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Matière à réflexion : fabriquer le miroir d’un télescope géant

Galilée n’a pas inventé le télescope, mais il aurait pu. Avant que le polymathe italien ne mette son nez dans le domaine de l’optique, les astronomes devaient travailler avec des lunettes grossissant 3 fois – ce qui est un peu juste lorsque votre activité consiste à observer des objets célestes situés à des millions de kilomètres de la Terre. Moins d’un an après avoir fabriqué son premier télescope, en 1609, Galilée a modifié les instruments existants afin qu’ils atteignent un grossissement x20 – ce qui a contribué à la découverte des quatre lunes joviennes, ou encore à celle des taches solaires.

Aujourd’hui, en matière d’observation du cosmos, les astronomes sont presque entièrement dépendants des télescopes. Ceux-ci ont atteint une taille et une complexité qui les rendraient méconnaissables aux yeux de Galilée. A la pointe du domaine, le télescope géant Magellan est le premier exemplaire d’une nouvelle classe d’instruments optiques terrestres, nommée “Télescopes géants” ou Extremely Large Telescopes (ELT).

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Lorsque le télescope géant Magellan (TGM) sera opérationnel, d’ici le début des années 2020, son ouverture effective – qui permet de mesurer la “force optique” – sera deux fois plus importante que celle des plus grands télescopes optiques actuels. Cet exploit technologique est le résultat des avancées dans la fabrication des lentilles géantes qui composent le TGM, comme le savent les scientifiques du Mirror Lab de l’Université de l’Arizona, le laboratoire auprès duquel les astronomes passent commande lorsqu’ils ont besoin d’un miroir de plusieurs dizaines de mètres de large.

On a atteint la limite de taille d’un miroir que l’on peut mouler et déplacer“, m’explique Robert Shelton, président du consortium international d’universités qui construit le télescope, Giant Magellan Telescope Organization. “C’est vraiment un exploit d’ingénierie incroyable.

Comparaison de la taille des miroirs des plus grands télescopes au monde. Le TGM est représenté en bas à droite. Image : Wikimedia Commons

Vendredi dernier, le Mirror Lab a coulé le 5ème des 7 miroirs qui formeront le TGM. Les opérations se sont déroulées dans une salle aux proportions gigantesques située sous le terrain de football de l’université. Les ingénieurs ont entamé leur travail en grande pompe en faisant entrer pas moins de 20 tonnes de verre en fusion.

Le moule hexagonal où seront placés les blocs de verre. Image : Giant Magellan Telescope Organization

À ce stade, le four circulaire est chauffé à 1165°C et tourne à la vitesse de cinq tours par minute pendant quatre heures. Selon Shelton, cette rotation lente permet de s’assurer que le miroir est moulé selon une forme parabolique, ce qui réduit la quantité d’opérations de mise en forme par rapport à un miroir moulé à plat.

Le four en rotation du Mirror Lab. Image : Giant Magellan Telescope Organization

Après que le verre liquéfié a coulé dans le moule hexagonal et que le tout a été mis au four, la machine ralentit sa vitesse de rotation et le verre sera laissé à refroidir pendant trois mois environ.

À l’issu du délai de refroidissement, le verre est prêt à être formé et poli afin d’éliminer toutes les imperfections de surface. Pour ce faire, les ingénieurs du Mirror Lab utilisent des machines exécutant un algorithme spécialement conçu pour assurer un polissage spécifique, adapté aux spécifications requises pour le télescope. À la fin du processus – qui dure un an et demi environ – le miroir possède une précision de l’ordre d’un vingtième de la longueur d’onde de la lumière, ce qui correspond environ à un millième de l’épaisseur d’un cheveu humain.

De la commande du verre au stockage du produit fini, il faut compter 5 ans minimum. Ainsi, le moulage du cinquième miroir du TGM correspond à une étape de développement d’un processus qui dure depuis plus d’une décennie. La confection du premier miroir a commencé en 2005 et s’est terminée en 2012. Il est actuellement stocké près de l’Université de l’Arizona, dans l’attente d’un voyage qui l’emmènera jusqu’au désert d’Atacama au Chili, le lieu d’élection du TGM.

Selon Shelton, tous les miroirs du télescope seront prêts d’ici 2023. Il espère que le TGM fera ses “premiers feux” – c’est-à-dire sa première observation – d’ici 2026. Cela fera du TGM le premier de la lignée des trois télescopes géants actuellement en construction. Ses deux compagnons – le Télescope de Trente Mètres à Hawaï et le Télescope géant européen au Chili – ont vu leur développement retardé ces dernières années suite à des problèmes de protection du territoire et de financement.

Des techniciens posent les blocs de verre sur le moule du four. Image : Giant Magellan Telescope Organization

Selon Shelton, une fois que le quatrième miroir aura fini d’être poli, il sera expédié au Chili en compagnie des miroirs 1, 2 et 3 dans des conteneurs massifs qui coûteront 400 000 $ chacun. Ils seront ensuite conduits au sommet de la montagne qui accueille le bâtiment du TGM, à la vitesse vertigineuse de 3 km/h – qui permet d’assurer la sécurité des miroirs. Enfin, ils seront montés pour les tests initiaux et participeront à quelques expériences le temps que les miroirs restants soient installés.

Une fois en fonctionnement, le TGM sera un atout majeur pour les astronomes optiques. Ses sept miroirs formeront un télescope au diamètre d’ouverture effective de 24,3 mètres. À titre de comparaison, c’est environ 2,5 fois plus grand que le plus grand télescope actuel (le Gran Telescopio Canarias en Espagne), ce qui permettra de produire des images dix fois plus nettes que le télescope spatial Hubble pour le spectre infrarouge.

Vue d’artiste du TGM. Image : Wikimedia Commons

Le télescope sera au centre de plusieurs projets de recherche, dont une enquête sur les origines des éléments fondamentaux – comme le carbone et l’azote, la formation des premières étoiles dans l’univers, ou la nature de la matière noire et de l’énergie sombre. Il nous permettra également de détecter de nouvelles exoplanètes dans la Voie Lactée.

D’ici là, les chercheurs continueront à travailler sans relâche dans cet extraordinaire laboratoire souterrain qui moule du verre fondu afin de nous donner un meilleur aperçu du cosmos.