Ex-prisonnière cherche insertion à tout prix

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reportage

Ex-prisonnière cherche insertion à tout prix

Rejet familial et difficultés à retrouver du travail : au Maroc, la sentence des détenues ne disparaît pas à la sortie de prison.

Toutes les photos sont de Mohamed Drissi Kamili. Elles ont été condamnées et ont purgé leur peine. Mais au Maroc, la sentence des anciennes détenues ne disparaît pas à la sortie de prison. Une étiquette collée, presque indélébile pour ces anciennes détenues qui ne cherchent pourtant qu'une seule chose : se réinsérer dans la société. « Mes enfants et mon mari m'ont rejetée », confie d'emblée Myriam*, une ancienne détenue qui est l'une des rares femmes à oser témoigner, mais sous couvert d'anonymat. De toute évidence, évoquer le sujet est douloureux pour elle. « Déjà, en prison, j'avais un petit doute », se remémore-t-elle en pleurant. « Ils ne venaient pas me rendre visite… À la sortie, ils n'étaient plus là. » Myriam s'est retrouvée seule et complètement abandonnée. Cette mère de six enfants – dont cinq adultes – est devenue la honte de la famille. Pourtant, c'était elle qui travaillait et subvenait, tant bien que mal, à leurs besoins – jusqu'en 2015, année de son incarcération. « Une femme m'a volé des chèques que j'avais présignés et les a utilisés en y écrivant des sommes astronomiques », explique-t-elle. Myriam n'a rien vu venir, comme elle l'a soutenu aux policiers qui l'ont embarquée. Trop tard. Direction la prison, en détention préventive pendant quatre mois. Au Maroc, en 2015, sur les 74 039 personnes se trouvant derrière les barreaux, 1 715 étaient des femmes, selon l'Observatoire marocain des prisons (OMP). En 2014, elles étaient 1 519, éparpillées dans dix prisons locales sur les 70 que compte le pays. Une augmentation inquiétante pour l'association Relais Prison-Société, créée en 2005. Avec la fondation Mohammed VI, c'est l'un des deux seuls organismes à batailler pour la réinsertion des anciens détenus.

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L'entrée des locaux de l'association Relais Prison-Société, situés à Casablanca.

Leur combat démarre dès l'incarcération. « On travaille énormément en amont en organisant des ateliers pour les femmes, décrit Touria Safi, l'une des responsables de l'association. De l'art thérapie, de la photo, de l'écriture, de la musicothérapie leur sont proposées pour apprendre à gérer le stress quotidien de l'enfermement. » La réalité de ces détenues est effectivement un véritable cauchemar. Les femmes se retrouvent de six à 12 dans des cellules minuscules, sans parler de « l'humidité, la saleté, le manque d'aération » dans certains quartiers pour femmes, comme le dépeint le CNDH de Casablanca-Settat dans l'un de ces récents rapports, « outre les insectes et les mauvaises odeurs » ou encore les équipements médicaux « vétustes et détériorés ». Un tableau sombre, difficile à supporter, qui peut engendrer des crises d'angoisse, de l'insomnie ou encore une dépression. Mais penser au lendemain à travers l'enseignement ou la formation peut également être une échappatoire. Seul hic, et pas des moindres, les structures. D'après ce rapport qui cible la région de Casablanca-Settat, les ateliers de formations professionnels sont quasi inexistants ou limités à la coiffure et au tissage. Quant aux locaux dédiés à l'enseignement ou à l'alphabétisation, ils manquent. Et pour ne rien arranger, toutes les détenues semblent ne pas être mises au courant des programmes. « J'étais en détention préventive, rappelle Myriam. Et durant quatre mois, on ne m'a rien proposé. Je ne faisais rien à part pleurer, ce qui énervait mes codétenues qui finissaient par me frapper… »

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Walid lors d'un entretien avec Myriam.

Pour faciliter le contact avec les ex-détenu(e)s, l'association Relais Prison-Société a déménagé dans l'ancien commissariat de Hay Mohammadi. Mais là encore, passer le pas de la porte n'est pas si simple pour ces femmes. « Elles représentaient 4 % des inscrits en 2015, contre 96 % pour les hommes », détaille Walid Cherqaoui, membre du bureau. Un chiffre bien trop bas au vu de l'importance de la réinsertion. « Elles subissent le regard de la société qui a une vision patriarcale, lâche-t-il. Pour elle, la femme n'a toujours pas sa place en prison. » La plupart qui se déplacent à l'association sont célibataires, divorcées ou séparées. Les mariées ne sont pas nombreuses. « Certaines viennent accompagnées de leur mari et d'autres, en catimini ! », précise-t-il. « Vous savez, il y a beaucoup de femmes mariées qu'on ne peut pas atteindre car elles ne peuvent pas sortir de chez elles. Leur famille ne veut pas qu'elles se montrent. C'est toujours une question de dignité ». La femme a pourtant payé ses erreurs aux yeux de la justice, mais pas encore pour ses proches. Pour retrouver une vie « normale », les anciennes détenues n'ont qu'une idée en tête : avoir un travail. À l'association, Mounia Et-Tibary est chargée de les accompagner dans leurs démarches. Lors de leur première rencontre, elles remplissent une fiche de renseignements sur laquelle elles précisent le métier qu'elles aimeraient exercer. « La plupart me répondent qu'elles cherchent un emploi de femme de ménage, alors qu'elles ont d'autres qualifications », fait-elle remarquer. En d'autres termes, l'estime de soi a disparu, au profit de la survie. C'est Mounia qui part sur le front : elle rencontre les sociétés de service, leur présente l'association et leur parle des profils professionnels des ex-prisonnières.

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Mounia Et-Tibary, qui travaille à l'association Relais Prison-Société

Cet accompagnement est une aide précieuse, comme se rappelle Asma*, emprisonnée durant 18 mois entre 2003 et 2005 en raison d'un problème financier causé par son mari – avec qui elle a décidé de divorcer dès sa sortie. En 2005, elle avait intégré le programme de réinsertion de la fondation Mohammed VI, comme lui avait indiqué la présidente de l'association Relais Prison-Société. Très vite, elle passe des entretiens pour un poste d'assistante qu'elle finit par décrocher. Elle restera dix ans dans cette boîte et montera les échelons jusqu'à devenir responsable. Une avancée qui n'a pas été du goût de certains de ses confrères. « J'ai eu droit à des insultes, se rappelle-t-elle. Mon tort : être passée par la case prison. Mais mon directeur général est intervenu en ma faveur car je faisais du bon boulot. »

Aujourd'hui, Asma cherche de nouveau un travail. Son entreprise a fermé il y a près d'un an. Mais problème, sa fiche anthropométrique n'est pas vierge. « J'ai déjà passé des entretiens, mais je ne leur ai pas parlé de mon passé, confie-t-elle. J'espère qu'ils ne me la demanderont pas. Ce n'est pas obligatoire, et ça peut les refroidir de la voir… » Pour que « le casier judiciaire » redevienne vierge, une procédure doit être enclenchée par l'ex-détenue. Mais, cela prend du temps. Si une détenue a été condamnée à trois mois d'emprisonnement, elle doit attendre deux ans après l'expiration de la peine. « Le plus compliqué pour ces femmes, c'est d'accepter d'être encadrée psychologiquement. Se faire soigner n'est pas dans notre culture », a constaté Touria Safi. L'association propose ce soutien. Mais pour les ex-détenues, ce n'est pas une priorité, comme le met en avant Myriam. « Une amie m'héberge chez elle depuis ma sortie de prison en échange d'un peu de ménage, raconte-t-elle. J'ai perdu mon travail aussi depuis mon incarcération. Mon employeur m'a viré alors que j'étais en préventive, je n'avais rien fait. J'avais pourtant 28 ans d'ancienneté ! 28 ans, et il m'a mise à la porte sans même répondre à mes nombreuses sollicitations… ». Myriam s'occupait du flammage de sceaux pour l'une des filiales d'un important homme d'affaires marocain. Aujourd'hui, elle veut juste de quoi gagner sa vie car « on a besoin de stabilité pour arriver à se reconstruire », se convainc-t-elle. « Les politiques mises en place sont défaillantes et encore plus envers les femmes », assure l'une des responsables de l'association, avant que Walid pointe du doigt la culture marocaine qui est « punitive et non pas rééducative comme elle devrait l'être ». *À la demande de nos interlocutrices, les prénoms ont été changés.


La dynamique de Mama Assia s'étiole-t-elle ?
Au Maroc, tout le monde connaît Mama Assia, de son vrai nom Assia el Ouadie. Cette militante décédée en novembre 2012, a tendu la main aux mineurs incarcérés. Elle les comprenait et les aidait à se réinsérer dans la société. Cette femme de terrain connaissait bien le milieu carcéral de par sa famille – son père et deux de ses frères ont été emprisonnés – et de par sa profession. Elle a été magistrate au parquet, avocate et magistrate au sein de l'administration pénitentiaire et de la réinsertion à Casablanca. Elle s'occupait des centres de réforme et de rééducation pour mineurs, et était également membre de la Fondation Mohammed VI pour la réinsertion des détenus. C'était une grande dame, très respectée des enfants.

« Un jour, ma mère a chargé un adolescent de s'occuper du jardin juste à l'extérieur de la prison car il se plaignait de ne rien faire, raconte Me Youssef Chehbi , l'un de ses fils. Un soir, les fonctionnaires l'ont oublié. Au lieu de s'enfuir, il n'a pas arrêté de toquer à la porte pour rentrer. Quand ils lui ont demandé pourquoi il n'était pas parti, il leur avait répondu que Mama Assia lui avait fait confiance.» Mama Assia avait lancé une réelle dynamique pour la réinsertion, qui, cinq ans après, n'a plus le même rythme. En moins d'un an, deux émeutes importantes dans l'un de ces centres. La raison ? « Le système judiciaire qui entasse ces détenus, ces mineurs, dans des cellules, alors que ce n'est pas la solution », répond-t-il. Résultats : « Une surpopulation carcérale, et une administration pénitentiaire qui essaie de faire de son mieux, mais qui en n'a ni la capacité, ni les moyens. » En clair, seul le ministère de la Justice a les clefs pour soit remprisonner ces jeunes, soit poursuivre la dynamique de Mama Assia.