Au coeur du radiotélescope chinois en quête d'un signal extraterrestre
Touristes penchés au-dessus du Radiotélescope FAST. Toutes les photos sont de Matjaž Tančič.

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Au coeur du radiotélescope chinois en quête d'un signal extraterrestre

Le radiotélescope FAST fait 500 mètres de large et a transformé une province rurale chinoise extrêmement pauvre en épicentre de la culture scientifique.

Devant mes yeux ébahis, une énorme structure métallique en forme de bol s'étale à mes pieds sur des centaines de mètres, dans le brouillard. Pour quiconque possède un peu d'imagination, elle pourrait passer pour un wok géant tombé du ciel.

"Il est sublime. Je n'avais jamais vu de poêle à frire aussi grosse de toute ma vie", ironise M. Fu, un militaire de 60 ans spécialisé dans l'approvisionnement. Debout sur une plate-forme en bois surplombant le Radiotélescope sphérique de cinq cents mètres d'ouverture, aka FAST, il parcourt du regard la province de Guizhou, située au coeur de la Chine rurale.

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"Il est vraiment à la hauteur de sa réputation", ajoute-t-il, tandis qu'une petite bruine trouble ses verres de lunettes.

M. Fu est l'un des 50 touristes à parapluie qui se sont déplacés ce jour là afin de visiter FAST, sous la pluie du mois de mai. Le radiotélescope chinois a été conçu pour cartographier l'espace et capter de potentiels messages en provenance de créatures extraterrestres, deux des nouvelles ambitions spatiales de la Chine. Évidemment, il n'a pas tardé à attirer la curiosité des citoyens de tout le pays.

"J'aimerais pouvoir demander aux aliens de me décrire leur planète", explique M. Fu, essuyant ses lunettes afin de mieux voir la colossale installation. "Mais j'ai du mal à imaginer à quoi eux-mêmes pourraient bien ressembler."

Non loin de là, Liu Qingwen, un garçon de 10 ans venant de Guiyang, la capitale de Guizhou, semble moins enthousiaste que son aîné à l'idée d'être confronté avec des extraterrestres. "Je ne voudrais même pas leur adresser la parole", affirme-t-il, intimidé. "Ils sont une menace pour les humains."

Le coeur du radiotélescope. Photo : Matjaz Tancic

Selon les informations données par le muséum d'astronomie bâti sur le site, le dernier panneau de métal a été fixé sur FAST début juillet 2016, marquant la fin de la construction du radiotélescope (même si le projet s'est officiellement terminé en septembre). Il faudra attendre quelques années encore avant qu'il ne soit pleinement opérationnel, mais la taille exceptionnelle de la structure a déjà frappé les imaginations. Avec ses 500 mètres de large, il s'agit du plus gros radiotélescope au monde, loin devant l'Observatoire Arecibo de Puerto Rico, un colosse de 305 mètres de large appartenant aux Américains.

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Outre sa taille, l'aspect de FAST est singulier en soi. Il aura fallu environ 5 ans et 180 millions de dollars pour le mettre sur pied. Ce sont là les chiffres officiels et on soupçonne que le coût réel de la construction a été beaucoup plus important.

Pour y accéder, il faut longer les routes du comté de Pingtang, une région rurale pauvre de Guizhou à la beauté vertigineuse, préservée de l'urbanisation. Le tarmac et les stations-service se sont substitués aux chemins de terre afin d'acheminer les véhicules nécessaires à la construction. Plus tard, les routes ont servi aux touristes se rendant dans les musées et parcs à thème spatiaux dispersés sur le site.

Aucun appareil électronique n'est autorisé dans un rayon de 5 kilomètres autour du radiotélescope. Les montres, téléphones, caméras, etc. sont stockées dans ces casiers. Photo : Matjaz Tancic.

La construction de FAST n'a pas été sans controverse : 9 000 habitants ont été expropriés et déplacés en-dehors de la zone de sécurité ménagée autour de FAST afin de stopper les interférences des appareils électroniques. Tous les visiteurs sont invités à se débarrasser de leurs gadgets avant d'entrer sur le site, qui a été choisi en raison de la faible densité de population de la région, riche en formations montagneuses. Il est très semblable à d'autres sites astronomiques ultra-sensibles, comme le télescope Green Bank de Virginie-Occidentale, où les téléphones cellulaires et les radios sont également interdits.

Une gardienne passe la serpillère dans le musée de l'espace interactif de FAST. Photo : Matjaz Tancic.

Une gardienne travaillant à proximité de la billetterie de FAST m'explique que la colère suscitée par le déplacement forcé des populations n'a pas animé tout le monde. Les jeunes ont été ravis de la construction du radiotélescope, voyant là de nouvelles opportunités d'emploi pour la région, tandis que les anciens ont déploré de devoir quitter des habitations familiales traditionnelles établies depuis longtemps.

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Une fermière déplace une vache le long des routes de la province de Pingtang, une région pauvre, rurale, de Guizhou. Photo : Matjaz Tancic.

Sur l'ensemble du territoire chinois, à l'inverse, la quête extraterrestre de FAST a suscité un enthousiasme débordant, cristallisé autour de l'immense musée d'astronomie situé à proximité. On le reconnait facilement grâce à ses statues d'extraterrestres humanoïdes à la tête bombée, ainsi qu'aux déclarations fracassantes qui ornent ses murs - "Les extraterrestres nous ont probablement envoyé des messages pendant des décennies, mais nous les avons manqués."

Une question demeure néanmoins : quand FAST sera pleinement opérationnel, quelle est la probabilité qu'il intercepte réellement des messages venus d'ailleurs ?

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Le "père" du radiotélescope et directeur scientifique de FAST, Nan Rendong, encourage vivement le battage médiatique autour de sa créature de métal. "Parce qu'il s'agit du plus gros radiotélescope sphérique au monde, parce qu'il est situé dans une zone où les activités humaines sont très réduites, son impact scientifique sur le champ astronomique sera extraordinaire. Plus encore, il risque de révolutionner d'autres disciplines des sciences naturelles", a-t-il affirmé au média chinois national en 2016.

Les experts estiment que les déclarations hyperboliques de Nan sont justifiées, au moins en partie : les créateurs du radiotélescope espèrent bien découvrir 1000 nouveaux pulsars par l'intermédiaire de FAST. L'étude de ces étoiles tournant très rapidement sur elles-mêmes pourrait nous en apprendre davantage sur les exoplanètes (ces planètes situées en dehors du système solaire), sur les distances spatiales et la distribution des objets spatiaux, sur les trous noirs et autres phénomènes cosmiques. Si le but de FAST est atteint, complétant le bénéfice scientifique des 2 500 pulsars déjà découverts, les sciences de l'espace passeront un cap important.

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"Chaque fois que le nombre de pulsars connus augmente, nous découvrons de nouveaux phénomènes cosmiques", explique Dick Manchester, astronome au sein de l'Organisation australienne de recherche scientifique et industrielle du Commonwealth. "Cet objectif de 1000 pulsars supplémentaire est tout à fait réaliste. Si nous doublons un jour le nombre de pulsars connus, nous rencontrerons de nouveaux objets célestes inattendus, c'est certain."

Un touriste observe un élément de l'exposition permanente du musée de l'espace interactif de FAST. Photo : Matjaz Tancic.

Manchester ajoute que la découverte d'un pulsar en orbite autour d'un trou noir serait extrêmement précieuse, puisqu'elle nous offrirait un regard nouveau sur ces entités que nous connaissons encore assez mal. L'observation des pulsars pourrait également contribuer à confirmer et à expliquer la nature de la matière noire, la matière inobservable qui constitue la majeure partie de l'univers mais dont l'existence n'a jamais été mise en évidence de manière expérimentale. FAST s'occupera également de surveiller les ondes gravitationnelles, ces "ondulations" de l'espace-temps provoquées par des objets massifs en accélération. Enfin, le radiotélescope balayera le ciel à la recherche de sursauts radio rapides, ces impulsions radio d'origine inconnue qui intriguent les astronomes depuis des décennies.

En ce qui concerne les capacités de FAST lui-même, nombreux sont ceux qui doutent que le radiotélescope intercepte un jour un signal alien. Peng Bo, responsable de l'Observatoire astronomique national chinois, affirme néanmoins que "la probabilité de découverte d'une civilisation étrangère sera cinq à dix fois plus importante avec FAST qu'avec les équipements actuels, car il est capable de voir des planètes plus lointaines et plus sombres."

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Douglas Vakoch, président de METI International, une organisation qui tente de prendre contact avec la vie extraterrestre, a déclaré à Motherboard que les efforts de FAST dans ce domaine ne se limiteraient pas à attendre passivement un message alien façon "Hey, salut les mecs". Le radiotélescope contribuera à cartographier la répartition de l'hydrogène dans la Voie lactée et dans les galaxies voisines, sachant que les variations d'état de l'hydrogène constituent un indicateur de l'habitabilité d'une planète.

Vakoch ajoute qu'au vu des limites des technologies radio actuelles, tout signal radio en provenance d'une civilisation extraterrestre devra être fort - et envoyé dans le but délibéré d'établir un contact - si nous voulons avoir une chance qu'il soit intercepté par FAST.

"Nous ne pourrons détecter que des signaux à bande étroite délivré intentionnellement", ajoute-t-il. "En bref, nous attendons une sorte de phare interstellaire brillant dans la nuit qui nous dira : Nous sommes ici."

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C'est très bien d'orienter un radiotélescope géant vers le ciel et d'attendre, mais si la vie existe véritablement en-dehors de la planète Terre (ce qui reste à prouver), sera-t-elle intelligente au sein ordinaire du terme ? Possèdera-t-elle les technologies nécessaires à l'envoi d'un signal radio ? Sera-t-elle seulement disposée à le faire, et si oui, pourquoi ?

De nombreux facteurs détermineront si, oui ou non, FAST sera en mesure de recevoir un message signifiant de la part d'une civilisation extraterrestre. De nombreux scientifiques estiment que la probabilité que la vie existe ailleurs est haute, mais ce parti-pris est loin d'être consensuel. Dick Manchester, quant à lui, pense que "théoriquement, c'est certain."

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"La probabilité que le développement de la vie sur Terre ait constitué une occurence unique dans l'histoire de l'univers est extrêmement faible : l'environnement terrestre n'a rien d'extraordinaire, pas plus que notre système solaire. Cependant, les distances entre les objets spatiaux sont tellement énormes que la probabilité que nous puissions communiquer avec ces autres civilisations est, elle aussi, minuscule. L'échange de messages sur le temps long entre deux civilisations est quant à lui totalement improbable."

Pourtant, les scientifiques de FAST estiment que cela vaut le coup d'écouter les cieux, et ils ne sont pas les seuls dans ce cas. Le milliardaire russe Yuri Milner, par exemple, a dépensé 100 millions de dollars dans le développement de Breakthrough Listen, un projet d'exploration interstellaire qui implique d'écouter des signaux radio aliens.

Au coeur du marché local, villageois montre une photo du radiotélescope. Photo : Matjaz Tancic.

Machester et Vakoch suggèrent tous deux que si une forme de vie intelligente existe quelque part, il est très probable qu'elle possède des technologies au moins aussi avancées que les nôtres. En cela, elle serait parfaitement capable d'envoyer des signaux radio ciblés. Peut-être même connait-elle déjà notre existence.

"Notre civilisation ne se développe que depuis plusieurs dizaines de milliers d'années", rappelle Manchester. "C'est ridicule. D'autres existent sans doute depuis des milliards d'années. Il est à peu près certain que toute civilisation capable de nous repérer possède des technologies bien plus avancées que les notre. L'histoire humaine, à l'échelle stellaire, est l'équivalent d'un simple clignement de paupière."

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Selon Vakoch, si une telle civilisation possédait ne serait-ce que 300 ans d'avance technologique sur l'humanité - ce qui est très peu - elle serait incomparablement plus puissante que nous. De même, ses compétences en communication seraient si avancées que nous ne pourrions même pas nous les représenter.

"Notre civilisation ne se développe que depuis plusieurs dizaines de milliers d'années", rappelle Manchester. "C'est ridicule. D'autres existent sans doute depuis des milliards d'années."

Alors, quelles sont les chances que ces extraterrestres super-avancés entrent en contact avec FAST ? Vakoch confesse qu'elles sont certes faibles, mais qu'il ne faut pas oublier que dans l'histoire, de nombreuses découvertes astronomiques qui semblaient très improbables ont ensuite créé la surprise.

Par exemple, après que les pulsars ont été découverts en 1967, ils ont été surnommés LGM (abréviation pour little green men ou "petits hommes verts") parce que par le passé, les astronomes n'avaient jamais observé d'objet d'origine non-humaine dont les pulsations soient aussi régulières. La première exoplanète a été découverte en 1992, et aujourd'hui, de nombreuses exoplanètes capables d'accueillir la vie ont été documentées. FAST va, de manière quasi-certaine, apporter sa pierre à l'histoire de l'astronomie.

Des télescopes posés sur les balcons d'un hôtel situé à proximité du musée FAST. Photo : Matjaz Tancic.

"Nous devrions rester optimistes. À chaque nouvelle découverte astronomique, les chances que la vie existe en-dehors de la Terre augmentent", ajoute Vakoch. "Cependant, nous ne possédons pas la moindre preuve directe que des bactéries d'origine extraterrestre vivent dans l'espace."

M. Yi, le touriste de 46 ans en visite au muséum d'astronomie de FAST, a des opinions plus tranchées. "Je pense que le radiotélescope va trouver des créatures intelligentes", affirme-t-il, debout à côté d'une fresque représentant des aliens tout gris. "FAST est une chance unique pour l'exploration de l'univers. J'aimerais présenter mes salutations aux aliens, puis discuter de l'origine de la vie humaine et de l'évolution avec eux. Je veux savoir d'où nous venons et où nous allons."