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Culture

Le « Vagin de la reine » gardera ses tags antisémites

La sculpture d’Anish Kapoor, exposée dans les jardins du château de Versailles, a été couverte de tags antisémites dans la nuit de samedi à dimanche. L’artiste a décidé de ne pas effacer les inscriptions.
Photo by Yoan Valat/EPA

Une sculpture monumentale, surnommée le « Vagin de la reine » et exposée à Versailles (région parisienne), dans les jardins du château, a été taguée d'inscriptions antisémites et royalistes dans la nuit de samedi à dimanche. Anish Kapoor, artiste britannique de 61 ans, dont une partie de la famille a des origines juives, a déclaré ce dimanche souhaiter que les tags sur son oeuvre ne soient pas effacés jusqu'à la fin de l'exposition, début novembre.

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Contacté par Vice News ce lundi après-midi, le château de Versailles a confirmé que les inscriptions seraient conservées, selon la volonté de l'artiste. Ce n'est pas la première fois que la présence d'une oeuvre d'art moderne dans la résidence des rois de France fait polémique. Surtout, c'est la deuxième fois que cette sculpture en acier est dégradée. Elle représente un tube long de 60 mètres dont l'entrée est évasée. En juin dernier, elle avait été éclaboussée de peinture jaune - couleur qui avait conduit à également considérer cette dégradation comme un acte antisémite. Le jaune pouvant avoir été choisi par les vandales en rappel de l'étoile jaune qui stigmatisait les juifs pendant la Seconde guerre mondiale.

Défense de la culture face aux fascistes antisémites qui ont vandalisé la sculpture d'Anish Kapoor à Versailles. — David Assouline (@dassouline)6 Septembre 2015

« Désormais, ces mots infamants font partie de mon oeuvre, la dépassent, la stigmatisent au nom de nos principes universels », a déclaré l'artiste au Figaro. « Et je préfère écouter cette petite voix qui me dit d'oublier l'artiste et de penser au citoyen. »

Dirty corner - le nom officiel de l'oeuvre - fait partie des huit créations d'Anish Kapoor exposées dans les jardins du château de Versailles depuis le 9 juin. L'artiste, né à Bombay en 1954, a fait ses études d'art à Londres et est rapidement devenu célèbre pour ses oeuvres monumentales. Il a notamment réalisé la tour Orbit de Londres à l'occasion des Jeux Olympiques de 2012. Si Anish Kapoor nie avoir un jour employé l'expression « vagin de la reine » — surnom repris par la presse mais aussi par ses détracteurs — pour qualifier sa sculpture, il assume totalement la connotation sexuelle de son oeuvre.

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La présence d'art contemporain au château de Versailles est régulièrement au centre de polémiques. C'était déjà le cas pour l'exposition de Jeff Koons en 2008, lors de laquelle le prince Charles-Emmanuel de Bourbon-Parme - se présentant comme un descendant de Louis XIV - avait porté plainte pour « profanation et atteinte au respect dû aux morts », sans toutefois obtenir gain de cause. En 2010, l'exposition de Murakami était critiquée, notamment par le collectif « Versailles, mon amour », qui jugeait que le travail du Japonais dénaturait le lieu.

Les nombreux tags désormais visibles sur l'oeuvre de Kapoor - « La reine sacrifiée, deux fois outragée », « SS Sacrifice Sanglant », « Le deuxième viol de la Nation par l'activisme juif déviant », ou encore « Le Christ est roi à Versailles » - contiennent des références à la fois au catholicisme et aux idéologies royalistes et antisémites.

Si la piste de groupes royalistes a été largement évoquée dans les médias depuis dimanche, Jean-Yves Camus chercheur associé à l'IRIS, spécialiste des nationalismes et extrémismes en Europe, s'étonne du mélange des inscriptions.

« Il y a plusieurs choses curieuses dans cette affaire, » nous dit-il ce lundi après-midi. « Le sigle SS n'est pas cohérent avec le reste des inscriptions. Les intégristes catholiques et les royalistes - quoiqu'on puisse penser d'eux - ne sont pas des néonazis. »

« Les milieux royalistes classiques, dont Action française est le principal mouvement, ne prônent pas ce type d'action, » ajoute le politologue, qui a également été chercheur au CERA (Centre européen de recherche et d'action sur le racisme et l'antisémitisme). « Après, il existe aussi quantité de groupuscules, dont la cohérence idéologique n'est pas la priorité. »

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Art dégénéré

« Il existe une détestation totale entre l'art moderne et les groupes d'extrême droite », nous confirme Jean-Yves Camus.

« L'argumentation est parfois construite, au nom d'un retour aux valeurs de notre civilisation greco-romaine, où le beau s'incarne traditionnellement dans l'art figuratif. Dans ce cas c'est plutôt une question de goûts, » nous précise-t-il. « Mais il existe aussi une critique de l'art moderne comme art dégénéré, par des gens qui considèrent que tout ce qui sort des canons de l'art classique est un art intrinsèquement mauvais, corrupteur des esprits. »

L'enquête pour la dégradation de l'oeuvre de Kapoor a été confiée à la brigade de sûreté urbaine (BSU) de Versailles. Contactées par VICE News, les autorités n'ont pas souhaité communiquer plus d'informations à ce stade de l'enquête, notamment sur la façon dont les vandales ont pu approcher l'oeuvre. Le lieu bénéficiait d'une sécurité renforcée depuis plusieurs mois dans le cadre du plan Vigipirate, ce qui signifie plus de patrouilles, et plus de coordination entre les services de sécurité du château et du commissariat.

Le Président de la République française a exprimé sa « solidarité » à Anish Kapoor, et la ministre française de la Culture, Fleur Pellerin, s'est rendue sur place dimanche après-midi pour constater les faits et condamner cet acte.

Innommables dégradations et messages de haine sur l'?

— Fleur Pellerin (@fleurpellerin)6 Septembre 2015

En octobre 2014, une autre oeuvre d'art moderne aux connotations sexuelles, installée place Vendôme, en plein coeur de la capitale française, avait été dégradée. Quelques jours seulement après son inauguration, l'énorme sculpture en plastique vert - rapidement surnommée « le plug anal » - avait été dégonflée par des inconnus, et n'avait pas été réinstallée. L'oeuvre de l'artiste Paul McCarthy, intitulée « tree », représentait en théorie un sapin de Noël, mais avait déclenché la colère de nombreux riverains à cause de sa ressemblance avec un sex toy.

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Suivez Lucie Aubourg sur Twitter @LucieAbrg

Dirty Corner - © Fabrice Seixas via Chateau de Versailles