Être végétarienne présente des avantages et des inconvénients. Avantage : on a 50% de moins de chance d’attraper la salmonelle. Inconvénient : les gens veulent tout le temps vous expliquer pourquoi ils mangent encore de la viande. En plus des questions irritantes (non, même pas le poulet) et des personnes irritantes qui « vont me cuire un bon steak », je trouve aussi pénible de devoir toujours commander la même chose à la friterie. Des croquettes au fromage. Rondes, rectangulaires, grandes, petites, avec un goût (étrange), sans goût, en plastique, plates ou encore un peu gelées à l’intérieur. Je les ai toutes mangées.
Mais honnêtement, j’ai fait très peu d’efforts pour atténuer cette frustration jusqu’à présent. La plupart du temps, j’ai pas envie d’être difficile ou j’ai tout simplement pas le temps de réfléchir, alors je la commande, cette croquette au fromage. Elle est toujours sur le menu et il y a de fortes chances qu’avec ça, j’évite un mauvais regard du frituriste. Car oui, même les personnes qui mangent de la viande se permettent de commander une croquette au fromage, donc personne ne vous soupçonne d’être végétarien·ne.
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Quoi qu’il en soit, en tant que végétarienne, je ne me sens pas toujours à l’aise dans une friterie. Et ce n’est pas parce que je ne peux pas apprécier les vapeurs grasses ou que je me sens intimidée par les viandes charnues qui dominent le comptoir et le menu, non, mais le regard qu’on vous lance quand vous demandez s’il y a une option végé est généralement celui de la déception pure. On vous regarde avec des yeux qui se demandent si vous pouvez vraiment apprécier leur profession à sa juste valeur – profession pour laquelle la viande est une partie importante. En fait, peut-être que je reconnais le regard de mon grand-père dans ces yeux, et le fait que je sois la seule végétarienne d’une famille de bouchers pourrait aussi expliquer ce sentiment. Ou peut-être est-ce simplement quelque chose avec laquelle beaucoup de végétarien·nes ont du mal ? J’aimerais qu’on me le dise.
Quoi qu’il en soit, selon moi, tout le monde a le droit de faire un vrai choix à la friterie, y compris les végétarien·nes. Il est donc grand temps de normaliser le poulycroc sans poulet, la fricandelle sans viande et des saucisses au curry sans… Euhm, mouais. Enfin soit, je veux être autorisée à prendre une bouchée et sentir le patriotisme parcourir mon corps en même temps que l’huile de friture. Ahhh, la Belgique. Ahhh, le cholestérol. Un régal. Ces choses nous ont été refusées à nous, végétarien·nes, pendant trop longtemps, mais aujourd’hui je commence ma résistance non violente et je me gave de merdes grasses et végétariennes.
Friterie Chez le Grec, Anderlecht – Poulycroc Kip’corn (2 euros)
Derrière le comptoir, un homme avec un grand sourire et des yeux qui brillent comme de la graisse de friture. Quand je lui demande quelles sont les options végétariennes, il désigne avec enthousiasme un plateau bleu situé tout à l’avant du comptoir. Sur celui-ci, cinq viandes végétariennes différentes brillent discrètement, comme si elles s’étaient adaptées à leur environnement. Je décide de commencer tranquillement en optant pour un poulycroc végétarien, en espérant que le produit soit meilleur que son nom, un minimum d’originalité aurait été de mise ici.
Heureusement, l’ambiance est bonne. Le gérant siffle un air joyeux et fait frire avec enthousiasme le poulycroc dans sa cage en aluminium. Une minute ou deux plus tard, on me sert une collation dorée sur une serviette blanche. Nous y voilà. C’est bien croustillant : il a sans doute été cuit avec amour et dévotion. Le goût ressemble étrangement à du poulet mais heureusement, je suis déjà passé par cette étape (plusieurs fois) et je sais qu’il n’est pas nécessaire d’aller vérifier 30 fois si c’est bien végétarien. Peut-être un peu trop épicé, mais c’est sans aucun doute une option plus que décente. 7,5/10
Friterie Tabora, Bruxelles – Mini loempias (3 euros)
Lorsque les loempias arrivent, je suis un peu sceptique quant à leur cuisson. Ils ont l’air un peu pâles et je me dis que ça va affecter leur goût. Ma première bouchée le confirme : ils ne sont pas bien croustillants et à part quelques carottes égarées, je ne trouve pas grand-chose à l’intérieur. Beaucoup de graisse et de pâte, mais beaucoup trop peu de garniture et de saveur. Peu d’enthousiasme de la part du manager. Et n’y a-t-il pas normalement de la sauce loempia avec ? Meh. 5/10
‘T Grotteke, Louvain – Tranche de bami (2 euros)
C’est ici que je commande – pour la première fois de ma vie – une tranche de bami. Excitant, mais aussi compliqué, parce que je n’ai jamais mangé la version originale. Je ne sais donc pas à quoi m’attendre. Parfois j’ai l’impression, parce que je suis végétarienne, d’avoir certaines lacunes dans la culture culinaire flamande. La gamme de fritures en Flandre en est un bon exemple.
Le chef me dit que les snacks végétariens sont devenus plus populaires depuis un an ou deux. Par conséquent, l’offre a aussi changé, dit-il, bien que les snacks végétariens soient toujours beaucoup plus chers. En bon professeur qu’il est, il donne même un exemple pour soutenir son argument : les boulettes végétariennes coûtent 3,70 euros pour 4 pièces ; les traditionnelles à peine 2,70 euros pour 5.
Assez de théorie, place à la pratique. Le goût n’est certes pas mauvais, mais il est un peu bizarre. Étrangement, je ne m’attendais pas à avoir des nouilles dans ma tranche de bami. Dans ma tête, une tranche de bami c’était une sorte de disque de viande épicée, comme les merguez, mais panée et avec une croûte autour. Je pensais que le nom faisait simplement référence à la saveur, mais quelqu’un a en fait décidé d’y fourrer des nouilles et de les passer dans la friteuse. Pas mal, pas mal du tout, mais je trouve ça plutôt intriguant et je n’arrive pas à tout goûter. Ce que je trouve aussi intriguant d’ailleurs, c’est qu’il y a 1% de bœuf dans les tranches de bami non végétariennes. Pour les carnivores têtus. 7/10
Fritboutique, Louvain – 4 bitterballen végétariennes (3,40 euros)
En fait, on voulait aller au Chick Away près du Vieux Marché, mais apparemment il a brûlé il y a un certain temps et est donc fermé, selon un ouvrier. Alors on va ailleurs. On passe devant un tableau noir avec des citations sur les frites : « Un repas équilibré, c’est une portion de frites dans les deux mains ? » On voulait vraiment continuer à marcher, mais comme on voyait que la friterie au coin de la rue était fermée, on est entrées.
L’homme derrière le comptoir est moins enthousiaste que la citation sur son tableau. La réponse à la question « Quelles sont les options végétariennes ? », c’est un regard froid et un doigt pointé vers le panneau sur le mur. Il a raison, le panneau est accroché là pour une bonne raison. Je commande des bitterballen et peu après, on me les jette sur la table dans un sac en papier. Les bitterballen sont bien faits, mais la passion manque, tout comme l’ambiance qui aurait pu transformer ce snack en friterie. 6,5/10
Friture Alain & Andy, Sterrebeek – Burger végétarien (3,9 euros)
Une bonne friterie c’est comme un bistro, sauf qu’au lieu de cubes de fromage, il y a des croquettes de fromage au menu. Ils l’ont compris ici : Friture Alain & Andy est sans doute la friterie la plus belge dans laquelle on ait mis les pieds. Je commande un burger végétarien (c’était soit ça, soit une croquette de fromage) à la femme derrière le comptoir et je sens pour la première fois les yeux méfiants, ceux dont j’ai parlé dans l’intro. Après avoir transmis l’ordre à son mari – vraisemblablement Andy ou Alain -, ce dernier lève la tête, surpris : « Faut rien de plus ? » Non Alain, faut rien de plus.
Le burger dégage une certaine tristesse. Ce serait trop facile pour une personne qui mange de la viande de m’arracher cette chose des mains et de l’utiliser comme un argument pour ne pas commander d’en-cas végétarien. Ce serait un peu comme commander une Heineken et crier sur tous les toits que c’est imbuvable. Le pain, comme la viande, est sec et je ne pourrais pas expliquer comment mais j’ai un goût de dentifrice dans la bouche. Ce burger me perturbe.
Écoutez, mon intention n’est pas de dénigrer cette friterie (qui a des notes super positives sur Google). Pendant notre visite, la photographe et moi avons même signé une pétition pour la survie de cette friterie. Mais 3,90 euros, c’est beaucoup d’argent pour ce qu’on m’a servi ici. Voilà ce qu’en dit Kristof, même si je pense que les gens qui commandent ces trucs en ligne devraient urgemment remettre leurs habitudes en question.
De Frietketel, Gand – Petite frite (2,2 euros) + carbonnade flamande au seitan (4,8 euros) + Bicky Burger (3,9 euros)
Je ne vais pas mentir : Je connais bien Le Frietketel. C’est un véritable temple pour les végétarien·nes qui recherchent une véritable expérience de la friture : pour presque chaque viande, il existe une alternative au menu. Dès mon arrivée, je ressens immédiatement le stress du choix – enfin ! Après une hésitation assez malaisante, je décide d’opter pour deux classiques : un Bicky Burger végétarien et une carbonnade. « Juste de la sauce ou avec du seitan ? », me demande la femme derrière le comptoir. Je déteste le seitan, et pourtant je m’entends dire « avec ». Classique. Je commande aussi une portion de frites, parce que ce serait impensable de juger une carbonnade sans frites.
La sauce est géniale : la bonne couleur, le bon goût et la bonne texture, mais la vue de ces morceaux de seitan ne me plaît pas. C’est pas bon en plus, le ragoût est sombre et filandreux, et des cubes beiges flottent. Pour les personnes qui vont maintenant dire « C’est ridicule, les végétarien·nes ne veulent pas manger de viande mais veulent que ça y ressemble »… écoutez, ça ne peut pas y ressembler vu qu’il n’y a pas d’animaux morts dedans. Un hamburger végétarien ? Sans viande. Saucisse végétarienne ? Sans viande. Américain végétarien ? Pas de viande dedans. Pour moi, et probablement pour beaucoup d’autres végétarien·nes, c’est la seule chose qui compte vraiment.
Retour à l’ordre du jour : la nourriture. Le burger est encore meilleur que le ragoût : un petit pain frais et croquant, avec de la sauce Bicky sur le dessus, et un burger qui me renvoie à ce jour où Jeanine a décidé d’enfin mettre des burgers végétariens sur son menu. Je ne peux pas m’empêcher d’être ravie. 9/10
‘T Kruisen, Wetteren – Mozzarellasticks
« Il y a environ 48 kilomètres d’embouteillage en direction de Wetteren », c’est probablement ça, le refrain le plus joué sur les radios flamandes, alors j’ai voulu savoir où allaient tous ces gens. Pas à la friterie, en fait, car cet arrêt a aussi été la plus grande déception. En plus des croquettes de fromage et du burger végétarien, il y avait aussi des bâtonnets de mozzarella au menu. Ces derniers sont, soyons honnêtes, une version améliorée des croquettes de fromage. Ou peut-être que « variante » est un meilleur terme, parce que j’ai jamais vraiment mangé de bons bâtonnets de mozzarella. Les deux employés n’étaient pas sympas et quand j’ai sorti ma carte bancaire, j’ai failli me faire tuer (uniquement en liquide ou payconic, si vous avez toujours envie d’aller voir cette friterie après avoir lu cet article). Les bâtonnets n’étaient pas extraordinaires et on est parties en moins de cinq minutes à cause d’un manque total d’ambiance. 4/10
Bien que les options végés ne soient pas encore au menu dans toutes les friteries belges, on a la certitude qu’ils se font une place petit à petit. Je n’ai par exemple jamais eu à commander une croquette de fromage, dans aucune friterie – bien que les bâtonnets de mozzarella aient pu un temps paraître excitants.
Cette évolution n’a pas échappé à Tom Naegels. Dans De Standaard, il écrit que la transition vers une existence sans viande bat son plein, mais qu’on ne doit pas la forcer. Selon lui, les gens (les Flamand·es) ne peuvent pas encore s’identifier aux végétarien·nes parce qu’ils sont trop éloignés d’eux en termes de vêtements (qu’est-ce qui ne va pas avec mes vêtements ?) ou de langue (qu’est-ce qui ne va pas avec ma langue ?) ou de points de vue sur la migration (OK, désolé, mais quoi ?). Voilà pourquoi les mangeur·ses de viande flamand·es devraient avoir d’autres modèles à suivre : ils devraient pouvoir imaginer comment un régime pauvre en viande peut leur convenir, comment ils peuvent changer une habitude sans devoir changer toute leur image de soi. Et puisque, selon Tom, « les végétarien·nes sont un groupe de personnes qui ont une attitude stricte, moralisatrice et arrogante face à la vie », je conclus par un conseil strict et intrusif : soyez fous et la prochaine fois, commandez – et là je m’adresse aux personnes qui commandent des tranches de bami avec 1% de bœuf – un steak sans viande à la friterie. Il y a de fortes chances que votre commande soit emballée dans du papier sulfurisé.
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