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Je suis officiellement trop moyen pour ma fac

Comment j'ai été condamné à arrêter mes études parce que j'ai passé ma vie à avoir 10.

Aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours aimé l'école. J'ai plusieurs flashs de moi enfant, avide de connaissance, souriant béatement à ma maîtresse de CE1 juste parce que j'avais la chance d'être . Assis sur une chaise, pour apprendre des trucs. Tout était simple. Mais je ne sais pas ce qui a merdé, je me suis retrouvé à de moins en moins chérir cette sensation. L'habitude, peut-être. Jusqu'au jour où, comme une grande partie d'entre vous, je n'en ai plus rien eu à foutre.

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Nous sommes aujourd'hui au début du mois d'octobre 2015, et à cause de ma médiocrité, je ne sais toujours pas si j'ai validé mon année précédente ou pas. Je ne participerai pas à la rentrée des classes universitaire. C'est de ma faute, mais pas exclusivement. Je vais tenter de raconter pourquoi.

Tout d'abord, je peux affirmer qu'au cours de mes péripéties scolaires, j'ai toujours plutôt eu de la chance. J'ai évolué dans un contexte familial qui m'a aidé dans ma longue et douloureuse quête vers l'acquisition de savoir. J'ai longtemps été bon élève, assez studieux, sérieux en cours. Ensuite je crois – sans grande prétention – avoir été relativement doué pour apprendre. Au collège, de fait, j'étais bon. Puis, ce dangereux tremplin que constitue le passage au lycée m'a fait passer, sans trop que je sache pourquoi, du statut d'élève modèle à celui d'élève moyen. Là, on peut dire que ma vie a officiellement démarré.

Plusieurs raisons à ce basculement soudain. Certaines sont inhérentes au milieu scolaire, d'autres non, et sont encore aujourd'hui trop intimes pour que j'aie envie de les raconter. Disons simplement que j'ai préféré, et été contraint, d'apprendre de la vie plutôt que de continuer à apprendre seulement des livres ou de mes professeurs. Dans les faits, j'ai vu ma moyenne générale passer d'un 16 obtenu sans forcer à un 11 acquis péniblement. Mes parents, ma famille et mes amis ne me reconnaissaient plus. Moi non plus, à vrai dire. J'étais pour la première fois de ma vie là où on ne m'attendait pas. Et pour être tout à fait franc, ça m'a plu.

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C'est donc en tant qu'élève moyen que j'ai obtenu mon baccalauréat, avec une mention passable, comme des millions d'autres élèves moyens de nationalité française. Puis comme tous les élèves moyens, je suis entré à l'université.

J'ai d'abord opté pour une première année d'études en STAPS, la fac de sport, que j'ai sans grande surprise, ratée. On devait être en 2011. Fort de cette non-expérience, je me suis réorienté dans une filière qui m'a révélé en tant qu'étudiant, mais également en tant qu'homme : la culture et la communication. C'est comme ça, sans que je m'en doute, que j'ai débuté un cycle infini d'emmerdes.

Un aperçu de la fac de Nancy. Photo via Flickr

La fac de Lettres de Nancy fait cohabiter en harmonie dans ses bâtiments ternes une tripotée de sociotypes divers. Ça va du rasta blanc en histoire de l'art au cliché du vendeur de shit casquette-jogging-baskets posé sur les marches de l'amphi et s'essayant sans trop y croire aux langues étrangères appliquées. Je me suis retrouvé au milieu de ce petit monde, situation parfaite pour passer inaperçu et y mener ma vie d'étudiant moyen. J'avais déjà une bande de potes, avec lesquels je passais le plus clair de mon temps. Deux d'entre eux étaient par ailleurs dans ma promo ; ça tombe bien, je n'ai jamais cherché à faire de rencontres. Il régnait sur le campus une ambiance paisible. On y retrouve deux ou trois graffs et autant de manifs par année scolaire, histoire de rappeler la culture contestataire qui a dû faire, jadis, les beaux jours de l'enceinte. Ma fac ressemble trait pour trait à toutes les autres facs de province : de vieux bâtiments, de vieilles salles de cours, de vieux amphis, du vieux matériel et de vieux cadres administratifs. Elle était faite pour moi : une fac moyenne dans une ville moyenne. Je dois reconnaître que je m'y suis – dans un premier temps, du moins – épanoui. Le terme « épanoui » signifie que je suis demeuré un élève moyen, pas forcément assidu mais assez bien dans ses baskets. Un étudiant un peu terne, pas excessivement bosseur, juste ce qu'il faut, à peu près comme tous les inscrits. Puis au fur et à mesure des devoirs sur table, des cours en TD et des magistraux en amphi, les premières difficultés d'adaptation et d'ordre méthodologiques sont apparues. Celles-ci, je m'en suis vite rendu compte, ont d'abord découlé de mon indépendance fraîchement acquise ; voir ses potes et boire des coups avec eux n'étant pas nécessairement une bonne façon de plancher sur des matières dont je n'avais jamais entendu parler jusqu'alors. En tout cas, ce qu'on m'y fait étudier me plaît.

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Lorsque j'entre en troisième année, la fac installe des serrures électroniques à chacune des portes du campus. Je n'ose imaginer qu'il s'agisse de lutter contre le vol, puisqu'il n'y a rien à prendre, sauf si l'on a dans l'idée de se procurer du mobilier d'il y a 40 ans.

J'obtiens donc mes deux premières années de Licence, sans brio. J'entre en troisième année, l'année de la Licence. Là, l'intitulé et le contenu de ma formation changent : j'étudie désormais en Information et Communication. Je vous passerai les détails de cette nouveauté, nous l'expliquerons par la recherche d'uniformité des formations entre les différentes universités françaises et par la fusion des universités de la région Lorraine, rassemblées en un seul et unique groupe désormais nommé – de manière tout à fait originale – « université de Lorraine ».

Comme dans tous les organismes en temps de crise, on cherche à rationaliser : réduction d'effectifs, de budget(s) et bien sûr, augmentation des « étudiants-clients ». À part ça rien ne change, sauf l'administration qui est encore plus inaccessible, les informations toujours plus contradictoires, les professeurs de moins en moins à l'écoute. Pour vous donner une idée du phénomène, cette année-là sont installées des serrures électroniques à chacune des portes du campus, sans motif valable. Je n'ose imaginer qu'il s'agisse de lutter contre le vol, puisqu'il n'y a littéralement rien à prendre, sauf si l'on a dans l'idée de se procurer du mobilier d'il y a 40 ans. On s'en fout, me direz-vous. Sauf que la mise en place d'un tel système a un coût : plus d'un million d'euros si l'on en croit les responsables de l'UNEF, le syndicat des étudiants.

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C'est dans ce contexte que j'obtiens ma Licence, avec une honorable mention assez bien. J'entre en Master, non sans fierté. Tous les éléments sont réunis. Ma vie peut enfin partir à vau-l'eau.

Photo via Flickr

Lors de mes deux premières années, ma moyenne générale ne dépassait pas les 10,5 : juste ce qu'il faut. En année de Licence, j'ai pris du galon avec un joli 12. Je n'ai pourtant pas eu l'impression de travailler plus. Je mets ça sur le compte d'une acclimatation réussie : au bout de deux ans dans le même cursus, on se rend plus ou moins compte de ce que les professeurs attendent de nous. Aujourd'hui je ne me considère pas comme quelqu'un de moyen. Je ne sais pas ce que c'est, en fait : un élève moyen peut être défini comme tel par les notes qu'il obtient. Il est beaucoup plus difficile de noter un individu. Globalement, je dirais que je me sens : normal.

En début d'année dernière, en septembre 2014, je me spécialise dans ce que les instances dirigeantes appellent le « conseil et les stratégies de communication ». Restant sur ma lancée, je valide mon 1 er semestre avec la même réussite que l'année précédente. Une nouvelle fois, il ne s'agit pas d'excellence, mais avouons que ce n'est pas dégueulasse non plus. C'est au second semestre que cette vaste blague qu'est l'organisation de ma formation me saute à la gueule.

Un stage obligatoire de deux mois vient chambouler la coordination déjà si frêle des différentes composantes de ma formation. C'est ainsi que nous sommes contraints de passer nos examens avant le début du stage, qui commence tôt : au mois d'avril. Le stage est noté et compte à lui tout seul pour une UE. Les rattrapages étant prévus juste à la fin du stage, il est de fait impossible de prendre en compte la notation de celui-ci avant la période des rattrapages.

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En substance, ça signifie que les étudiants sont contraints de passer des épreuves de rattrapage avant que leur moyenne générale ne soit connue dans sa totalité. Aberration généralisée, atermoiements, etc. Et dans ma déveine, je fais partie de ces étudiants qui doivent passer les rattrapages. Ouais. Dans une volonté de minimiser l'absurdité de la situation, je me dis qu'après tout, je n'avais qu'à réussir mes épreuves en première cession pour m'éviter ce contexte précaire et merdique. Je passe donc lesdites épreuves et les valide. Peu après, j'apprendrai que ma note de stage aurait suffi à me faire avoir mon second semestre, m'évitant donc les rattrapages. Fair enough.

Mais le pire, le voici : je me retrouve avec des moyennes totalement incohérentes, sans savoir si j'ai validé mon année ou pas. Nous sommes début juillet 2015. C'est déjà très stressant, mais le stress va aller de mal en pis.

Ayant pris la décision d'attendre que ces notes soient formalisées par l'administration, je me retrouve mi-juillet, toujours dans la même situation. Je me décide donc à envoyer un mail (plusieurs, en réalité) à ma responsable de formation qui, comme à son habitude, ne prend pas la peine de répondre. Changement de destinataire. Je contacte la secrétaire dont le job est de numériser les notes pour que les étudiants puissent y accéder par Internet. Celle-ci m'apprend que j'ai validé mon année en première cession. Cool.

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Mais horreur ; au moment où je postule pour un Master 2, continuité de l'année de M1 que j'ai apparemment validée, j'apprends, vers mi-juillet 2015, que je suis refusé. Avec pour seule explication une mention entre parenthèses précisant : « résultats insuffisants ». Pas cool.

Photo via Flickr

Cet échec m'a ramené à mes années lycée, ce moment où j'ai décidé en mon âme et conscience de devenir moyen à l'école. Je me rappelle tous ces moments passés « au Trou », « à l'Épinette » ou à « l'Inter » (chaque lycéen se devant de trouver une dénomination à tous les coins pourris qu'il squatte avec ses potes), pour écouter le dernier Booba, le nouveau freestyle de LIM, ou Bob Marley. On faisait nos petites conneries et on arrivait à se débrouiller pour ne pas être dérangé par les pions, les profs, ou la CPE. À côté de ça, j'étais un mec sympa, plutôt drôle. J'avais un look de skateur. Et comme tous les jeunes cons, je combattais tout ce qui s'apparentait à une forme d'autorité. J'essayais de n'emmerder personne et de faire en sorte que personne ne m'emmerde.

Je m'étais néanmoins rendu compte que ma façon d'être en cours ne me définissait pas en tant qu'homme. C'est pourquoi, si je me débrouillais toujours pour passer en classe supérieure en en faisant le moins possible, j'essayais de profiter de mon généreux temps libre pour comprendre le monde. En d'autres termes, j'avais pris la décision de devenir quelqu'un, moi en l'occurrence, en essayant de faire des choix (politiques, sociaux, philosophiques, littéraires) par mes propres moyens. Pour ceux qui ont des bases en sociologie, j'essayais de sortir de mon habitus. Et aujourd'hui, je ne regrette absolument rien – mis à part LIM, peut-être.

Aujourd'hui cependant, mon impossibilité de terminer mon Master est due non seulement à mes résultats moyens au bac, mais aussi à la médiocrité relative de mes premières années d'études. On a également évoqué le prétendu « manque de fougue » de ma lettre de motivation. Tout cela, dans un style direct, assez du moins pour me faire entendre qu'il fallait que je m'estime heureux que la direction m'apporte ces précieuses informations complémentaires.

Que l'Université mette en place un système de sélection élitiste, soit. Pour prétendre à l'excellence, il faut moins de diplômés ; l'opération est implacable. Néanmoins, qu'elle le fasse à l'entrée de la dernière année de Master, soit lors de ma potentielle dernière année d'études supérieures, c'est tout simplement incompréhensible. Je me retrouve aujourd'hui contraint d'entrer dans un autre monde cruel, celui du travail, sans avoir le bagage qui, je le pensais, me revenait de droit – et de travail.

Je suis désormais condamné à rater ma vie parce que j'ai passé celle-ci à avoir la moyenne.