Santé

L’angoisse du confinement quand on est atteint de troubles psychiatriques

confinement coronavirus

Loin des journaux de confinement d’écrivains entourés de glycines dans la douceur de leur résidence secondaire de 150m2, la période d’enfermement forcé, due à l’épidémie de Covid-19, peut s’avérer un véritable calvaire pour des personnes déjà anxieuses de nature. Si les psychiatres peuvent continuer à exercer, et les consultations se faire en visio, les confinés atteints de troubles psychiatriques ou de neurodéveloppement voient leurs crises d’angoisse amplifier par l’isolement dû à la pandémie. Et, davantage que la crainte de la maladie, l’omniprésence d’informations anxiogènes suscitent l’aggravation des symptômes. Cinq d’entre eux expliquent à VICE pourquoi le confinement est une double peine. Entre angoisse, stress et solitude.

Elodie, 29 ans, hypocondriaque, confinée seule

« J’étais en couple depuis mes 16 ans, et là je vis seule depuis décembre. J’étais déjà un peu angoissée à l’idée de vivre seule alors le confinement vient renforcer mes angoisses. C’est un grand bain de solitude, et nous n’avons pas le choix, il faut plonger dedans. Le matin je réalise que ce n’est pas un cauchemar. Je travaille pour une toute petite entreprise, j’espérais pouvoir télétravailler mais notre boss nous met en chômage technique, ce qui n’a pas aidé au niveau de mon taux d’anxiété. J’espérais avoir cette occupation pour penser à autre chose. J’ai toujours été hypocondriaque, je prends régulièrement ma température depuis des années. Ces derniers temps, je la prends deux fois par jour. Le sommeil est un réconfort, même si je fais des cauchemars. Le réveil est le moment le plus dur, je me dis alors “merde, c’est reparti !”. Je me réveille très tôt, oppressée, je sens cette angoisse au niveau du sternum quand j’inspire. Je ne pleure pas, j’arrive à me raisonner, c’est plutôt une “intériorisation”. Je ne prends pas de médicaments, je préfère les huiles essentielles, je fais du yoga chaque jour pour essayer de mieux respirer. Quand je suis enfermée seule j’ai l’impression que demain c’est la fin du monde. Je me parle beaucoup, je me rassure moi-même, je suis aux petits soins pour mes plantes aussi. Je n’ai aucune interaction physique, alors quand je suis sortie aujourd’hui faire quelques courses c’était cool de voir des gens qui restaient souriants. Au Carrefour, il y avait des rayons pleins, ça m’a rassuré.

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Du fait de ma solitude, mes amis et mes parents s’inquiètent. On s’écrit énormément avec mes parents, des sms plusieurs fois par jour. Je fais des listes de choses à faire, pour la satisfaction de cocher. Prendre un bain, laver mes vitres… Je vois au jour le jour. Si je me projette sur une semaine, c’est la panique. J’écris beaucoup dans un carnet, ça met en évidence des émotions que je n’ai pas extériorisées. Être dans le “faire” m’aide beaucoup. Malgré tout, les idées noires reviennent vite. Ce matin j’étais en mode fin du monde… Je suis active en temps normal, l’agitation me manque. »

Clément, 33 ans, bipolaire, confiné seul

« Le diagnostic de bipolarité est récent, il date d’un an. Les troubles anxieux sont déclenchés dans certaines conditions : quand on n’a pas le contrôle, quand on se retrouve dos au mur… La poitrine me serre, ça fait comme un coup de chaleur, ça peut aller jusqu’à une forme de paralysie. Les douleurs vont jusqu’à me faire mal au cœur et déclencher de l’hypertension. En temps normal, j’ai moins d’angoisses. Là, elles sont dues au de ne pas savoir combien de temps va durer cette épidémie. Lire des articles n’arrange rien. J’en arrive à me bloquer, je reste prostré, un peu paralysé. Il faut laisser passer la crise, avec le temps ça se dissipe… Si ce n’est pas une crise d’angoisse, ce sera une colère noire, une envie de taper dans les murs. Là c’est plus difficile de me calmer, je dois faire les cents pas. Je n’ai pas du tout d’interaction avec d’autres personnes, personne à appeler quand ça ne va pas. J’ai du mal à aller vers les autres, vers les associations, alors j’essaye de me calmer avec de la musique, beaucoup de musique. Ce confinement me fait davantage ressentir que j’ai besoin d’une présence. J’ai deux chats, et ça joue déjà beaucoup sur le moral, plus que ce que les gens imaginent.

Mon problème, c’est que j’adore m’informer et assimiler du savoir, donc je n’arrive pas à limiter ce que je vais aller chercher comme infos… Et plus je lis, plus je tombe sur des éléments créateurs d’angoisse. C’est comme une drogue, ce besoin de chercher des infos. Je n’ai pas peur d’attraper le virus, ce qui m’embêterait ce serait de le transmettre. Et ne pas participer à aider les gens est aussi source d’angoisse, le fait de se sentir inutile. Les gens dans ma situation sont déjà très seuls le reste du temps. Là, je me dis qu’un agent de commune qui passerait nous voir, ça ferait du bien. On aurait l’impression de compter pour quelqu’un. Je ne serais pas étonné que des gens n’aillent pas du tout faire de courses pendant le confinement. Les troubles psychiatriques et anxieux sont une autre forme de vulnérabilité, peu prise en compte. Ces gens-là sont des oubliés. »

Nadia, 48 ans, syndrome de stress post-traumatique, confinée avec ses deux enfants adultes

« J’ai vécu une agression il y a 10 ans. Un syndrome de stress post-traumatique (SSPT) a été diagnostiqué. Je fais beaucoup de cauchemars en période de stress, j’ai des tensions corporelles, une inflammation du nerf sciatique, des migraines… Depuis le confinement, les cauchemars sont revenus plus violemment encore, j’ai l’impression d’être un animal en cage, d’étouffer, de ne pas être libre. Ce sont beaucoup de cauchemars sur l’hôpital, avec une sensation d’étouffement, de tomber dans le vide, d’être noyée sous l’eau, je vois des visages en sang. Mon fils est désinvolte, il se balade de maison en maison, sans prendre la mesure du danger. Moi je ne sors que pour faire les courses, avec des gants et un masque. Le SSPT exacerbe mon empathie, je suis inquiète pour les gens que je vois non protégés. Depuis 5 jours, l’angoisse est là toutes les nuits. Une boule au ventre, des tensions au niveau de la nuque, des palpitations. Comme je suis très branchée sur Twitter, ça génère beaucoup de stress, des bouffées de chaleur intense. Nerveusement, c’est très difficile.

Je n’allume pas la télé sinon ce serait puissance 1000. Je suis un peu réfractaire aux médicaments alors j’essaye d’apprivoiser ces angoisses, de vivre avec. Pour tenter d’apaiser tout ça, j’essaye de me déconnecter, j’écoute de la musique, je fais du sport, je regarde des séries, je fais des concours de pâtisseries avec la famille via WhatsApp. Et, surtout, je me plonge dans le Droit, ça m’aide énormément, c’est une véritable passion, je suis en fin de deuxième année. Les pouvoirs publics s’inquiètent plus de l’économie que des personnes. Or, les personnes sujettes à l’angoisse sont encore plus conscientes que les autres du caractère anxiogène de la situation. Il n’y a pas de prise en compte du paramètre “traumatisme collectif”. Pour eux l’humain est secondaire. Et les personnes qui travaillent en ce moment, en première ligne, c’est comme les poilus pendant la 1ère guerre mondiale, on les envoie dans les tranchées. »

Louis, 22 ans, dépressif chronique, confiné chez ses parents

« Je suis diagnostiqué dépressif chronique depuis mon adolescence. Je suis un traitement, la dépression était plutôt stable avant la pandémie. Je faisais une crise d’angoisse par jour environ. Boule au ventre, rythme cardiaque qui s’accélère, difficulté à respirer… Je n’ai pas peur d’attraper le virus, c’est l’omniprésence du terme “coronavirus” et le surplus d’infos qui créent l’angoisse. Je suis très connecté. Normalement je vis seul, mais je dois limiter ma solitude, c’est difficile pour moi d’être seul au quotidien. Etudiant, j’étais en stage vers chez mes parents, alors j’y suis resté pour le confinement. Ma mère est rassurée que je sois là au vu de ma vulnérabilité. Ici, j’ai dû me trouver ponctuellement un autre psychiatre, qui a triplé mon traitement vu mon état d’angoisse. Les crises sont en effet plus fréquentes, quatre à cinq fois par jour. Pour calmer ces crises d’angoisse, j’ai souvent un réflexe médicamenteux. Le nouveau traitement me sédate pas mal, je dors donc beaucoup. Le traitement sera réduit par la suite. Quand je vais en voiture chez le psy, j’ai l’impression de traverser une ligne de front, un monde post-apocalyptique. Cette ambiance générale, cette sensation de se sentir aspiré par le flux d’informations, font ressurgir des pensées négatives et irrationnelles.

Le stage est à l’arrêt pour le moment. Alors je m’aménage des moments de musique, j’essaye de faire des exercices de respiration, je demande conseil à des amis pour des films sympas et légers. J’essaye de m’éloigner des réseaux sociaux même si je suis un peu accro. La résurrection des jeux en ligne, comme Le loup-garou, m’a pas mal détendu. J’instaure une routine, des rituels, pour ne pas perdre pied et rester en pyjama toute la journée. Mais j’ai peur que dans les jours à venir, des gens mettent fin à leurs jours. Les dépressifs, les bipolaires, sont un peu les oubliés. La quarantaine, l’isolement, va mettre des gens à mal. Porter une attention à ces personnes n’est pas pensé sur le long terme. »

Manon, 21 ans, trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, confinée seule

« L’anxiété se traduit chez moi de différentes manières, surtout quand je n’arrive pas à m’organiser. Je suis étudiante, il m’est difficile de rester concentrée en cours, et l’angoisse monte quand il y a trop de bruits, trop de personnes qui parlent. J’ai aussi beaucoup de troubles du sommeil. Mon confinement se fait seule, dans ma chambre d’étudiante. Je croise seulement les voisins ou le gardien. C’est difficile de ne voir personne, on a besoin d’être stimulé… Je me souviens d’avoir très mal vécu trois semaines de révisions où j’étais seule. Heureusement, j’ai des cours en visioconférence et des appels réguliers de mes amis et ma famille. J’ai eu un moment de déprime à l’annonce du confinement, j’étais déboussolée, d’autant que mon traitement avait commencé à me stabiliser. Je dois me couper un peu des infos car je n’arrive pas à trier, je supporte mal. Les crises d’angoisse me vident de mon énergie, j’ai le cœur qui bat plus vite, la poitrine qui se serre, la tête qui vrille, qui ne suit pas, j’ai besoin de respirer. Je me sens bombardée d’infos, et je perds un peu connexion avec la réalité. Les infos me font effet à retardement. Je regarde, puis quand mon cerveau aura traité les infos, ça va monter d’un coup. D’abord une angoisse mentale, trop de questions auxquelles je ne peux pas répondre. Puis la sensation physique.

Ce qui m’angoisse, c’est l’incertitude, cette situation où on ne peut pas prévoir ce qui va se passer. J’ai l’impression d’être hypersensible, une fois j’ai dû appeler une amie jusqu’à 5 heures du matin. Avec la solitude, j’ai peur que m’arrivent des hallucinations. Au milieu de tout ça, on se sent mal de se sentir mal, car on se dit qu’il y a pire que nous. Alors la musique va me calmer, la méditation aussi. Je coupe les réseaux sociaux, je fais des mouvements de danse ou de yoga. Les séries c’est bien aussi, ça fait illusion pour le cerveau d’une présence. Le plus important est de garder un rythme, de continuer à s’envoyer des choses douces et positives. »

Virginie Leblanc, psychologue-psychanalyste en libéral. A fermé son cabinet, consulte par Skype ou téléphone

« Cette crise sanitaire et le confinement vont agir comme un révélateur. Pour certains de nos patients, la solitude va être supportable. Pour d’autres, cela constituera un véritable isolement et risque d’accentuer des angoisses déjà présentes. Cela peut même révéler une structure psychique, quelque chose qui était là, sous-jacent, depuis toujours.

Pour certains des analysants que je reçois, parmi les plus fragiles, le virus, s’il est une figure invisible, flottante, constitue un Autre « solide », dans le sens où il est un « méchant » localisé. J’ai ainsi une patiente qui est soulagée d’être cloîtrée chez elle pour éviter de l’attraper. Dans ces cas, rester chez soi peut avoir un effet contenant. Mais pour la majorité de ces personnes déjà fragiles, l’angoisse sera maximisée, avec une difficulté à se concentrer sur autre chose que la pandémie. La rencontre physique avec l’autre, et surtout son psy, a toute son importance. Il s’agit donc de maintenir un fil, au minimum par la voix. La majorité de mes patients, cependant, pour l’instant (car les choses vont s’inscrire dans le temps), me disent qu’ils préfèrent plutôt attendre qu’on se revoit.

Nous, professionnels du soin psychique, sommes très vigilants à garder un contact avec ces patients, même si, en libéral, les psychologues n’ont reçu aucune consigne directe de l’ARS. C’est de la responsabilité de chaque psy de maintenir un maillage. Il faut construire avec chaque patient sa solution pour traiter son angoisse. On est là pour ça, pour inventer avec eux. Pour contenir les angoisses, écrire peut constituer un véritable soutien. Ainsi les analysants peuvent m’écrire un mail, ou une lettre. L’écriture peut border les angoisses : s’adresser à quelqu’un dans ces moments d’isolement c’est s’assurer une figure de l’Autre permanente. Écrire, c’est alors constituer une présence dans l’absence. Mais oui, j’ai peur pour mes patients les plus fragiles. Comment vont-ils s’en sortir, revenir de cette épreuve ? En cette période où personne ne peut véritablement dire ce qui va advenir dans les semaines qui viennent, comment incarner cette figure d’adresse contenante ? C’est ce qu’il nous faut inventer ces jours-ci. Et puis la vie psychique continue, il nous faut donc continuer à l’accueillir, la faire vivre aussi. »

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