Culture

Un long entretien avec le réalisateur de « La Révélation des Pyramides »

« Comme tout le monde, je pensais que tout avait été dit sur la pyramide de Gizeh. Jusqu’au jour où j’ai découvert que des faits importants avaient été ignorés par les scientifiques. Alors j’ai enquêté. Sans a priori, ni préjugés. Je voulais simplement comprendre comment la grande pyramide avait été construite. Mais cette quête m’a mené au-delà de ce que je pouvais imaginer. Tout ce qui va suivre repose sur des faits. Cette aventure vous conduira à travers le temps sur les sites archéologiques les plus anciens et les plus énigmatiques de notre planète, aux confins de l’origine de notre civilisation ». Ainsi débute la Révélation des Pyramides, l’un des documentaires historiques alternatifs les plus visionnés de l’internet francophone.

« Alternatif » est l’adjectif employé par ceux qui l’aiment bien. Les autres ont plutôt tendance à le décrire comme franchement conspirationniste. Ce qui est certain, c’est que la « LRDP », comme l’appellent ses plus fervents admirateurs, a déchaîné les foules. Paru à la vente en 2010, ce film d’1 h 45 a été mis sur YouTube – sans le consentement de ses auteurs – en 2012. Le succès populaire est immédiat : visionné plusieurs millions de fois, traduit dans plusieurs langues, puis diffusé sur Planète+ et RMC Découvertes, la LRDP tourne parce qu’il est très bien réalisé, avec un souffle épique, une ambiance de mystère ambiant et un côté plus travaillé que la plupart des documentaires traitant de ce sujet.

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Pour résumer rapidement, La Révélation des Pyramides part d’un constat simple : on ne sait toujours pas comment a été construite la grande pyramide de Gizeh. Comme on ne sait pas, malgré de nombreuses hypothèses, comment ont été construits les Moaï de l’Île de Pâques. En partant de ce constat, le réalisateur, Patrice Pooyard, explore les différentes problématiques liées aux théories de ces constructions. Son travail serait le fruit d’une collaboration avec un « informateur », travaillant sur le sujet depuis près de 40 ans. Il s’agit en réalité de Jacques Grimault, coscénariste du film et auteur d’un livre éponyme aujourd’hui introuvable. Ils en viennent à explorer un grand nombre de sites historiques antiques : Gizeh, Sacsayhuaman, Nazca, l’Île de Pâques, les pyramides de Chine, constatant des similitudes de construction entre ces différents lieux. Pour une conclusion en forme d’interrogation : si ces sites sont si semblables et qu’on n’est toujours pas sûr de leur méthode de construction, serait-ce parce qu’ils ont été construits par un peuple technologiquement avancé mais antérieur à notre civilisation ?

Beaucoup considèrent que le film est la quintessence même de ce qui se fait en matière de « pyramidologie », c’est-à-dire, selon Wikipédia, les « diverses spéculations non prouvées concernant les pyramides » – soit l’inverse de la très universitaire égyptologie. Sur le net, on trouve d’ailleurs de nombreuses débunkages du film, sous forme de vidéos ou d’articles. Ses auteurs aussi sont très critiqués, notamment à cause du personnage ambigu de Jacques Grimault, qui semble plus voguer sur les chemins de l’ésotérisme et des OVNIS que de la recherche historique. Quoi qu’il en soit, le film a eu le mérite de nous faire marrer et d’aiguiser notre curiosité. Et un tome deux, nommé « L’Équateur Penché » devrait bientôt voir le jour. Il a été financé à hauteur de 113 000 euros par les internautes (sur un objectif de 30 000, réalisé en 24 heures), qui se passionnent pour le projet, malgré la séparation de Grimault et Pooyard. Ce dernier travaille désormais seul, ou presque. Nous l’avons rencontré pour parler de Gizeh, de géométrie sacrée, de peuple inconnu et de croyances historiques.

VICE : Dans le film, le point de départ de tes interrogations porte sur la taille et l’assemblage des pierres sur des sites historiques. Ce sont des questions géométriques et techniques. Comment en es-tu venu à te dire que les théories sur la construction de Gizeh et Sacsayhuaman ne collent pas ?
Patrice Pooyard :
Mon discours est fondé sur un ensemble. Il faut étudier chaque site et considérer leurs problématiques de construction. Prenons l’exemple de Baalbek, au Liban. Ce sont les fondations du temple de Jupiter, reconstruit par les Romains. Les fondations sont des blocs qui pèseraient entre 1 300 et 1 800 tonnes, tellement imposants qu’il a fallu construire l’édifice par-dessus. Un de ces blocs a été abandonné un peu plus bas, dans la vallée – et on ne peut que se demander comment il a été transporté.

Sur ce cas précis, il y a notamment l’archéologue Jean-Pierre Adam qui fournit une explication, en se basant sur le transport du Cavalier de Bronze à Saint-Pétersbourg. Mais ce cavalier, qui fait 1 500 tonnes, a été transporté sur un sol gelé, plat, l’hiver, avec un système de tubes, de cylindres de fontes industriels et un système de roulements à billes dans le sol à une époque contemporaine. Bref, c’est incomparable.

En me plongeant dans les sites anciens, je n’avais aucune connaissance sur le sujet. Il y avait un mystère, des hypothèses, mais je n’allais pas au-delà. Mais le taillage des différents types de pierres, qui n’ont pas la même contenance et consistance, leur extraction, leur transport et leur installation, c’est une science aussi. Un bloc de 1 800 tonnes, une fois qu’il est posé, il est posé. Tu ne peux pas dire « un peu plus à droite, non en fait, à gauche », c’est impossible. Et les blocs évoqués, gigantesques et datant d’époques reculées, sont tous parfaitement posés.


J’entends bien. Mais pour chacun des sites évoqués dans le film, il existe des hypothèses, tant sur le taillage des pierres que sur leur transport. Aucune n’est présentée dans le documentaire. As-tu rencontré certains des chercheurs qui émettent ces hypothèses, comme Jean-Pierre Adam ?

Il y en a quelques-unes dans le film et j’ai rencontré certains chercheurs. Pour les pistes de Nazca, par exemple, l’hypothèse est que ces gens-là n’avaient pas accès à l’eau où ils se trouvaient, et qu’ils faisaient des processions religieuses pour faire venir la pluie. C’est ce qui aurait dessiné toutes les formes que l’on peut voir aujourd’hui. Bon, pourquoi pas. Toutes les hypothèses peuvent être plus ou moins délirantes.

Non, mais tu ne peux pas dire que les mecs qui passent leur carrière à chercher des réponses ne font que des hypothèses farfelues. À Gizeh, par exemple ? Sur le transport fluvial ou l’outillage, il existe foule de théories.
Il y a hypothèse et hypothèse. Selon moi, peu d’explications sont recevables. En Égypte comme partout, certaines choses sont simples à expliquer et d’autres non. Je ne suis pas géologue ou archéologue. Donc quand je n’ai pas la réponse à une question, je me tourne vers des spécialistes. Mais si tu parles du Pérou à un égyptologue et des rapprochements entre les monuments, il va te dire que ce n’est pas son domaine. Si tu lui parles des problématiques autour des constructions, il va te dire qu’il ne s’est pas intéressé au comment, mais au pourquoi. Il va t’expliquer que les pyramides ont été faites pour le roi, parce que celui-ci était l’incarnation de Dieu sur terre.

Au moment supposé de la construction de Gizeh, on était sorti de l’esclavage. Elles auraient donc été construites par un peuple d’ouvriers visiblement spécialisés – parce que l’idée de prendre un paysan et en faire un bâtisseur trois mois dans l’année, durant les crues du Nil, ça me paraît complètement absurde.


Bon. Tu as des questions purement techniques sur l’outillage et l’assemblage, qui me semblent sensées. Mais il y a un moment dans le film où tu dis
« Nous allons maintenant quitter le terrain des constatations et des faits pour rentrer dans celui, plus incertain, des suppositions et des hypothèses ».  La première, c’est sur ce cercle de la taille de l’équateur qui ferait le tour de la terre en passant ces différents sites. Peux-tu expliquer concrètement ce que ça signifie ?
Ce cercle figure l’équateur géomagnétique de la planète. Si c’était un équateur, son pôle serait le centre de déplacement moyen du pôle magnétique. Donc il est décalé d’à peu près 30 degrés et il est marqué par les différents sites.

Des gens qui se sont amusés à faire différents cercles, en passant par la poste de Melun ou ce genre de trucs. Tu peux faire tous les cercles que tu veux. Mais les cercles qui répondent aux exigences de base, à savoir pointer un endroit qui a un rapport avec l’activité géomagnétique de la planète et passant par les sites majeurs (Île de Pâques, Gizeh, Mohenjo-Daro, Angkor Vat…), il n’y en a pas cinquante.

Tout cela renvoie à la précession des équinoxes parce que chaque site est orienté en fonction de cette précession. Chaque site aurait un lien avec l’activité géomagnétique de la terre. J’en parle, parce que nous sommes allés voir un scientifique nommé Gauthier Hulot, qui dit globalement la même chose mais par un biais complètement détourné. Lui arrive par la science, tandis que Jacques arrivait par la tradition. Ce que les traditions ont comme lien avec ces sites et les équinoxes. Gauthier Hulot disait que l’activité électromagnétique de la terre était en lien avec celle du soleil et il se pourrait qu’à la prochaine inversion de polarité du soleil, elle entraîne une inversion du champ magnétique sur terrestre, ce que l’on n’a pas encore observé récemment – même si on sait que cela s’est produit une bonne centaine de fois, et que la dernière se serait produite il y a 780 000 ans. On ne sait pas quand cela se produira, ni quelles en seront les conséquences.

Quel serait le rapport entre cela, le nombre d’or ou Pi, dont tu parles dans le film, et les pyramides ?
Le nombre d’or, c’est autre chose. C’est une constante dans l’Égypte ancienne. Tout est lié, tout est corrélé avec le nombre d’or. Prends la chambre haute de Gizeh. À la base, son plan est un double carré. Deux carrés accolés, qui forment donc un rectangle. Ça, c’est une des portes d’entrées de la géométrie sacrée.

Il est très difficile d’avoir une information précise sur l’égyptologie. Si tu consultes deux égyptologues spécialisés, tu te retrouveras avec deux points de vue différents. Si tu vas sur Wikipédia et que tu tapes « règne de Khéops », il va y avoir une dizaine de dates contradictoires et de durées de règne différentes. Il y a beaucoup d’interprétations. C’est ce qui est difficile avec l’égyptologie : il y a une part de science dure, qui selon moi n’est pas assez exploitée, et une part de science molle – c’est-à-dire l’interprétation par l’histoire ou la sociologie.


Mais revenons au nombre d’or. Quel sens aurait-il ?

Avec le nombre d’or, ce qui est étonnant et que j’ai découvert lors de mes recherches, c’est que la géométrie sacrée, ce sont des rapports harmoniques que l’on retrouve partout dans la nature et le vivant. Ça semble être une valeur statistique autour de laquelle la nature s’accorde pour créer les choses, un rapport de proportions.

C’est quelque chose qu’on voit partout, comme dans les fleurs de tournesol et la spirale de Fibonacci, et qui a beaucoup intéressé les artistes des siècles passés qui ont surnommé ça la « divine proportion ». Cette manière de construire naturelle, tu la retrouves dans les édifices anciens. C’est comme s’ils avaient repéré quelque chose dans la nature en se disant qu’ils allaient essayer de construire de manière harmonique. Ça fait partie des connaissances que tu trouves ici et là sur ces sites. Je n’ai pas de réponse à donner tout cela. J’ai surtout beaucoup de questions.

Dans le film, vous mettez en avant l’hypothèse d’un peuple antérieur. Où tu te situes, toi ?
Je ne crois en rien. Et j’ai mis beaucoup, beaucoup de temps pour me débarrasser de mes croyances. Je n’ai pas de réponses. Alors, pourquoi une civilisation planétaire ? Parce qu’il y a une manière de construire et d’approcher qui se ressemble et parce qu’il y a des sites disposés sur la planète à des endroits précis, qui font qu’à notre époque, où nous avons totalement cartographié la terre et instauré un système de grille pour s’y repérer, on se rend compte que ces sites sont à des points très particuliers. 

Il y a un géologue avec lequel je travaille. Lors des tournages sur les sites, il me dit : « Tiens c’est curieux, on se retrouve à plein de points de faiblesse de la plaque tectonique. » Ce qui est complètement absurde c’est qu’on se retrouve aux endroits les plus fragiles de l’écorce terrestre, et que c’est à ces endroits précis qu’on a construit ces temples. En même temps, pour être sûr qu’ils ne s’effondrent pas, on fait des constructions antisismiques. Mais là, c’est pareil, tu t’intéresses à l’antisismie et tu te demandes si c’était volontaire ou pas. C’est un critère de questionnement en plus. On va fabriquer de telle manière à ce que ça ne s’écroule pas à des endroits précis où ça pourrait s’écrouler.

Je pense qu’on a construit une histoire du peuple humain de manière formatée. On a bâti un récit avec un sens du progrès, ce qui est important. Mais si tu arrives avec une hypothèse qui implique un autre fonctionnement, tu t’opposes forcément à des résistances.

Ça ne prouve rien. Et dans l’Histoire, il y a foule de manières de faire ou des coutumes communes alors que des peuples n’avaient aucun rapport. Stonehenge est également aligné avec les équinoxes.
On évoque Stonehenge dans L’Équateur penché, le nouveau film. Et bien sûr, on parle de ces processus de fabrication communs. Deux peuples à l’opposé de la terre peuvent inventer en même temps la sarbacane sans se connaître, c’est évident. Après, c’est le nombre de corrélations, d’édifices, le fait que nous ne possédons aucun renseignement ni aucune chronique historique sur les constructions et les caractéristiques communes dans le travail de la pierre et des bâtiments. Quand on était à Puna Punku, le site Tiwanaku en Bolivie, à 4 000 mètres d’altitudes, un archéologue sur place nous a expliqué comment tout cela avait été construit. Il dit : « Tu vois, cette pierre-là, on est allé la chercher à 1 660 kilomètres, on a identifié son site d’extraction. » 1 660 km, à 4 000 mètres d’altitudes dans la cordière des Andes ? Tu te rends compte du truc ? Le fait de pouvoir trouver de très bons gisements de pierre permettant de sortir de très gros blocs, montre que les peuples n’hésitent pas à faire des milliers de kilomètres pour aller chercher la pierre qu’il leur faut. C’est dingue, non ?

Le documentaire a eu un succès fou. Et en même temps, vous vous êtes fait traiter de gros conspis, et peut-être à raison sur certains points. Ça te perturbe ?
Je m’en fous. Je suis dans une démarche d’enquête policière. Je vais sur la scène du crime, j’ai des intuitions mais il me faut des preuves. L’intuition me guide et ensuite, j’ai tenté de vérifier chacun de mes propos. Mais certaines personnes sont enfermées dans un système de pensée et demeurent incapables d’en sortir. Je l’ai vu avec Jean Pierre Adam par exemple. Je le préviens : « Je vais vous poser des questions un peu sensibles, dérangeantes. » Le type me répond : « Mais il n’y a aucune question dérangeante pour la science, allez-y ». Et quand tu commences et que tu lui dis : « Des gens prétendent qu’il y a un lien entre Gizeh et l’île de Pâques », le mec éclate de rire et te rétorque : « Non mais arrêtez, posez-moi une autre question ».


Il y a un autre système de pensée cloisonnée aussi. Celui d’envisager le « on nous cache des choses partout et tout le temps », qu’on retrouve parfois dans le film.

C’est ce que je vais tenter de gommer dans mon prochain film. Pour moi, il ne s’agit pas d’une chose conspirationniste qui est sue et qui est tue. Je pense qu’on a construit une histoire du peuple humain sur quelque chose qu’on a mis en place et qu’on a formaté. On a bâti un récit avec un sens du progrès, ce qui est important. Mais si tu arrives avec une hypothèse qui implique un autre fonctionnement, tu t’opposes forcément à des résistances

Sur la grande pyramide, il y a eu tellement de suppositions et de théories qu’à ce jour, il y a d’un côté le travail sérieux, académique et officiel et à côté, ceux qui veulent y voir des extraterrestres, des géants, des fantômes. Mais le problème de la grande pyramide, c’est qu’on ne parle pas uniquement d’un site archéologique en cherchant à résoudre son énigme historique. On touche à des choses qui sont à l’intérieur même des gens : la croyance, la religion. C’est tout de suite délicat, et il y a une suspicion légitime.

Merci beaucoup Patrice.