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Sports

Hologrammes et téléportation : comment M6 innove à l'occasion de l'Euro

L'ex « petite chaîne qui monte » a fait parler d'elle à l'étranger en proposant deux innovations visuelles dans son émission "100% Euro".

Il y a d'abord cette "téléportation", survenue par exemple avant le match France-Suisse. Nathalie Renoux, présentatrice de l'avant-match sur le plateau de 100% Euro à Neuilly dans les locaux de M6, semble rentrer dans le grand écran du studio pour rejoindre Carine Galli sur la pelouse du stade Pierre-Mauroy de Lille. Ce qui s'apparente à de la magie noire n'est en réalité qu'une simple illusion d'optique : un cadre avec un écran derrière et un peu de gazon au sol, chaque présentatrice regardant dans la direction de l'autre.

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Énorme l'effet "J te rejoins sur la pelouse" avec @CarineGalli sur @M6 au top ! #SUIFRA #AllezLesBleus pic.twitter.com/o3sWSlxppY
— Brice Bachon (@BriceBachon) 19 juin 2016

Les présentatrices vont même plus loin dans la mise en scène, Nathalie Renoux se munissant pour Belgique-Italie d'un parapluie pour rejoindre Carine Galli, sur la pelouse trempée du Parc OL.

L'autre innovation de 100% Euro requiert un peu plus de technique. Après les matches, les traditionnelles interviews de joueurs et du sélectionneur ne se font plus en duplex avec un journaliste présent au stade, mais directement sur le plateau. Comment ? Grâce à une technologie de réalité augmentée, qui donne l'impression que l'interviewé est un hologramme diffusé sur le plateau. Dans le studio, pas d'effet à la Star Wars cependant, les présentateurs parlent plutôt dans le vide, le joueur-hologramme étant rajouté en incrustation (visible vers la 4eme minute environ, ici)

La nouvelle façon d'interviewer les joueurs après match par @M6 !
Révolutionnaire ! Futur is now #SUIFRA #Hologram pic.twitter.com/vIugMi2Zwj
— Brice Bachon (@BriceBachon) 19 juin 2016

Ces deux innovations ont fait beaucoup de bruit, dans la presse étrangère notamment. La BBC, Buzzfeed, ont ainsi vu dans les illusions d'optique de 100% Euro "le futur de la télévision". Mais ces techniques ne sont pourtant pas neuves.

« On avait déjà l'expertise de ce type de technologie, explique Mathias Bejanin, directeur technique de M6. On utilise ces formes de réalité augmentée dans les journaux télévisés de M6 depuis août 2015. Pour lancer les sujets, on incruste des chiffres, des photos sur le plateau. »

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Et utiliser la réalité augmentée dans les émissions de football n'est pas nouvelle non plus : le Canal Football Club sur Canal + utilise ces incrustations pour présenter les équipes ou le classement de la Ligue 1 depuis quelques temps déjà. Mais des "hologrammes" dans des émissions de sport, on a rarement vu ça par le passé. Une émission d'équitation suédoise le ferait depuis le début de l'année paraît-il. On date généralement la première utilisation de cette technique à l'élection présidentielle américaine de 2008. A l'époque, CNN avait "téléporté" une correspondante de Chicago sur le plateau de Wolf Blitzer à New York. Mais cette avancée technique ne s'était pas forcément propagée sur d'autres chaînes et dans d'autres émissions. En clair, la technologie existe depuis longtemps, encore fallait-il en faire bon usage.

L'adapter à une émission sportive semble faire sens. Jacques Blociszewski, auteur de Le match de football télévisé, y voit « une innovation sympa, qui change un peu. Ce sont des choses qui peuvent venir rafraîchir ces exercices un peu fades que sont les interviews d'après-match. » Mathias Bejanin explique que l'idée est venue d'une expérience de la réalité augmentée construite au fil des années, et de « la volonté d'immerger le spectateur dans l'événement. Cela ouvre aussi la possibilité de faire des interviews de manière plus intime. L'Euro c'était surtout l'occasion d'innover. »

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Le fait que ces nouvelles formes de duplex arrivent à l'occasion de la coupe d'Europe est logique. Comme l'explique Jacques Blociszewski, « le sport, avec les documentaires animaliers, est souvent à la pointe en matière d'avancée technologique télévisuelle. » Et un Euro en France, c'était l'occasion pour les chaînes de marquer le coup.

Par ailleurs, M6 a déboursé 25 millions d'euros pour la diffusion de 11 matches de l'Euro (dont la finale), TF1 a de son côté mis 40 millions d'euros sur la table pour 22 matches. Et comme l'expliquait François Pellissier, directeur des sports du Groupe TF1 dans l'émission Le Tube sur Canal + : « Financièrement, ce ne sont pas des produits qui se rentabilisent. » Tout l'enjeu est donc marketing. Dans ces émissions d'après-match, les chaînes font par exemple venir des invités de luxe, et pas forcément les meilleurs commentateurs du sujet. On a par exemple été assez gênés en regardant le rappeur Rohff ou l'acteur Frédéric Chau venir parler football au milieu des "experts" sur le plateau de L'Euro show sur BeIn Sport. L'idée de ces émissions n'est d'ailleurs pas forcément de parler du fond de jeu avec acuité mais plutôt de proposer du divertissement autour du ballon rond, dans l'idée peut-être d'attirer de nouveaux publics qui s'intéressent au football avec cet Euro. Dans cette guerre de communication, on peut déjà dire que M6 a réussi son coup avec ces retombées presse à l'international.

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Capture d'écran du site Joe.co.uk.

Surtout que ces innovations ont un coût peu élevé pour la chaîne, vu qu'elle possédait déjà la technologie. « Au studio, cela n'a pas de coût supplémentaire, explique Mathias Bejanin, car on utilise le même studio que le 19h45 qui est équipé pour cette expérience de réalité augmentée. Après le plus lourd, c'est de prévoir des studios dans les stades. » Un fond vert et des caméras réglées au millimètre, des moniteurs vidéo pour que les joueurs regardent dans la bonne direction, la préparation est minutieuse. « C'est une mise en scène compliquée. Pour la réalisation, il faut que la lumière soit la même entre le studio et le stade, que les cadres de caméra soient parfaits, que les axes regards soient au point. Toute une quantité de réglages qui ont demandé beaucoup de répétition. L'impression de facilité que donnent ces innovations c'est surtout le résultat d'un travail fait avant la compétition. Surtout que les soirs de matches, on a qu'une ou deux heures pour s'installer avant le début de la rencontre, avec les consignes de l'UEFA. »

Les joueurs, eux, sont plutôt heureux de l'expérience. « Ils trouvent ça amusant, explique Mathias Bejanin. Ils n'ont pas l'habitude de se retrouver devant un fond vert, c'est un peu une nouvelle expérience pour eux. » Et cela donne aussi des images incongrues, comme la présence d'un invité en claquettes-chaussettes (ici, Dimitri Payet), pour la première fois dans l'histoire des plateaux de télévision.

Si ces illusions d'optique ont pu être mises au point aujourd'hui, c'est aussi grâce à l'amélioration des moyens de communication. « La fibre permet des délais de transmissions courts contrairement au satellite, indique le directeur technique de M6. Par exemple, il y a toujours un peu de décalage pour les duplex via communication satellite. Là, cette impression d'hologramme ne fonctionnerait pas aussi bien avec des décalages. »

Ces mises en scène pourraient-elles être utilisées dans d'autres programmes que des émissions sportives ? On pourrait ainsi imaginer les présentateurs de l'Eurovision venir directement déclamer « Albania, ten points » sur la scène en hologramme. Pour Mathias Bejanin, la "téléportation" - le nom qu'ils utilisent chez M6 pour qualifier ces deux innovations - pourrait peut-être arriver dans des émissions de divertissement, même si rien n'est concrètement prévu pour le moment. « Mais ça n'arrivera pas dans les émissions d'information : là dans un contexte sport c'est adapté, pour l'info, ce serait malvenu. » M6 a peut-être inventé le "futur de la télé" avec ces deux mises en scène astucieuses, encore faut-il réussir à les faire sortir du cadre de l'émission sportive.