. Bien que Belandres n’ait pas essayé de la contacter à nouveau, elle pense qu’il l’observe toujours.« Je sais qu’il surveille mes différents comptes sur Internet », dit-elle. « Je pense qu’il sera toujours là. C’est une habitude chez lui, une sorte d’obsession, avec toutes les personnes qu’il a harcelées de cette manière. Mais je me trouve dans un bien meilleur état mental et émotionnel depuis qu’il a disparu de ma vie. »Plusieurs de ses victimes désirent qu’il soit inculpé au pénal. Mais elles restent également lucides quant à leurs chances de réussite.« Je ne pense pas que le comportement de cette personne va changer », nous a confié Amy. « D’après moi, il fait ça depuis très, très longtemps… Une grande partie de sa vie d’adulte a été consacrée à harceler des femmes et à s’engager dans ces relations en ligne abusives qui sont très coercitives et manipulatrices. Je ne pense pas qu’il soit intéressé par le fait de pouvoir être aidé à se soigner. Je pense qu’il ne changera jamais ».« La gravité de ce qu’il a fait, la quantité de victimes touchées et la durée de toute cette histoire, qui se compte en années, pourraient être de bons paramètres pour monter une sorte d’affaire modèle », a déclaré « Patricia », la jeune femme âgée de 18 ans à l’époque qui le suspecte d’avoir posté ses nudes en ligne. Selon elle, l’émission Catfish a donné l’impression que les personnes qui sont ainsi ciblées sur le net sont souvent « des romantiques désespérées qui voient soudain apparaitre des red flags ». Mais, dit-elle, « c’est tellement plus sournois et profond que ça ».En fin de compte, a déclaré Patricia en parlant d’elle-même et des autres femmes, « nous devons vraiment nous mobiliser. Ça devient un travail à plein temps de nous organiser et de traquer les forces de l’ordre pour leur dire qu’elles doivent vraiment prendre ça au sérieux, que c’est important. C’est toute une autre couche qui s’ajoute au traumatisme. Si on veut qu’on nous écoute, il va falloir forcer les gens à le faire. »Pour sa part, Belandres dit qu’il veut juste qu’on le laisse tranquille, que le harcèlement qu’il affirme être dirigé contre lui et sa famille cesse.Cela dit, il nous a confié se demander pourquoi ses relations en ligne semblaient toujours si mal se terminer. Il est entré en thérapie l’année dernière après la mort d’un de ses chiens, et s’est retrouvé à discuter avec certaines des femmes qui l’accusent.« Quand j’ai l’impression qu’on m’a menti, qu’on m’a blessé ou que quelqu’un n’est pas honnête avec moi, nous a-t-il dit, je réagis mal. J’ai envie de croire les gens quand ils me disent quelque chose. Lorsque vous vous souciez de quelqu’un ou que vous aimez cette personne, vous ne vous attendez pas à ce qu’elle vous mente ou qu’elle couche avec quelqu’un d’autre. » Il reste catégorique sur le fait qu’il n’a jamais essayé d’effrayer qui que ce soit, et qu’il veut vivre une vie tranquille — travailler, regarder la télévision, jouer avec ses chiens. Il va à peine sur Internet, a-t-il ajouté.Nous lui avons demandé s’il ressentait du regret ou un sentiment de détresse face aux allégations de toutes ces femmes.« Je me sens mal », nous a-t-il répondu. Une fois, après s’être disputé avec Amy, il lui a envoyé quatre textos, et elle lui a dit plus tard que ça l’avait effrayée. « Je lui ai dit que je me sentais mal de lui avoir fait peur et de l’avoir fait se sentir en danger. Je n’aurais jamais imaginé que c’était ce qu’elle ressentait ».Certaines des femmes, selon lui, ont essayé de revenir dans sa vie après avoir mis fin à leur histoire ; il m’a envoyé des captures d’écran de SMS de plusieurs d’entre elles. On peut y lire des excuses de leur part après des disputes au cours de leur relation, et elles demandent que Belandres les débloque. « Ça va dans les deux sens », a-t-il dit.« Peut-être que nous sommes tous simplement nocifs les uns pour les autres », a-t-il ajouté après un moment.(Peu avant la publication de cette histoire, il nous a également accusés de collusion avec ces femmes. « Je ne suis plus vraiment sûr d’avoir envie de partager quoi que ce soit d’autre avec vous. Pour vous prouver que j’avais plusieurs fois essayé de mettre fin à nos relations, et que je n’étais pas un obsédé ou un type qui ne pouvait pas accepter le rejet, je vous avais envoyé des captures d’écran des messages Instagram de certaines de ces filles qui tentaient de me manipuler pour que je me remette avec elles. Elles ont commencé à supprimer ces messages quelques jours plus tard, et ça pourrait être une coïncidence bien sûr, mais j’espère que vous pouvez comprendre pourquoi je pourrais vous soupçonner de leur avoir partagé ce que je vous avais envoyé. » En aucun cas nous n’avons transmis à ces femmes nos échanges avec Belandres, sauf pour demander à certaines d’entre elles de commenter des affirmations spécifiques de sa part. Les messages auxquels il fait référence n’en ont jamais fait partie.)Les femmes communiquent régulièrement entre elles, formant un groupe stable et solidaire, sinon d’amies, du moins de compagnes de route. Si Belandres a effectivement commis le harcèlement dont elles se plaignent, cette coalition semble être une punition étrange et, à certains égards, appropriée. Terrifié par cette soudaine exposition, rempli de ressentiment envers elles, enfermé dans un cycle sans fin de surveillance des femmes dont il a brièvement rendu la vie misérable, Belandres a maintenant le sentiment désagréable de savoir qu’elles le surveillent en retour.« J’ai été choquée de voir qu’il avait fait ça à tant d’autres filles », a déclaré Alexandra, la femme qui avait menacé de le maudire, lui et sa descendance. « Je pensais sincèrement que j’étais la seule ».Sachant qu’il existe d’autres victimes, elle s’est sentie plus à même de parler de ce qu’elle avait vécu. « Maintenant qu’il y a tout ce groupe de femmes », dit-elle, « c’est le pouvoir énergisant du plus grand nombre contre une seule et unique ordure ».VICE France est sur TikTok, Twitter, Insta, Facebook et Flipboard« Je te battrai facilement au tribunal », a écrit Belandres à Sarah. « Va te faire foutre. »
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