Prenant acte d’une pression migratoire sans précédent en Europe et des tragédies qu’elle produit, la Commission européenne a présenté ce mercredi en conférence de presse un plan d’action pour gérer la crise en Méditerranée. Il prévoit entre autres de tripler les ressources des missions d’opération en mer, et de lancer une nouvelle intervention près des côtes libyennes pour capturer les passeurs et détruire leurs bateaux. On a eu également la confirmation d’un principe de répartition des réfugiés et des demandeurs d’asile dans les États membres, une mesure qui avait déjà fuité ce lundi, et qui fait débat dans plusieurs pays de l’Union européenne (UE).
Plusieurs pays, comme la Hongrie ou la Pologne sont contre cette idée des quotas, mais c’est la ministre de l’Intérieur britannique, Theresa May, qui s’y est opposée le plus violemment dans une tribune publiée dans le quotidien The Times, ce mercredi. Considérant que les migrants qui traversent la Méditerranée devraient être renvoyés en Afrique du Nord, elle écrit « Je suis en désaccord avec la suggestion » de la chef de la diplomatie de l’UE Federica Mogherini, selon laquelle « pas un seul réfugié ou migrant intercepté en mer ne sera renvoyé contre son gré ». Elle explique sa position en déclarant « Une telle approche ne peut que favoriser la traversée de la Méditerranée et encourager plus de personnes à mettre leur vie en péril. »
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La Commission européenne a répondu ce mercredi à ces critiques, lors d’une conférence de presse réunissant Federica Mogherini, Dimitris Avramopoulos (le commissaire pour la migration) et le vice président de la Commission, Frans Timmermans. Répondant à une question sur la position britannique, ce dernier a déclaré : « Ne rien faire [ce] serait empirer le sort des personnes en détresse, et perdre toute crédibilité face à nos citoyens […] nous ne pouvons pas accepter que des familles entières se noient en Méditerranée. »
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Pour lutter contre les tragédies en mer, la Commission prévoit d’augmenter le budget des opérations Triton et Poseidon de surveillance des flux migratoires en mer — et qui viennent en aide aux migrants en danger, quand ils sont en mesure de le faire — pour le porter à 9 millions d’euros par mois, soit au niveau des moyens de l’opération de sauvetage en mer Mare Nostrum mise en place par l’Italie et arrêtée à l’automne 2014, faute de moyens et sous la pression d’États membres qui craignaient que cette initiative encourage les migrations illégales.
Dans une vidéo qui présente le plan d’action de la Commission qu’il préside, Jean-Claude Juncker déclare qu’on a mis fin « à tort » à Mare Nostrum, « parce que cela a augmenté l’ampleur et l’intensité du problème ». L’élargissement des champs d’action de ces opérations Triton et Poseidon, qui n’ont pas vocation à être des missions de sauvetage, n’a toutefois pas été mentionné. Si leurs moyens se rapprochent donc de Mare Nostrum, leurs attributions restent donc en l’état plus limitées que leur aînée.
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En Méditerranée, la Commission souhaite également une opération navale contre les trafiquants dans les eaux territoriales libyennes, avec l’accord de la communauté internationale. Le quotidien The Guardian a eu accès à une version du texte mentionnant une intervention terrestre en Libye dans son édition de ce mercredi, mais interrogée à ce sujet, Federica Mogherini a déclaré que ce n’était pas à l’ordre du jour, et elle a précisé que l’ampleur de l’opération navale serait discutée en Conseil des ministres des Affaires étrangères lundi prochain.
Les migrants qui auront réussi à traverser la Méditerranée seront répartis dans les pays membres, selon un système « de quotas de relocalisation d’urgence », à déclenchement automatique pour soulager les pays de la frontière sud de l’Europe du poids migratoire déséquilibré auquel ils font face.
Pour établir ce principe de quotas, demandé par l’Italie et soutenu par l’Allemagne et la France, les institutions européennes prendront en compte les capacités « d’absorption » des différents pays membres, à savoir la taille de la population de chaque pays, son PIB, le nombre de demandeurs d’asile qu’il a déjà accueilli, et le taux de chômage. Le Danemark, le Royaume-Uni et l’Irlande ne sont pas contraints par les traités européens à la législation communautaire sur l’asile et l’immigration.
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La Commission prévoit aussi des mesures à plus long terme. En coopération avec le Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (UNHCR), la Commission débloquera 50 millions d’euros pour réinstaller 20 000 personnes ayant fui dans un pays tiers parce que persécutées, dans un pays membre de l’UE. D’après l’UNHCR, 10millions de personnes dans le monde seraient dans ce cas. Cette réinstallation doit se faire sur 2015 et 2016.
Faisant le constat qu’en 2014, 72 pour cent des demandes d’asile ont eu lieu dans seulement cinq États membres sur 28, la Commission a déclaré avoir pris acte de l’échec du règlement Dublin II — le cadre juridique des demandes d’asile dans l’UE — selon lequel les migrants doivent demander l’asile dans le premier pays dans lequel ils arrivent. Frans Timmermans a déclaré que ce mécanisme serait revu en 2016. Un projet de « carte bleue », une espèce de « carte de verte » Européenne pour favoriser l’immigration légale est également suggéré.
Enfin, la Commission a insisté sur la coopération avec les pays d’émigration et de transit. Au Niger, où passent 90 pour cent des migrants sud sahariens en route vers la Libye, un centre d’accueil sera mis en place pour lutter contre l’immigration illégale et entraîner les officiers nigériens à réguler les flux.
Ces mesures seront discutées lundi prochain lors d’un Conseil des ministres des affaires étrangères de l’UE avant d’être présentées devant le Parlement européen mercredi 20 mai.
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Image via Flickr / Noborder Network