Florida Burning : le Jour où des Blancs ont assassiné des Noirs qui ne demandaient qu’à voter

Le 2 novembre 1920, dans la ville d’Ocoee, en Floride, une émeute éclate après que de riches propriétaires noirs ont voulu exercer leur droit de vote lors des élections présidentielles devant départager Warren G. Harding et James M. Cox. Une vaste foule de Blancs s’est alors emparée d’un homme noir pour le pendre. Cette même foule a fini par brûler l’intégralité des maisons de la ville appartenant à des Noirs. Les historiens estiment que le nombre de victimes serait compris entre une dizaine et près de 60, tandis que plus de 500 Noirs auraient quitté dans l’urgence leur domicile. Aujourd’hui, cet événement sanguinaire de l’histoire américaine est plus connu sous le nom du massacre d’Ocoee.

Les élections présidentielles américaines de 1920 étaient les premières à voir les femmes voter. L’historien Paul Ortiz rappelle qu’aux quatre coins du pays, les associations défendant les droits des femmes noires s’étaient mobilisées à cette occasion. Les soldats afro-américains, qui venaient tout juste de rentrer au pays après avoir brillamment combattu pendant la Première Guerre mondiale, défendaient régulièrement leurs droits.

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En amont de l’élection, l’opposition au vote noir s’est faite de plus en plus bruyante. Un tel contexte a favorisé la résurgence du Ku Klux Klan dans le sud du pays. Le KKK a répondu à la mise en place de bureaux d’inscription sur les listes électorales dédiés aux Noirs par des manifestations violentes à Miami et Orlando. L’organisation suprémaciste promettait de faire régner la terreur durant les élections. C’est ce qui s’est produit à Ocoee.

Photo prise à Miami dans les années 1920 durant une parade du Ku Klux Klan destinée à décourager les électeurs noirs de voter. Bettmann/Contributor

L’enchaînement d’évènements tragiques ayant touché Ocoee en ce 2 novembre 1920 a débuté lorsque Mose Norman, un Noir aisé et affranchi connu pour son implication dans l’inscription des membres de sa communauté sur les listes électorales, a tenté de se rendre dans son bureau de vote. Là, à l’image de ce qu’ont vécu de nombreux Noirs résidant dans le comté floridien d’Orange, Norman a été chassé par des Blancs, qui l’ont empêché de voter.

Dans la William and Mary Law Review, la diplômée de droit Melissa Fussell a raconté le déroulement de cette journée. « Lorsqu’un Noir voulait voter, écrit-elle, les fonctionnaires bafouaient systématiquement ses droits en prétendant qu’il n’était pas inscrit sur les listes – sachant que la seule personne habilitée à trancher se situait à des kilomètres de là. En effet, le juge du comté d’Orange, un dénommé Bigelow, avait quitté la ville pour permettre aux Blancs d’empêcher les Noirs de voter. »

Néanmoins, Mose Norman était un homme intelligent. Il s’est immédiatement rendu à Orlando pour y rencontrer un autre juge et discuter avec lui des possibilités d’attaquer en justice tous ceux qui violaient ses droits. Après ça, il est retourné dans son bureau de vote pour se confronter aux Blancs. La situation était simple : soit les assesseurs comptabilisaient son vote, soit ils donnaient leurs noms afin que Norman puisse en faire mention auprès du juge. À partir de ce moment-là, les choses ont empiré et la violence a fait son apparition.

D’après certains témoignages, Norman aurait quitté la ville juste après avoir voté, conscient que le drame n’était qu’une question de minutes. D’autres spécialistes affirment que Mose Norman serait passé voir son ami July Perry, un autre propriétaire noir d’Ocoee, qui l’avait aidé à inscrire des électeurs noirs. Les Blancs du coin, très agressifs envers ces deux hommes, auraient eu vent de cette rencontre et se seraient rendus au domicile de Perry – que Norman venait tout juste de quitter.

Armée de pistolets, la foule blanche aurait alors tiré sur la maison, poussant les membres de la famille Perry à répliquer. Deux Blancs auraient été touchés, forçant ainsi les assaillants à battre en retraite. Par la suite, la foule serait revenue et aurait capturé July Perry. Placé en détention à Orlando, ce dernier aurait été lynché dans les jours qui suivirent – c’est ce qu’affirme notamment Jason Byrne, spécialiste de l’histoire de la Floride.

La maison d’un Noir en flammes. Rosewood, Floride, trois ans après le massacre d’Ocoee

Ce qui est certain, c’est que gagnée par l’ivresse de la violence et assoiffée d’hémoglobine, la foule a dirigé sa colère contre deux quartiers noirs d’Ocoee. Les Blancs ont brûlé des habitations, des églises et des écoles réservées aux Noirs. Ces derniers ont bien tenté de riposter mais les Blancs l’ont emporté et ont torturé ceux qui ne voulaient par partir. Parmi ces résistants se trouvait James Langmead. Selon Melissa Fussell, Langmead aurait été castré pour avoir fait preuve de bravoure.

« Une femme enceinte a péri dans sa maison car elle pensait ne pas être assez rapide pour échapper aux Blancs, ajoute Fussell. Sa mère est morte à ses côtés car elle ne pouvait se résigner à la laisser seule. »

À l’issue de cette journée, 500 Noirs quittèrent leurs terres. Le Ku Klux Klan mit en place un embargo autour de la ville pour s’assurer qu’aucun Noir n’essaierait de rentrer chez lui. Pendant ce temps-là, des Blancs saisirent leurs propriétés.

La brutalité du massacre d’Ocoee n’est qu’un exemple de plus de la difficile acquisition des droits les plus basiques par les Noirs américains. De la naissance de la nation américaine à aujourd’hui, en passant par la guerre de Sécession et l’ère Jim Crow, la communauté noire a toujours fait face à de nombreuses barrières.

Si le meurtre n’est plus utilisé par les Blancs pour s’opposer au droit de vote des Noirs aux États-Unis, de nouvelles stratégies ont vu le jour, à l’image des nombreuses campagnes de lutte contre la « fraude électorale », qui ne sont en réalité que des tentatives déguisées de supprimer des listes électorales des personnes issues des minorités. D’après Jennifer Clark, spécialiste des questions relatives au droit de vote des minorités, le nombre de lois remettant en cause les droits des électeurs les plus démunis a explosé depuis 2010. Clark pense que la récente décision de la Cour Suprême dans l’affaire Shelby County v. Holder pourrait aggraver la vulnérabilité des électeurs noirs car elle a supprimé de facto une partie du Voting Rights Act – qui était notamment destinée à contrôler des États qui traînent derrière eux une longue histoire de discrimination raciale.

Jennifer Clark ajoute que des études fiables prouvent qu’il n’y a pas de crise liée à la fraude électorale sur le territoire américain. Les législations récentes résultent selon elle d’un racisme qui ne dit pas son nom. Une telle accusation n’a pas dissuadé le Parti républicain de soutenir des loi discriminatoires et d’influer sur la localisation des bureaux de vote de manière à les rendre difficilement accessibles aux minorités et aux plus démunis. La cour d’appel des États-Unis pour le cinquième circuit a précisé en 2016 que ces mêmes lois avaient eu un impact discriminatoire sur les Afro-américains et les Latinos.

« Les personnes qui s’opposent au droit de vote des minorités n’abandonnent jamais », m’a rappelé le révérend Jesse Jackson. « Il n’y a aucune preuve de fraude électorale massive depuis 2010 », ajoute-t-il. C’est sans doute en interrogeant le passé et en se souvenant des exactions subies par les minorités que les responsables américains se doivent de s’opposer à de telles stratégies.

Deborah Douglas est sur Twitter.