Je cultive encore l’anti-ambition

Vous savez ce qui est amusant ? Après avoir écrit que le travail est la pire chose que notre civilisation ait inventée, on m’a offert le job dont je rêvais. C’était il y a trois ans. Comme j’ai bien compris le message que m’envoyait l’univers, j’ai depuis fait le choix d’élargir cet axiome à tous les pans de mon existence – avec l’espoir de jouir de la même réussite. Résultat : j’ai toujours mon emploi, mes amis acceptent encore de me fréquenter et ma vie sentimentale et sexuelle est presque satisfaisante. Je sais que les suites sont toujours ratées, mais trois ans après, il est temps de faire le bilan de ces années de non-ambition afin de savoir si j’aspire toujours à conquérir le sommet de la pyramide de Maslow.

TRAVAIL
R.A.S. Le travail est un cancer que nous ne vaincrons jamais. Il transforme les gens en êtres dépressifs et mesquins – l’un n’empêchant pas l’autre – et va même jusqu’à les tuer. Depuis trois ans, les gens autour de moi tombent comme des mouches. Et ceux qui se tuent à la tâche dans l’espoir de décrocher une augmentation annuelle de 2 % ne sont que des âmes perdues au royaume du capitalisme. La preuve ? On m’a récemment demandé pourquoi je posais des congés puisque je ne comptais pas me lancer dans un road trip en Amérique du Sud à bord d’un combi Volkswagen. J’ai froncé les sourcils et n’ai pas répondu à cette personne, estimant qu’il était déjà trop tard pour lui venir en aide.
Ma non-ambition me permet d’avoir le raisonnement suivant : ne pas travailler est mieux que de travailler. Cela me rappelle ce matin terrible où dans le métro, j’ai croisé cette fille qui portait un sac avec l’inscription : « Faites un break. Venez travailler ». Mon job reste ce truc qui occupe mes journées et maintient mon cerveau à un niveau fonctionnel, mais ça s’arrête là. Il est comme ma vaisselle : je dois le faire, c’est tout. Depuis trois ans, je refuse toujours rester au boulot après 18 h 30 et personne n’a cherché à me licencier. À vrai dire, on m’a même proposé plus d’argent. Vous devriez en faire autant.

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SEXE ET SENTIMENTS
Quand vous n’attendez plus rien des relations avec autrui, les choses ne peuvent que s’améliorer. Par exemple, je ne vais jamais dans un bar (à pétanque ou à cocktail) dans l’espoir de rencontrer quelqu’un. Je ne suis sur aucune application de rencontre. Je n’ai jamais utilisé Tinder, puisqu’aux toilettes je préfère regarder vos stories Instagram. Comme pour toutes les choses récréatives, le sexe peut être décevant. Trop d’alcool, trop de drogues (ou trop de lumière). J’ai donc placé mes exigences à un niveau proche de zéro afin de me réserver le droit d’être surpris par la vie.
Si d’un côté je n’attends rien, de l’autre je ne fais pas vraiment d’efforts. Quelles pourraient être les conséquences d’un tel don de soi ? Que ma partenaire parle de moi à ses copines comme d’un « bon coup », ce qui me placerait au niveau d’un barman – idée qui m’est insupportable. La non-ambition m’a aussi permis d’accepter la défaite plus facilement. Si les choses tournent mal, mes faibles attentes m’auront protégé de tout instant de malaise. Pour preuve, Simone Signoret disait au siècle précédent que « Le secret du bonheur en amour, ce n’est pas d’être aveugle mais de savoir fermer les yeux quand il le faut. » Je ferme les yeux le plus souvent possible. Pour l’instant, cela semble plutôt porter ses fruits. Ne rien attendre du sexe est comme ne rien attendre d’une réunion : cela revient à accepter calmement l’idée qu’aucune décision intelligente n’y sera prise. Et c’est très apaisant.

AMIS
Comme vous le savez sans doute, 25 ans est l’âge où l’on commence à perdre ses neurones et ses amis. Les premiers disparaissent noyés dans l’alcool, les seconds parce que boire est devenu moins intéressant qu’auparavant. À 28 ans, organiser une soirée avec des amis qui habitent dans la même ville que vous peut être aussi compliqué qu’acheminer des vivres dans un pays en guerre. De fait, je ne propose plus rien et attends simplement que la vie m’envoie un message. Étrangement, tout devient plus positif. Le concept même de déception a disparu.
Cette non-ambition amicale m’évite aussi d’être ce pote qui veut toujours faire des trucs « comme avant », tels qu’une soirée défonce dans une boîte d’adolescents, alors qu’à 28 ans, les gens veulent dormir dans des vrais lits et se balader au soleil le lendemain. Pour l’instant, je dois dire que cela est relativement efficace puisque je ne subis plus cet instant tragique où mon message « Yo les gars ça fait quoi ce soir ? » est suivi d’un « Vu par tout le monde », sans réponse. Maintenant, c’est moi qui ne réponds plus.

LE BONHEUR EN GÉNÉRAL
C’est la quête de chaque être humain. Toute notre vie nous cherchons à atteindre « le bonheur ». Mais comme l’extrême-onction, personne ne sait vraiment ce que c’est. De fait, je préfère abandonner immédiatement cette chasse en suivant les conseils d’Honoré de Balzac qui écrivait en 1837 dans Massimilla Doni que « La jouissance du bonheur amoindrira toujours le bonheur. » Cette maxime déprimante peut aisément être résumée d’un lapidaire : ne jouissez pas.
Le bonheur est l’équivalent du laser rouge que vous utilisez pour stimuler votre chat. Vous courrez après mais jamais vous ne pourrez le toucher. Je suis heureux de vous dire que c’est en arrêtant de le chercher que j’ai découvert une forme de paix intérieure. Cultiver la non-ambition à tous les niveaux permet d’accepter que la plupart des choses qui nous entourent nous pourrissent la vie. Ainsi, je peux passer à la seconde phase – n’en avoir rien à foutre de la plupart des choses qui nous entourent. Mais ça, j’en parlerai plus tard.

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