Des laxatifs pour le dîner : ma vie de mec anorexique

Cet article a été initialement publié sur Broadly Allemagne.

C’est un fait devenu aujourd’hui une évidence : les troubles alimentaires, en particulier chez les jeunes femmes, sont en hausse. À cause d’attentes irréalistes, les gens grandissent en pensant que – quel que soit leur poids – ils sont toujours trop gros. Les conséquences : selon le Centre fédéral allemand d’éducation pour la santé, 1,1 pour cent des femmes et 0,3 pour cent des hommes sont anorexiques.

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Mon nom est Michael Buchinger. Je suis youtubeur et j’avais 18 ans quand mon anorexie a atteint un sommet. En tant que « personne influente », mon boulot consiste à faire de ma vie un livre ouvert pour mes followers. De mes posts Instagram à mes gueules de bois en passant par mes coloscopies, il y a très peu d’aspects de mon quotidien que je ne partage pas sur Internet.

Récemment, je me trouvais au bord d’un lac en compagnie de mon amie Sarah. Dans un moment d’affection amicale, j’ai posé ma jambe sur son genou. Elle a crié de douleur. « Aïe, ta jambe est tellement lourde », a-t-elle hurlé, comme si je venais de verser de la soupe chaude sur son vagin. Vexé, j’ai envisagé de la noyer dans le lac.

Puisque je ne lui ai jamais parlé de mon anorexie, Sarah ne pouvait pas savoir que sa réflexion déclencherait les souvenirs de mon trouble.

J’avais 18 ans lorsque j’ai commencé à sérieusement détester mes jambes. Je n’étais pas particulièrement enthousiasmé par le reste de mon corps, mais je trouvais mes jambes vraiment repoussantes. Ce n’était pas entièrement de ma faute : les années précédentes, certaines personnes m’avaient fait comprendre que mon corps était tout sauf OK.

Il y a eu ce dîner, par exemple, où des amis de mes parents m’ont demandé – en fixant mes jambes – si j’avais le droit de manger autant que je voulais, ou si mes parents m’arrêtaient parfois. « Bien sûr que j’ai le droit ! », leur ai-je répondu sèchement, en engloutissant un petit pain.

Le message était clair : j’étais un poil trop épais et ce n’était pas bien. J’avais déjà essayé à plusieurs reprises de perdre du poids en faisant un régime et du sport, mais à chaque fois, j’avais lamentablement échoué. J’ai été obligé, à l’âge de 18 ans, de « refréner mes pulsions ».

Désormais incapable de manger plus d’un repas par jour, j’ai dû me montrer créatif pour éviter l’œil vigilant de ma mère. Un jour, je lui ai annoncé qu’à partir de maintenant, j’allais prendre mon petit-déjeuner dans ma chambre, comme Hugh Hefner et son brunch tranquille au coeur du manoir Playboy. Je suis connu pour être un peu bizarre, donc personne n’a remis en question ma demande excentrique.

Dès que le toast arrivait sur mon bureau et que ma mère quittait la pièce, je mettais rapidement ces glucides criminels dans ma lunch box, avalais un laxatif avec mon café, et partais à l’école. Une fois arrivé, je filais mon petit-déjeuner à un enfant et allais en cour, fier de moi.


L’auteur et ses amies. Capture d’écran via YouTube

Entre les six heures de cours, la douleur causée par mon ventre vide et les laxatifs à action lente, je devais ressembler au cadavre dans Week-end chez Bernie . Pendant la pause déjeuner, je conduisais à toute allure jusqu’au supermarché le plus proche pour me jeter sur une petite salade de fruits (qui contenait 200 grammes de fruits) et une boisson énergisante.

Je mangeais mon repas, qui était le même tous les jours, sur le parking du supermarché. Parfois, des personnes âgées s’arrêtaient et s’exclamaient : « Regardez ça ! Ce jeune homme mange des fruits dans sa voiture ! Que c’est sain ! » Je leur faisais signe en souriant. J’ai hâte de chier tout ça , me disais-je.

Mais le vrai art ne résidait pas dans le fait d’éviter la nourriture, mais plutôt dans mes mensonges. En rentrant de l’école, je m’empressais de parler à ma famille du délicieux repas que j’avais mangé le midi avec mes amis. Le vieux couple du parking compte-il parmi mes amis ? me suis-je demandé. À ce moment-là, j’étais encore mal à l’aise à l’idée de mentir à mes parents.

Après le dîner – mon premier vrai repas de la journée – je m’entraînais devant un DVD de fitness. Mon choix : Kim Kardashian : Fit in Your Jeans by Friday ! En y repensant, je comprends qu’une séance d’entraînement avec Kim Kardashian n’était peut-être pas la meilleure façon de maigrir des cuisses.

Un jour, ma mère a décidé de compliquer encore plus le rapport que j’entretenais avec mon corps. « Michael, nous savons que c’est un peu inattendu, mais nous avons décidé d’aller en vacances à la mer en Espagne le mois prochain. Pendant sept jours, ce ne sera qu’amusement, soleil, plage, plage et encore plage ! »

Je regardais avec plaisir des documentaires sur les anorexiques en me disant « incroyable » ou « les pauvres ! » alors que j’avais eu pour seul dîner une clope et des laxatifs.

Un enfant normal aurait probablement été ravi à la perspective de telles vacances. Ne vous méprenez pas : j’étais très heureux, mais ça voulait dire qu’il me fallait intensifier mon régime. Ma mère avait dit « plage » trois fois, sauf que mon corps était loin d’être prêt pour la plage-plage-plage. J’ai commencé à jeûner plusieurs jours par semaine, tout en utilisant des laxatifs pour maintenir mon métabolisme en mouvement.

Ce qui est le plus fascinant, c’est que je ne réalisais pas à quel point j’étais anorexique. Dans ma tête, je faisais simplement attention à mon alimentation. Je me disais que je pourrais tout à fait me remettre à manger normalement après les vacances, si je le voulais. Je regardais avec plaisir des documentaires sur les anorexiques en me disant « incroyable » ou « les pauvres ! » alors que j’avais eu pour seul dîner une clope et des laxatifs.

Lorsque nous avons atterri en Espagne un mois plus tard, j’avais l’impression d’avoir couru un énorme marathon.

Certes, grâce à mon régime, j’avais effectivement perdu beaucoup de poids. Mais j’étais surtout complètement épuisé et prêt à tuer ceux qui avalaient des glucides en ma présence. Cependant, la vraie surprise s’est avérée être la plage.

Alors que je m’attendais à ne voir que des tailles de guêpe, j’ai trouvé exactement le contraire : des hommes potelés qui lisaient des tabloïds et des retraités dodus en pantalon de yoga. La société – contrairement à moi – n’avait aucun problème avec mon corps.


Photo publiée avec l’aimable autorisation de l’auteur

Les vacances en Espagne ont été une véritable purge : j’étais constamment irritable, mon corps me réveillait souvent pendant la nuit et je devais me précipiter dans la salle de bains. Je n’avais même pas assez d’énergie pour rejoindre la plage. Ces vacances ont marqué le summum de mon anorexie. Je savais que les choses ne pouvaient pas continuer comme ça.

Je serais ravi de dire que j’ai eu une épiphanie à la Mange, prie, aime et que j’ai immédiatement recommencé à manger normalement et à profiter de la vie au maximum. Malheureusement, ça ne s’est pas passé exactement comme ça. Souvent, j’avais l’impression d’être partagé entre deux personnalités : une qui voulait que j’aille mieux, et l’autre qui continuait à nier la réalité de mon anorexie. Après les vacances, je suis allé voir un médecin, mais j’ai saboté l’examen en buvant trois litres d’eau juste avant, afin de peser plus.

« Je ne vois rien qui cloche chez vous », m’a dit mon médecin. « À votre âge, je pesais le même poids. N’écoutez pas ce que disent les autres, Michael ! » Au bout de cinq minutes, il m’a salué d’une tape dans le dos.

Plus que mes habitudes alimentaires, l’obstacle réel à mon rétablissement était d’ordre psychologique : je devais comprendre que quiconque m’offrait un morceau de gâteau n’était pas un ennemi juré essayant de saboter ma ligne.

Les choses ont changé une fois que je suis parti de chez mes parents. Il se trouve que ce que j’aimais le plus dans l’anorexie, ce n’était pas mon corps plus lisse, mais les mensonges que je racontais à mes amis et ma famille quand je faisais croire à ma mère que j’avais mangé avec des amis en ville et que je me sentais « super bien ». Sans la possibilité de mentir à mes proches, il m’était plus difficile de me convaincre que ma routine était aussi inoffensive que le dernier régime de Beyoncé.

Alors qu’avant, mes cuisses étaient ma principale préoccupation, j’avais maintenant peur de mourir si personne n’intervenait et me forçait à manger une fois de temps en temps. Mon anorexie avait gravement affecté ma circulation et j’étais souvent au bord de l’évanouissement. Et si les chiens du quartier trouvaient mon corps ? ai-je pensé. Cela a marqué la fin spectaculaire de mon anorexie.

Bien sûr, l’anorexie ne se soigne pas du jour au lendemain. Petit à petit, j’ai dû réapprendre à manger régulièrement. J’ai essayé de manger autant de repas que possible avec des amis.

Plus que mes habitudes alimentaires, l’obstacle réel à mon rétablissement était d’ordre psychologique : je devais comprendre que quiconque m’offrait un morceau de gâteau n’était pas un ennemi juré essayant de saboter ma ligne. Et que des réflexions comme : « Michi, tu as grandi ! » étaient en fait des compliments et certainement pas une raison de mettre fin à une amitié.

Même si je savais que l’anorexie n’était pas le plus drôle des sujets de conversation (et que des déclarations comme « Hey les gars, mes selles sont à nouveau normales ! » n’inspirent pas vraiment les masses), j’ai tout de même parlé de ma situation à mes amis les plus proches. Ma décision de parler ouvertement de ma maladie s’est avérée être d’une aide précieuse.

Pour la première fois depuis longtemps, je n’essayais pas de convaincre mes amis que je me sentais bien, mais je leur disais simplement la vérité sur moi-même, sur mes problèmes et la longue convalescence qui m’attendait. Une conversation honnête me faisait plus de bien qu’un mensonge au sujet d’un repas somptueux que je n’avais pas mangé.

Cinq ans plus tard, je repense rarement à cette partie de ma vie, et je ne parle pas de ce sujet à mes nouveaux amis (comme Sarah, par exemple). Je vais bien, je suis en bonne santé et je me sens plus prêt que jamais pour la plage. Mais s’il vous plaît, quoi qu’il arrive, évitez de pousser un cri en touchant mes jambes.