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Comment Pornhub encourage le doxing et le harcèlement

Žena na krevetu

Pornhub, l’un des sites les plus visités au monde, héberge sur sa plateforme des vidéos qui ont ruiné la vie des femmes apparaissant dedans. Ce sont des vidéos produites par Girls Do Porn, un « partenaire de contenu » de Pornhub. L’entreprise est actuellement poursuivie en justice par 22 femmes pour escroquerie, préjudice moral et détournement du droit à l’image. Selon John O’Brien, l’un de leurs avocats, au moins 100 femmes interrogées par son équipe juridique ont déclaré que Girls Do Porn avait promis que les vidéos ne seraient jamais distribuées à grande échelle. « Nous avons parlé à plus d’une centaine de victimes, qui ont toutes été filmées entre 2009 et 2018. Elles ont toutes raconté la même histoire », ont écrit les avocats au tribunal de San Diego. Selon O’Brien, au moins onze vidéos de femmes impliquées dans cette affaire sont encore en ligne sur Pornhub.

Notre enquête a montré que de nombreuses femmes ayant tourné pour Girls Do Porn ont été contraintes d’effacer toute trace de leur présence en ligne après avoir été victimes de doxing [la publication en ligne des informations personnelles d’une personne dans le but de lui nuire, ndlr] et de harcèlement sur la toile.

Videos by VICE

Girls Do Porn est l’une des chaînes les plus populaires sur Pornhub. Les vidéos sont toujours en ligne sur le site : la plus récente a été publiée il y a deux semaines. Pornhub utilise également le contenu de Girls Do Porn pour promouvoir son abonnement premium.

Comment fonctionne l’escroquerie de Girls Do Porn

La plupart des vidéos de Girls Do Porn commencent de la même façon : une jeune femme est assise sur un lit dans une chambre d’hôtel. Un homme hors cadre lui demande si elle est nerveuse à l’idée d’avoir des relations sexuelles filmées pour la première fois. Puis elle couche avec un homme dont on ne voit jamais le visage.

Les femmes viennent des quatre coins des États-Unis. Girls Do Porn leur paie le trajet en avion jusqu’à San Diego pour faire une vidéo, tout en leur promettant que leurs proches ne la verront jamais puisqu’elle sera vendue à des « collectionneurs privés » en Australie et en Nouvelle-Zélande. « On m’a dit que le film serait vendu en DVD, uniquement à l’étranger. J’ai redemandé confirmation quand j’étais dans la voiture pour aller à l’hôtel », raconte une femme qui n’est pas liée au procès. Elle a souhaité rester anonyme à cause de la nature sensible des vidéos.

« Ils ont aussi essayé de me payer pour que je dise aux autres filles que tout irait bien et qu’il n’y aurait pas de conséquences. Mais bien sûr, c’était avant que les vidéos soient publiées sur GDP [Girls Do Porn] et ensuite sur Pornhub », poursuit-elle.

Les déclarations et témoignages d’autres plaignantes dans l’affaire GDP, ainsi que les déclarations en ligne de deux autres victimes, ont également montré que GDP avait menti sur la façon dont ils allaient distribuer les vidéos.

« Quand les vidéos sont sorties, j’ai sombré dans une grave dépression. Tout le monde se moquait de moi. Mon père n’arrivait plus à me regarder dans les yeux. Encore aujourd’hui, certains membres de ma famille ne veulent plus entendre parler de moi », dit la femme que nous avons contactée.

Les femmes qui poursuivent Girls Do Porn en justice affirment qu’elles ont été manipulées pour signer des contrats, parfois sous l’influence de l’alcool (servi par Girls Do Porn), parfois sous la pression exercée par des hommes dans les chambres d’hôtel où les scènes devaient être tournées, et où le cameraman et l’acteur porno étaient présents.

« On a menti à ces femmes jusqu’à ce qu’elles signent le contrat », dit O’Brien. Dans un rapport officiel du tribunal, il explique :

« Juste avant le tournage, et une fois le maquillage et la coiffure du mannequin terminés, ils [Girls Do Porn] donnent aux mannequins les documents à signer ou à lire, où ils omettent délibérément certaines informations, comme les frais et leur site Web, tout en les exhortant à se dépêcher et en présentant de façon inexacte le contenu des documents. De plus, les mannequins étaient souvent sous l’influence de l’alcool que Girls Do Porn leur avait servi, alors que beaucoup d’entre elles n’étaient pas en âge d’en boire – l’une d’elles a tourné la vidéo le lendemain de son dix-huitième anniversaire. M. Pratt [l’un des gérants de Girls Do Porn] et les accusés l’ont recrutée alors qu’elle était mineure et l’ont convaincue de traverser le pays en avion pour tourner une vidéo pornographique. Les accusés lui ont offert un gâteau d’anniversaire en la filmant pour souligner le fait qu’elle venait d’atteindre l’âge du consentement. »


Le contrat signé par les femmes comporte plusieurs pages, pleines de petits caractères, et nulle part il n’est mentionné que les vidéos seront mises en ligne. De plus, le nom de Girls Do Porn ne figure à aucun moment dans le document. « On demande donc aux femmes de signer quelque chose, mais elles ne reçoivent jamais leur propre exemplaire. La première fois qu’elles ont vu ce document, c’était dans le cadre du procès », dit O’Brien.

« Nous ne pouvons pas commenter les problèmes spécifiques des femmes dont les cas sont sur le point d’être traduits en justice », dit Aaron Sadock, un avocat qui défend Girls Do Porn. En général, de nombreux fournisseurs de contenu pour adulte font la promotion de leurs sites Web en publiant leurs vidéos sur des sites comme Pornhub. Le contrat standard que mon client a conclu avec tous ses modèles lui permet de promouvoir des vidéos complètes, comme n’importe quel autre site pornographique. Nous sommes confiants qu’après un examen complet de tous les faits, le contrat sera maintenu. »

Il y a environ quatre cents femmes différentes sur Girls Do Porn, et seulement 22 d’entre elles participent à l’action en justice contre la société. Mais O’Brien explique que son équipe a parlé à plus d’une centaine de femmes qui ont vécu des expériences similaires.

La femme qui nous a parlé de façon anonyme a vécu la même expérience, mais ne savait pas qu’il y avait une action en justice en cours.

« Personne ne m’a jamais contactée à ce sujet. De mon côté, j’ai pensé qu’il serait inutile de les poursuivre en justice, puisque j’ai signé le contrat de mon plein gré en leur disant qu’ils pouvaient faire tout ce qu’ils voulaient avec la vidéo », dit-elle.

Comment Pornhub encourage le doxing

Les 22 femmes qui poursuivent en justice Girls Do Porn expliquent dans des déclarations écrites au tribunal que ces vidéos ont eu un impact désastreux sur leur vie.

Girlsdoporn.com est un site qui existe séparément de Pornhub et il faut souscrire un abonnement pour accéder au contenu. Mais leurs vidéos sont également disponibles sur Pornhub, sous forme de vidéos gratuites, plus courtes, ou de vidéos payantes, plus longues.

Plusieurs femmes qui prétendent avoir été trompées par Girls Do Porn disent qu’elles n’avaient pas réalisé que les vidéos seraient distribuées à grande échelle avant d’être diffusées sur Pornhub. Elles ont tourné les vidéos de manière anonyme, mais dès que les vidéos sont apparues sur Pornhub, les noms de certaines ont été rendus publics par les utilisateurs.

Sur des sites consacrés à la révélation de la véritable identité des personnes apparaissant dans les vidéos pornographiques, les internautes ont partagé de nombreuses informations personnelles de femmes ayant tourné pour Girls Do Porn, notamment des photos trouvées sur leurs comptes de réseaux sociaux. De nombreuses femmes ont ainsi été harcelées, ce qui a entraîné chez certaines une dépression et des pensées suicidaires, selon des archives judiciaires et des messages en ligne.

L’une des femmes qui poursuit GDP (les documents la désignent sous le nom de « Jane Doe No. 6 »), explique qu’elle a subi un « préjudice moral » à la suite de la publication de la vidéo :

« J’ai envisagé le suicide. Je me suis mutilée. Je suis devenue déprimée. Je n’osais plus sortir de chez moi. Les gens ont commencé à envoyer des captures d’écran de la vidéo à mes amis pour me ridiculiser. Ma mère est au courant. J’ai honte et je me sens humiliée. J’ai dû abandonner mes études. J’ai peur de postuler où que ce soit. Sur les réseaux sociaux, des inconnus me demandent si je veux avoir des relations sexuelles avec eux. Je suis terrifiée chaque jour à l’idée de rencontrer quelqu’un qui connaît la vidéo. Je vais essayer de déménager dans un autre État dès que possible. »

Nous avons constaté que certaines femmes apparaissant dans les vidéos de Girls Do Porn sont toujours victimes de doxing sur Pornhub malgré le litige en cours.

Selon les conditions générales de Pornhub et une copie du contrat que les fournisseurs de contenu comme Girls Do Porn doivent signer avec la plateforme, Pornhub se réserve le droit de supprimer toute vidéo à tout moment.

Pornhub n’a pas voulu répondre à nos questions spécifiques sur le doxing des femmes sur leur site, mais Cory Price, vice-président de Pornhub, a déclaré dans un communiqué que « nous encourageons nos utilisateurs à signaler toute vidéo non autorisée via notre formulaire de demande de suppression de contenu ».

« Chez Pornhub, nous avons toujours été proactifs lorsqu’il s’agit de donner aux individus et aux acteurs les ressources nécessaires pour signaler les documents non consensuels afin qu’ils puissent être retirés rapidement, a-t-il ajouté. Nous avons toujours fermement condamné la mise en ligne de ce type de contenu sur notre plateforme, et tous les fournisseurs doivent respecter les mêmes exigences réglementaires que les autres sociétés. Nos CGU stipulent clairement que les gens peuvent uploader uniquement du contenu qui leur appartient. »

Katelyn Bowden, fondatrice et PDG de Badass, une organisation militante qui lutte contre le revenge porn, explique que son équipe est en contact avec divers modérateurs de Pornhub, et qu’ils répondent généralement rapidement aux demandes de retrait. La société Girls Do Porn, en revanche, n’était pas du tout disposée à travailler avec eux.

« J’espère que le site Pornhub prendra note de leur incapacité à gérer la situation de manière responsable et qu’il supprimera rapidement ces vidéos, dit-elle. Il héberge suffisamment de vidéos pornographiques consensuelles. Il doit être possible de supprimer les vidéos qui font l’objet de plaintes sans nuire à son modèle économique. »

Comment Pornhub profite de ces vidéos

Certaines vidéos sur Pornhub ont été visionnées plus de 40 millions de fois. La chaîne Girls Do Porn elle-même existe depuis huit ans et affiche plus de 677 millions de vues. Elle est généralement classée comme étant la vingtième chaîne la plus populaire. Cela représente beaucoup d’attention pour des femmes qui ne voulaient pas être vues du public. Et pendant qu’elles essaient de faire valoir ce point au tribunal, Pornhub continue de se faire de l’argent sur leur dos.

Pornhub utilise également l’accès au contenu de Girls Do Porn comme argument de vente pour son abonnement Premium. Girls Do Porn apparaît dans la liste des partenariats de Pornhub, à la fois comme « partenaire de contenu » et comme « partenaire de partage des vues Premium ». Les vidéos des partenaires de contenu sont disponibles gratuitement, les vidéos des partenaires de partage des vues sont pour les membres Premium. Les vidéos de la deuxième catégorie sont plus rentables que la première.

Pour 9,99 euros par mois, un abonnement Premium vous donne accès à plus de 100 000 vidéos premium sans aucune publicité.

Ces « vidéos haut de gamme », nous apprend la page FAQ Premium, proviennent de partenaires comme Girls Do Porn.

Les partenaires de partage de vues doivent signer un contrat avec Pornhub, selon un autre partenaire qui a demandé à rester anonyme. Dans le contrat de licence, les partenaires conviennent que leur contenu « ne contient aucun élément diffamatoire ou menaçant » et que « tout modèle ou acteur apparaissant dans une vidéo doit fournir deux pièces d’identité valables montrant qu’il est âgé d’au moins 18 ans. Le producteur doit en faire des copies et les conserver en sa possession ».

Selon les documents judiciaires, les femmes qui poursuivent Girls Do Porn ont renoncé à leurs droits en signant un contrat, mais cela s’est fait sous pression, avec précipitation et parfois sous l’influence de l’alcool.

Les contrats de partenariat et les conditions générales d’utilisation de Pornhub stipulent que Pornhub peut supprimer des contenus quand il le souhaite. Pornhub « se réserve le droit de supprimer du contenu, sans préavis ». Les deux parties (Pornhub et le partenaire) peuvent mettre fin au partenariat à tout moment, pour quelque raison que ce soit.

Pornhub déclare qu’il « décline expressément toute responsabilité associée au contenu que les partenaires ou les utilisateurs affichent sur le site ».

En d’autres termes : Pornhub se lave les mains en toute innocence et n’assume aucune responsabilité pour les vidéos que les gens publient sur le site. Même si ce sont des vidéos qui ruinent la vie des gens et causent des dommages irréparables.

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