Mad Dog est le dernier vrai gars de Vancouver

Photos : Michelle Ford

Ce genre de mecs existe dans tous les quartiers. Le genre de type un peu fou qui joue du synthé avec une jambe de bois ou une femme en cape et qui vend des bijoux avec des pénis en émeraude pour trois fois rien. Dans mon quartier, Mount Pleasant, au sud du centre-ville de Vancouver, ce type est un vieux punk aux cheveux décolorés et il s’appelle Mad Dog.

Videos by VICE

Les premières fois où j’ai croisé Mad Dog, je ne savais pas grand-chose de lui. Tout ce que je savais, c’est qu’il roulait sur une vieille bécane débridée en lunettes de soleil et veste noire. Puis un jour Mad Dog est venu à mon travail et a remarqué mon tatouage des Germs. « T’es un petit punk, hein », il m’a hurlé à la tronche. « Ce groupe était génial ». Il m’a tout de suite intrigué. Après avoir demandé autour de moi, j’ai découvert que Mad Dog n’était pas seulement un artiste – dont l’activité s’étend du retapage de bécanes à la transformation de poupées, en passant par le modelage de répliques miniatures d’anciens hôtels et clubs de vancouver. Il a également été le frontman d’un groupe de hardcore, Slaughter Squad, dans les années 1980. En échange d’une canette et de quelques clopes, j’ai été autorisé à entrer chez Mad Dog, où il m’a raconté comment c’était d’être junkie, fauché et affamé à l’époque de D.O.A., des crackhouses, des soupes populaires et de la liberté gratos.

VICE : Hey, pourquoi tu t’appelles Mad Dog ?
Mad Dog : 
J’étais dans un groupe, Slaughter Squad et pour faire vite, on était un groupe antireligieux. Si tu épelles Mad Dog à l’envers, ça donne quoi ?

God Dam.
Bien vu.

Quand est-ce que Slaughter Squad a commencé ?
Je crois que c’était en 1982. Mon premier groupe s’appelait O.D., mais ça s’est transformé plus tard en Slaughter Squad. Il y avait Pork Face, Randy Bowman et un mec qui s’appelait Martin, dont j’ai oublié le nom de famille.

Comment t’es devenu le chanteur du groupe ?
Comme tout le monde ; je suis monté sur scène et j’ai pris le micro. Mais après deux groupes, j’ai réalisé que je préférais être dans la crowd. J’aimais bien hurler, mais ce n’était pas pour moi. Je me coupais sur scène, comme beaucoup d’autres mecs de la même période. [Il soulève son pull pour me montrer de longues cicatrices sur sa poitrine]

À la Iggy, huh. ça faisait mal ?
Je me coupais jusqu’à saigner à la race et tu me demandes si ça me faisait mal ? [rires] C’était jamais très grave mais à l’époque, tu ne pouvais aller à l’hôpital avec de telles entailles – ces connards t’auraient enfermé dans un asile. Il fallait se soigner soi-même à la maison.

À quoi ressemblait la scène punk de Vancouver au début des années 1980 ?
J’y suis arrivé autour de 1978 et tout était différent à cette époque. C’était très petit, minuscule. Tout le monde avait la dalle. Un punk avec un vrai boulot comme on en voit aujourd’hui, ça n’existait pas. On volait 250 caisses de Carling O’Keefe, on se faufilait à travers des grilles, tu vois, on arrivait dans une fête et on offrait de la bière à tout le monde. Je me rappelle qu’une fois, mon ami Simon Snot Face a volé des cuisses de jambon dans un camion. C’était Noël, il a appelé tout le monde et on s’est régalé. Ça se passait comme ça. Même si tout le monde était fauché, il y avait cette aura bizarre dans la ville qui te donnait envie de sortir tous les soirs. Il y avait tellement de clubs ouverts la nuit. À Yaletown, là où les immeubles bobos règnent aujourd’hui, il n’y avait que de vieux entrepôts. On louait un entrepôt pour trois fois rien, puis son organisait des fêtes dedans pour vendre des bières et nous faire un peu d’argent.

C’était quoi le meilleur endroit ?
Le Smiling Buddha. C’est barricadé avec des planches maintenant, mais c’était le meilleur club du monde. L’acoustique était sans équivalent.

C’était un endroit légal ?
Ouais. 54-40 a appelé un de ses albums comme ça et pourtant, je crois qu’ils n’y ont jamais pas joué.

Qui y a joué ?
Mon groupe, les Dils, les Dishrags, les Go-Go’s, beaucoup de groupes de San Francisco. Cheech and Chong jouaient leurs sketchs là-bas, aussi. J’essaie de me rappeler des noms. Tout le monde jouait là-bas, putain. Tout le monde. C’était il y a putain de longtemps. À chaque fois que j’y étais, j’étais tellement soûl que le lendemain je ne me rappelais plus ce qui s’y était passé la veille ! Alors imagine 40 ans plus tard.

Qui s’occupait de l’endroit ?
Un type qui venait d’Inde, Latchman. Il est mort maintenant, mais à l’époque il avait eu un mariage arrangé avec sa femme, Nancy. Personne n’arrivait à croire qu’elle était sa femme. Elle avait 30 ans alors qu’il en avait genre, 80. Je me rappelle que Latchman avait un poster d’Hendrix d’époque sur un mur. Il datait de quand Hendrix avait joué au Smiling Buddha. En fait, Latchman avait viré Hendrix parce qu’il jouait trop fort. Putain, il l’a viré de la scène. On voulait tous ce poster.

Qui l’a eu ?
Sa femme, peut-être ? Elle a dû le mettre sur eBay. Tout le monde allait au Smiling Buddha. J’ai vu d’autres bars importants, le Cobalt notamment, couler à petit feu. J’y étais le dernier soir ; je parlais à des gens qui disaient « c’est la fin, c’est la fin ! », parce que le Cobalt coulait. Mais tous les endroits ont une fin un jour ou l’autre, puis d’autres ouvrent. D’abord, ça a été le Star Fish Room, le Wind Mill, le John Barley’s, le Smiling Buddha, ils pouvaient fermer n’importe quel club, on en ouvrait un autre. La ville aurait adoré voir le punk disparaître, mais manque de bol, il sera toujours là.

Le punk mourra-t-il un jour ?
Eh bien, nous on pensait que le punk avait crevé en 1986, quand les mannequins de The Bay se sont mis à porter des mowhawks. [Rires]

Mad Dog sort alors son album photo qui contient une collection de photos en noir et blanc pris par une « photographe punk » de Vancouver, Bev Davies. Elle prend encore des photos de concerts aujourd’hui.

Ça c’est « Fetus ». Ça remonte au temps où être punk était un truc chaud – quand tu sortais acheter un paquet de clopes, tu te faisais casser la gueule par des rednecks de merde. « Fetus » jouait dans plusieurs groupes de garage.

Ça c’est Simon Whiles et Roger. Ce sont les tout premiers skinheads à avoir atterri ici. Nous, on ne savait même pas ce qu’était un skinhead, tu vois ? Quand des connards venaient dans nos clubs pour nous péter la gueule, ces mecs en dégommaient dix d’un coup ; c’est comme ça qu’on a compris ce qu’était un skinhead. Roger est mort d’une tumeur au cerveau. Simon « Snot Face » était connu pour être violent. Il n’a jamais joué dans aucun groupe, il était plutôt là pour la sécurité.

Ça, tu sais qui c’est. C’est Darby Crash. C’était à San Francisco.

Ah, Iggy Pop avec sa bite qui pendouille. La première fois que j’ai vu Iggy, Blondie faisaient leur première partie et ils n’avaient même pas encore sorti d’album.

Ça, c’est Candy et la fille sur la droite, c’était la copine de notre batteur. Elle est morte d’une overdose d’héro pas très longtemps après cette photo. En fait voilà, le truc : quand le punk a commencé, tout le monde était contre les drogues dures, mais petit à petit elles sont devenues populaires. Deux ans plus tard, la moitié des punks étaient junkies et l’autre moitié était farouchement contre la dope. Le mouvement s’est vraiment divisé à ce moment-là.

Voilà les Subhumans pendant leur première période. Dimwitt, il est mort maintenant. Jerry « Useless » Hannah faisait partie des Squamish Five, un groupe de punk qui a essayé de faire exploser un barrage avec des mitraillettes et de la dynamite. Il a chopé 15 ans de taule pour ça. Il a fait sa peine et est sorti, à la condition qu’il ne joue plus avec les Subhumans, mais bon, il le fait encore. Ils voulaient vraiment faire exploser le barrage pour faire déborder le lac, bloquer le flux naturel de saumons et déplacer des milliers d’habitants hors de leurs terres, ah, ah ! C’était politique. Ils n’en parlaient à personne – on était bons amis, pourtant –  mais les Squamish Five étaient dans la ligne de mire des services de renseignement. Et puis voilà, ils se sont faits choper. Le truc, c’est que je traînais tous les jours avec Jerry Useless et je n’étais au courant de rien du tout jusqu’à ce qu’ils se fassent choper.

Ça, c’est moi quand j’étais encore beau. C’est Agida à côté de moi. C’était ma copine pendant un temps. Un jour, elle a quitté Vancouver avec un motard et plus personne n’en a jamais entendu parler. C’est bizarre parce qu’elle était proche de sa famille – on pense tous qu’elle est morte. On n’a jamais trouvé le gars avec qui elle est partie. Je ne l’ai jamais rencontré, j’en ai juste entendu parler après notre rupture.

Ça c’est moi avec Mary [Jo Kopechne] des Modernettes.

En quoi le fait d’être junkie a-t-il affecté ta vie ?
Eh bien, déjà, j’avais une collection de vinyles impressionnante que je n’ai plus depuis. Dès que j’avais un peu d’argent, j’allais acheter des vinyles. Ensuite, je suis devenu  junkie et j’échangeais 20 albums rares pour un gramme de rabla. À l’époque où je vendais mes vinyles, les CD faisaient leur apparition et tout le monde pensait que c’était la fin du vinyle. J’étais loin de me douter que ça allait être l’inverse. [Rires] Je n’arriverai jamais à me refaire une collection comme celle-là… Il faudrait que je gagne au loto.

Ça te fout pas le cafard à présent que tu es clean ?
Si, mais qu’est-ce je peux y faire ?

Tu prenais quoi ?
De la coke, de l’héro et beaucoup de M.D.A. La meth était ma drogue préférée.

Pourquoi ?
Tu pouvais être excité pendant trois jours entiers. [Rires] Je sais pas, je me sentais bien quand j’en prenais. Quand t’es fauché et déprimé – enfin j’étais pas déprimé parce que j’étais tout le temps défoncé – et que tu ne prends pas de M.D.A., tu n’as plus de grandes raisons de vivre. J’avais pas d’argent. Rien. En fait, je traînais toute la journée en faisant la pub pour des concerts pour ensuite y rentrer gratuitement et économiser 3 dollars. La meth était ma drogue de prédilection mais en vérité, je prenais tout ce qui traînait. Mon appartement est devenu une salle de shoot. Aujourd’hui, quand tu vas à Hastings, les mecs se défoncent dans la rue, même devant les flics ! On ne faisait pas ça de mon temps ! Les flics étaient des mouches à merde. Ils étaient durs avec nous. Ils nous traitaient comme de la merde et nous frappaient pour rien. Quand j’étais junkie, les seringues étaient super dures à trouver. Tout le monde savait qu’il fallait être pote avec un diabétique pour qu’il te chope un sac de seringues. Les temps ont changé. Il n’existait pas d’endroits pour avoir des seringues propres comme aujourd’hui – avec toutes ces salles de shoots légales de Vancouver. Alors tu vois, si t’avais des seringues, un ami venait chez toi et disait, « je te donne une dose contre deux seringues propres ». Très bien. À l’époque, je vivais dans le West End, dans un immeuble qui s’appelait le Mayfair. Il existe encore aujourd’hui.

Je le connais. Avant, je vivais sur Nelson Street.
Ouais, c’est là. Quand je vivais là, l’immeuble attirait tous les junkies de Vancouver. Le propriétaire était une drag-queen. Au dernier étage, il y avait cet appart avec une sorte de dominatrice dedans. Sa clientèle était faite de docteurs et d’avocats. Elle nous invitait boire un café le matin, mais il fallait être super discret parce qu’un de ses clients était assis, les yeux bandés, sur un bloc de glace ou un truc du genre. Il y avait de la drogue partout, mais aussi beaucoup de musiciens, d’artistes et de poètes – c’était un endroit bizarre et c’est ce qu’on aimait.

Des gens connus ?
Mmm. J’aimerais bien garder le peu d’amis qu’il me reste.

Pour plus de punk, allez jeter un œil à la colonne AIN’T IT FUN