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Photos: Thomas Chéné pour Entorse magazine
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Libres, le temps d'un match de basket

VICE fait équipe avec le magazine « Entorse » qui raconte de belles histoires de basket, sociétales et singulières. Dans le cadre de la sortie du numéro 2, en voici un extrait.

Photos: Thomas Chéné pour Entorse magazine

Entorse est un Ovni dans l'univers de la presse magazine, toujours plus standardisé. Il faut bien l'avouer, la bande à Stéphane Peaucelle-Laurens, directeur de la rédaction, ose et nous rappelle que le papier n'est pas encore mort. Tout est une question de parti pris, de risques et d'audace donc. L'audace d'opter pour un grand format (30X38cm). L'audace de casser certains codes (typo)graphiques vieillots et soporifiques pour proposer au lecteur une publication un peu folle dans sa forme.

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Le fond n'est pas à négliger bien sûr. Au contraire même. Le semestriel de basket offre aux lecteurs une plongée dans la culture basket, à base d'histoires et de photos bien senties qui démontrent que le basket est un sport universel, pratiqué par les stars que l'on admire, mais aussi par des anonymes, pour qui la balle orange est une passion ou un moyen d'oublier un quotidien parfois douloureux. A l'heure de la toute puissance du sport business, Entorse s'attache à remettre les joueurs et les joueuses au centre du parquet, pour le plaisir de nos yeux et de notre esprit.

Dès lors, il nous a semblé naturel de créer une entente avec Entorse. Les ambitions et les valeurs sont partagées : de belles histoires de basket, sociétales et singulières. Dans le cadre de la sortie du numéro 2 du magazine, la rédaction de VICE vous en offre un extrait.


40 détenus ont été autorisés à quitter leur cellule pour participer, pendant une journée, à la 9e édition du Challenge pénitentiaire de street basket en juin dernier à Paris. Parmi eux, les prisonniers de la maison d'arrêt d’Osny.

Il tortille ses doigts, assis sur les gradins du gymnase Pierre-de-Coubertin. Bruno* et ses coéquipiers ne sont pas au niveau des autres joueurs du tournoi. Le jeune homme de 20 ans a commencé le basket il y a six mois. « Le maton est rentré dans ma cellule. Il a crié ‘basket’, j’ai suivi. »

Les deux autres détenus de la maison d’arrêt d’Osny, dans le Val-d’Oise, n’ont pas non plus l’allure de bons basketteurs. Bruno est petit, Steve* n’ose pas tirer au panier et Fabien*, très grand, manque d’agilité et perd les ballons. Lui aussi a démarré le basket en détention pour tuer l’ennui. « Certains jours, c’est 21 heures sur 24 dans sa cellule. À force de rester devant ma télé, je bouge au ralenti », témoigne le quadragénaire, passé proche de la dépression.

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Ce matin-là, les trois détenus d’Osny sont arrivés au gymnase sur la pointe des pieds mais ont marché librement. Dans les couloirs, ils ont croisé Mikkel Hansen et Thierry Omeyer, les handballeurs stars du PSG, qui s’entraînent à Pierre-de-Coubertin. En s’asseyant ensuite dans les gradins du gymnase, ils ont jeté un regard vers les prisonniers de Bois-d’Arcy, de Lons-le-Saunier ou de Fleury-Mérogis qui jouent chaque année, depuis neuf ans, au Challenge pénitentiaire. Ils ont l’air de gros durs à côté des trois d’Osny.

Fabien a du mal à supporter l’ambiance, « en cellule on perd l’habitude de tout ce bruit et de cette lumière ». Delphine Desgré, la coordinatrice basket d’Osny, avait pourtant averti ses joueurs le plus tard possible : « Le Challenge, vous imaginez le stress pour eux ? », dit-elle.

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Osny se fait aligner dans tous ses matchs. À 3 contre 3 et sur petit terrain, le jeu est excessivement physique. 4-0 contre la prison de Réau, même score contre Nanterre. Malgré les défaites, Bruno s’est démené. Virevoltant, il a multiplié les passes. Sportif avant la prison, le basket est devenu la bouée de sauvetage du jeune détenu. D’abord « l’occasion de sortir de ma cellule », jette-t-il. « Quand les surveillants viennent me chercher, je n’hésite jamais », insiste le jeune homme. À côté de lui, Loïc*, il vient de la maison d’arrêt de Nanterre et ajoute : « On a le choix : faire des pompes solo en cellule ou descendre au basket. » Ainsi, pour Loïc les cours de basket sont devenus l’unique moment où « on se souvient de ton visage et de ton nom et où tu n’as pas l’impression d’être un taulard ».

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Hervé*, lui, se présente comme un ancien « délinquant », passé par de nombreux centres de détention. Désormais, il milite à l’Observatoire international des prisons pour plus d’activités sportives en détention. Dans le milieu clos de la prison, « soumis aux gastros et à la grippe », le sport l’a maintenu « en bonne santé », relate l’ex-détenu. Hervé en a d’ailleurs fait l’expérience dès ses premiers mois d’incarcération. Il raconte avoir utilisé les moindres recoins de sa cellule pour faire des tractions. Avoir profité des promenades pour courir et même pour sprinter tant qu’il pouvait. En prime, « si tu peux jouer au basket, c’est une chance et tu sautes sur l’occasion ».

Hervé passera finalement treize ans en prison où il a tenu, selon lui, grâce au foot, au basket et au judo. « J’ai pris du muscle pour me protéger des autres détenus. Pour le mental aussi, pour savoir que j’allais être en forme à ma sortie », se remémore l’ancien prisonnier.

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Après quatre années derrière les barreaux, « je n’ai parfois plus de motivation, plus d’envies, je laisse les jours passer », confie Fabien, en train de faire les cent pas sur le parquet avant le dernier match, décisif, d’Osny. Interrogés, plusieurs détenus reconnaissent « avoir déjà pensé au suicide », et tous admettent qu’en prison « le temps est une spirale qui t’achève ». À Osny, par exemple, « certains détenus passent leur journée les yeux dans le vague. Ils vont à la bibliothèque mais ils n’arrivent plus à lire. Nos cerveaux deviennent flous sans le sport », assure Fabien.

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Cette déprime, ce blues de la prison, Delphine Desgré cherche à le soigner depuis un an à travers ses cours de basket-ball à Osny. « S’ils oublient quelques minutes qu’ils sont en détention, c’est gagné », assure la monitrice. 5 semaines de cours, pas de match de haut niveau, certes, « mais à travers cette pratique sportive, ils ont fait des efforts et ainsi gagné une confiance en eux, qui les a aidés ensuite à tenir en cellule », détaille l’enseignante d’Osny.

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Deux heures par semaine, Bruno, Steve , Fabien et les autres détenus sélectionnés par la maison d’arrêt ont pu sortir de leur cellule, courir et s’étirer. Ce n’est pas rien, « en détention, les lits sont inconfortables, il n’y a pas de kiné et pas de rééducation, le basket peut ainsi corriger les stigmates de l’incarcération », confie Delphine Desgré.

À la prison de Douai, Hervé se souvient que le sport lui a permis de prendre « une douche chaque jour, au lieu de trois par semaine ». Il a aussi obtenu le respect des gardiens « qui comptent sur toi pour assurer le calme ». Enfin, Hervé raconte avoir gagné l’admiration de ses codétenus. « En prison, un sportif c’est un gars sérieux, un glandeur est un mec chelou », jure « l’ex-taulard ».

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Nanterre gagne l’un de ses derniers matchs, les détenus accèdent au quart de finale du tournoi. « J’adore l’ambiance du Challenge. Les mamans regardent et les copines nous encouragent », glisse Longange*, un détenu tout en muscles, des Hauts-de-Seine.
Le jeune homme insiste : « Regardez, il n’y a pas de violence, les mecs s’applaudissent. Le basket, c’est ce qu’on peut faire de mieux en taule. On se dépense, on s’arbitre et on s’autonomise. »

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En plus, pendant le tournoi, les surveillants jouent avec les détenus, ajoute Delphine Desgré. Le basket a exactement « la philosophie recherchée en milieu carcéral : un jeu sans contact, un sport physique et une activité où il faut réfléchir », rappelle-t-elle.

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Hervé répond : « Copain avec les surveillants ? C’est de la communication, ça n’existe quasiment pas. » Le surveillant reste « le bleu, celui qui t’enferme tous les jours », rouspète-t-il.

Fabien noircit un peu plus le tableau et nous confie : « Aujourd’hui, chacun est dans son rôle. » L’administration et les conseillères pénitentiaires surveillent les détenus en tribune, et « pour espérer sortir plus tôt, il faut bien se comporter lors des activités comme ce tournoi », admettent les prisonniers. À en croire certains, le Challenge ne serait finalement qu’une journée où l’administration se donne bonne conscience.

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« Négatif », répond Gwendal Helary, “Monsieur basket-ball” à l’administration pénitentiaire. Les 40 détenus qui sont sortis ont de la chance, selon lui. « On leur offre une parenthèse, en retour des efforts qu’ils ont produits toute l’année », justifie le directeur pénitentiaire d'insertion et de probation en prison, référent national de la politique sportive à l'administration pénitentiaire.

Mais deux surveillants de la prison de Réau vont plus loin. « Cette journée est une soupape de décompression, sans le sport les prisons explosent », affirment-ils. L’opinion d’Hervé est cash, une fois de plus : « L’administration s’achète la paix sociale avec le sport en prison. »

Le tournoi se termine, Osny est éliminée, Nanterre aussi mais les derniers matchs valent le coup d’œil. Dunks, passes aveugles, suivis des encouragements des détenus et des surveillants. Ultime panier du match, les détenus de Fleury-Mérogis remportent la finale et la coupe. Tandis que les cris et les rires des supporters créent un intense bouillonnement au gymnase. Mécaniquement, les détenus d’Osny plient bagages. Leurs survêtements viennent recouvrir leurs bras tatoués. Les cigarettes qui étaient posées sur leurs oreilles sont désormais rangées et les gradins se vident au rythme des derniers sons hip-hop.
« Maintenant faut rentrer », lâche Fabien. Steve laisse ses enfants et sa compagne, venus le voir jouer. Bruno, lui, a effectué sa première sortie depuis un an et demi d’incarcération.

* Ces prénoms ont été modifiés.

Vous pouvez vous procurer Entorse magazine via le site web de la publication, et parler basket sur Instagram et Facebook.