Société

Clitoris et jouissance, les nouvelles armes des féministes

Le clitoris, arme des féministes

Illustration : Faunesque pour VICE FR

La Sorbonne, salle D634, masterclass sur la jouissance féminine. Projetés sur le tableau blanc de cette petite salle de TD bondée, des clitoris sous toutes les formes et de toutes les couleurs. Au programme : un échange sur les tabous qui entourent le plaisir féminin. « Octroyez-vous le droit d’être des êtres jouissants, lance l’auteure et militante féministe Axelle Jah Njiké. On n’est pas là que pour faire pipi et faire des enfants. » Rires et applaudissements.

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Cette semaine-là, quelques jours après le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, on compte une dizaine de masterclass et de conférences sur le thème du plaisir féminin dans la capitale. Car le constat est partagé : la jouissance féminine est le grand tabou de la sexualité et il est temps que ça cesse. « On apprend beaucoup aux jeunes filles à se censurer sur le sujet, c’est dans l’inconscient collectif, explique Manon, créatrice du compte instagram Le cul nu. Les femmes sont censées être pudiques pour être respectées. »

« En ne parlant que du plaisir masculin et en faisant du plaisir féminin un tabou (…), on alimente la représentation d’un plaisir masculin prédominant, évident, par rapport à celui des femmes qui serait secondaire, subsidiaire, quasi inexistant », constatent plusieurs associations féministes dans une tribune publiée le 8 mars dans Le Monde. Cette tribune, intitulée « Nous devons lutter contre l’analphabétisme sexuel », dénonce une représentation tronquée du clitoris dans les manuels scolaires qui alimente, selon les auteures, la méconnaissance et le tabou autour du plaisir féminin. Selon une étude publiée sur le site SVT-égalité, certains manuels scolaires ignorent purement et simplement l’existence du clitoris et de la vulve dans leurs schémas de l’appareil reproductif féminin quand d’autres se contentent uniquement de faire apparaître le gland, la partie externe du clitoris. Conséquence : un quart des filles de 15 ans ne savent pas qu’elles possèdent un clitoris et 83% d’entre elles ignorent sa fonction érogène, indique un rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes rendu public en juin 2016.

« On s’est relativement désintéressé de cet organe à partir du moment où on a eu la certitude qu’il n’avait aucun rôle dans la reproduction » – Odile Fillod, fondatrice du site Clit’info

Pour ces militantes, l’équation est simple : connaître son clitoris revient à comprendre son plaisir pour redevenir maîtresse de sa sexualité et être l’égale de l’homme. « À travers l’histoire, on a toujours nié le plaisir des femmes, leur désir et leur sexualité et on en a fait des machines à reproduire », explique Ouarda Sadoudi, cofondatrice des Ateliers du féminisme populaire et à l’initiative de la tribune. Pour elle, un « arsenal d’idées patriarcales » empêche encore aujourd’hui les femmes de vivre leur sexualité librement. C’est pour cela qu’il faut poser, dès l’adolescence, les bases d’une sexualité égalitaire « où les femmes ne sont pas systématiquement reléguées à un rôle d’objet mais bien actrices de leur sexualité », indiquent les auteures de la tribune.

Dans la pratique, réhabiliter la jouissance féminine passe par une meilleure connaissance de ce qui est en son cœur : le clitoris. S’il est dorénavant la nouvelle star des milieux féministes, l’organe du plaisir féminin reste méconnu du grand public. D’après une étude menée par le laboratoire Terpan en février 2017, une femme sur cinq ne sait pas où se trouve son clitoris.

« On a découvert dès la Renaissance que le clitoris n’était pas juste un petit bouton mais qu’il avait un corps se séparant ensuite en deux racines », explique Odile Fillod, chercheuse indépendante en études sociales des sciences et fondatrice du site Clit’info. Car le clitoris ne se réduit pas à sa partie visible : c’est un organe interne d’une dizaine de centimètres dont le gland, en extérieur, ne représente qu’une infime partie. À l’intérieur, les piliers et les bulbes du clitoris entourent le vagin et l’urètre. En 1844, des scientifiques aboutiront une première description complète du clitoris, incluant les bulbes – encore inconnus à la Renaissance. Mais après ça, plus rien. « On s’est relativement désintéressé de cet organe à partir du moment où on a eu la certitude qu’il n’avait aucun rôle dans la reproduction », explique Odile Fillod. « Comme une femme honnête ne jouit pas et n’est là que pour faire des enfants, on ne s’en est plus préoccupé », conclut Julia Piétri, fondatrice du compte instagram Gang du clito et également à l’initiative de la tribune du 8 mars.

Il faudra attendre près de 150 ans pour entendre à nouveau parler du clitoris. En 1998, l’urologue Helen O’Connell publie un article sur les nerfs impliqués dans son érection. Même si son étude n’apporte pas d’élément nouveau, elle compile toutes les connaissances sur l’organe du plaisir féminin dans le but de remettre le clitoris au goût du jour. « 1998, c’est aussi l’année de la commercialisation du Viagra, note Julia Piétri, preuve du grand écart entre sexualité masculine et féminine. »

« On sait tout sur le pénis et nous, les femmes, on est encore là à demander une anatomie correcte du clitoris » – Axelle Jah Njiké

La méconnaissance du clitoris par le grand public a laissé s’installer de nombreux mythes sur le plaisir féminin. L’anatomie même du clitoris met fin entre autres au mythe d’une distinction entre jeunes filles clitoridiennes et femmes vaginales, établie à la fin du 19ème siècle par Freud. Puisque le clitoris enserre le vagin, les orgasmes féminins sont tous liés à son activité. Souvenez-vous en désormais : nous sommes toutes clitoridiennes !

Le mythe d’un plaisir féminin complexe, intellectualisé, presque incompréhensible pour les hommes en prend aussi un coup. Composé d’un gland, de tissus érectiles et d’un très grand nombre de terminaisons nerveuses (entre 4 et 8 000 selon les estimations) et également sensible aux stimulations répétitives, le clitoris fonctionne comme un pénis. Et devient ainsi un symbole puissant de l’égalité femmes-hommes. « Savoir que l’humanité tout entière est dotée d’un organe semblable (…) aide aussi à sortir d’une bicatégorisation de l’humanité qui ne correspond pas à la réalité biologique et donne l’illusion qu’hommes et femmes sont radicalement différents », précisent les auteures de la tribune du 8 mars.

Pourtant, en 2019, seul un manuel de SVT sur huit (celui des éditions Magnard) représente correctement le clitoris. Les sept autres éditions ont conservé des planches anatomiques erronées où le clitoris est réduit à sa partie externe – le fameux « petit bouton ».

« On sait tout sur le pénis et nous, les femmes, on est encore là à demander une anatomie correcte du clitoris », fait remarquer Axelle Jah Njiké, également coauteure de la tribune du 8 mars. En parallèle de cette tribune, une pétition – qui a déjà recueilli 50 000 signatures – a été lancée pour demander au ministre de l’Education nationale et à la secrétaire d’Etat à l’égalité femmes-hommes de rectifier les programmes afin que clitoris et pénis soient enseignés à égalité.

Plus largement, c’est l’éducation à la sexualité dans son ensemble qui laisse à désirer. Les trois séances obligatoires d’éducation à la sexualité au collège sont soumises en réalité au bon vouloir des chefs d’établissements, qui font appel à des intervenants extérieurs ou à des professeurs volontaires qui n’ont aucune formation particulière. Pourtant, cette éducation est centrale pour poser les bases d’une sexualité saine pour les adolescent.e.s. « Expliquer aux jeunes filles comment leur corps fonctionne, leur dire qu’elles ont droit au plaisir, cela amène également à parler du consentement et du choix, explique Ouarda Sadoudi. Lutter contre l’analphabétisme sexuel est un enjeu d’égalité. »

Pour pallier au criant manque de connaissances sur le clitoris et sur la sexualité en général, des- nombreux comptes Instagram comme Le cul nu, Jouissance Club, Gang du clito ou T’as Joui se sont lancés ces derniers mois. Ils rassemblent aujourd’hui plusieurs dizaines de milliers d’abonnés, jeunes et moins jeunes assoiffés de combler leurs lacunes. « C’est pas normal que ça se passe sur Instagram, ça devrait faire partie de notre cursus scolaire », explique Manon, créatrice du compte Le cul nu. Elle poste régulièrement des petites vidéos explicatives sur des sujets liés à la sexualité, sur le clitoris, l’hymen, les dysfonctionnements érectiles ou les femmes fontaines et organise des quizz pour ses abonnés tous les dimanches.

Cette génération d’instagrammeur.se.s donne la possibilité à ses pairs de poser des questions, partager leurs expériences et leurs envies. « Beaucoup de jeunes gens se posent énormément de questions et c’est important que les réponses viennent de personnes qui leur ressemblent », analyse Ouarda Sadoudi. Contrairement à la pornographie, omniprésente sur internet, cette nouvelle façon de parler de sexualité déculpabilise les femmes (et aussi souvent les hommes) et les laisse enfin comprendre leur désir et leur plaisir. « Il faut se détendre et désacraliser la sexualité, c’est notre part d’animalité », insiste Manon.

Mais Instagram ne semble pas être de son avis. Des comptes parlant de sexualité sont régulièrement fermés par l’hébergeur ou certains de leurs posts supprimés. La faute aux signalements d’utilisateurs qui dénoncent le contenu comme inapproprié. « La liberté sexuelle de la femme est vue automatiquement comme de la pornographie, conclut Manon. C’est dommage, on s’amuserait super bien si on était tous informés ».

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