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Le professeur de danse parti combattre l’EI

Mike a quitté le Royaume-Uni pour se battre contre Daesh aux côtés des Kurdes et des Irakiens.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
Mike en Irak

Il y a deux ans, l'État islamique a proclamé son califat sur les territoires conquis en Irak et en Syrie. L'annonce a été faite après une blitzkrieg de trois semaines dans tout le nord de l'Irak, qui a fait des milliers de morts et s'est terminée avec la prise de Mossoul, deuxième ville du pays.

Exactement 730 jours plus tard, le groupe contrôle toujours la ville. Il multiplie les viols et les crucifixions. Il sature Internet de meurtres en haute définition et massacre des civils dans les rues d'Europe et d'Amérique. Mais qu'est-ce que ça fait de combattre l'EI ? D'ailleurs, son culte de la mort peut-il être combattu ?

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J'ai discuté avec Mike, un professeur de danse de 54 ans originaire de Portsmouth, en Angleterre, qui a passé six mois – de juin à décembre l'année dernière – à se battre contre l'EI sur les lignes de front irakiennes. Mike, qui a demandé que l'on ne divulgue pas son nom pour des raisons de sécurité, fait partie d'une poignée de Britanniques – presque tous des anciens soldats – qui sacrifient leur vie, gratuitement, pour cette bataille. Ils vont au combat parce que le gouvernement ne veut pas y aller. L'EI ayant mis à prix la tête de chaque Occidental pour 150 000 dollars, c'est sans doute l'endroit le plus dangereux pour un Britannique.

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VICE : Salut Mike. Qu'est-ce qui pousse un homme à faire des milliers de kilomètres pour prendre part à une guerre qui n'est pas la sienne ?
Mike : Cette guerre est bel et bien la mienne. Nous avons créé une vacance du pouvoir qui a donné naissance à l'EI le jour où nous avons envahi l'Irak en 2003. Quand je vois des images du massacre perpétré contre les Yazidis, je me demande pourquoi personne ne fait rien pour empêcher cela. Dans les années 1980, j'ai passé quatre ans et demi à me battre en Afrique centrale avec la Légion étrangère, donc j'ai l'habitude de combattre les insurgés. J'ai la formation et les compétences nécessaires. Je me suis dit que c'était l'occasion de faire quelque chose de vraiment utile.

Vos motivations étaient-elles purement idéologiques ?
Tout à fait. Mais honnêtement, le mode de vie militaire me manquait – en particulier sa simplicité. La vie moderne est vraiment complexe – les mails, la course folle, les problèmes du monde développé, tous ces trucs. Alors qu'en guerre, tout ce dont vous devez vous soucier est de ne pas vous faire tuer. Cela permet d'apprécier le fait d'être en vie. Je me souviens avoir roulé à travers le désert dans un camion blindé à 130 km/h – pour éviter les mortiers – en chantant sur la musique qui passait à la radio. Je me suis demandé Merde – combien d'hommes de 53 ans seraient capables de faire ça ? Il n'y a rien de comparable.

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Quelle a été la réaction de vos proches quand vous leur avez annoncé que vous partiez au combat ?
Beaucoup de personnes dans la communauté de la danse – j'enseigne le West Coast Swing – ne comprenaient pas que je veuille faire ça. Ils m'ont demandé si je faisais une sorte de crise de la quarantaine. Certes, j'ai traversé différentes crises depuis ma trentaine, mais là, j'ai senti que cette menace aurait un impact sur moi : sur mon avenir, sur l'avenir de mes enfants.

Comment ont réagi vos enfants ?
Je suis divorcé et j'ai deux enfants, âgés de 30 et 28 ans. Ils ne comprennent pas ma décision, mais ce n'est pas la première fois qu'ils ne comprennent pas l'une de mes décisions. Je pense qu'ils se disent : qu'est-ce que ce vieux fou a encore inventé ?

Comment avez-vous fait pour vous rendre là-bas ?
Je me suis fait des contacts sur Facebook, j'ai pris un vol pour le Kurdistan irakien, via la Turquie. Je me suis moi-même procuré mes armes – un Kalachnikov RPK et un pistolet Walther PPK – au marché d'armes local de Souleimaniye. J'ai immédiatement trouvé du travail auprès d'une ONG, Shadows of Hope, où les Peshmergas étaient chargés d'entraîner les soldats. En revanche, je ne pensais pas qu'il serait à ce point difficile de me mettre en danger une fois là-bas.

Que voulez-vous dire ?
Les Kurdes ne tiennent pas à ce que les Occidentaux meurent – ça fait de la mauvaise publicité.

Comment êtes-vous parvenu sur le front ?
En travaillant avec le 2e groupe d'opérations spéciales kurde sur la ligne de front au sud de Kirkouk, j'ai vu une équipe de soldats américains qui se rendait dans la ville assiégée de Sinjar – là où les Yazidis ont été massacrés. Ils ont accepté de m'emmener.

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À quoi ressemblaient les autres volontaires étrangers de votre unité ?
C'était principalement des Américains typiques – des mecs bruyants, mais sympas. Il y avait notamment d'anciens membres des forces spéciales, d'anciens marines, un ancien Ranger de l'armée américaine. J'en suspecte quelques-uns de travailler encore pour le gouvernement. Ils étaient tous assez hardcore.

Savez-vous pourquoi ils ont décidé de risquer leur vie ?
Chaque homme avait ses propres raisons. Notre motivation commune était idéologique – nous étions d'anciens soldats et avions les compétences nécessaires pour aider. Sinon, la fraternité manquait à certains mecs. D'autres étaient accros à l'adrénaline. D'autres encore n'avaient rien à la maison et venaient combler un vide. Certains avaient été dans les forces mais n'avaient jamais vu d'action et voulaient cocher cette case.

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Vous avez passé trois mois à Sinjar. Comment était la vie là-bas ?
Sinjar était en état de siège. Dans certains endroits, les lignes de front n'étaient qu'à 50 mètres les unes des autres. La nourriture était dégueulasse, les sanitaires étaient atroces, et les infections étaient persistantes. Il n'y avait presque pas d'électricité, mis à part quelques générateurs. Le comble, c'est que j'avais une meilleure connexion 4G sur la ligne de front qu'en Angleterre. Nous dormions dans des maisons bombardées, et puisque nos têtes étaient mises à prix, nous devions changer d'endroit tous les sept jours.

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Vous battiez-vous constamment ?
Non. Pendant la journée, les membres de l'EI se terraient dans leurs tunnels, en attendant que la nuit tombe. Nous faisions des patrouilles de reconnaissance, nous entraînions les soldats yazidis et soignions les blessés. Je me souviens être resté en position de reconnaissance et avoir regardé des milliers de camions avec des plaques d'immatriculation turques passer en continu sur l'autoroute 47, en direction de la Turquie et en provenance du territoire détenu par l'EI. Que faisaient-ils ? Et pourquoi la coalition n'a-t-elle pas bombardé l'autoroute 47 ? Elle aurait pu couper une énorme partie des revenus de l'EI simplement en appuyant sur un bouton, mais elle ne l'a pas fait. La complicité dans la région est énorme, surtout quand il s'agit du pétrole.

Que se passait-il la nuit ?
L'EI attaquait.

Comment c'était ?
Un soir, j'étais de garde avec deux Kurdes. Nous étions détendus, nous fumions des cigarettes, quand à environ 1h, nous avons vu des flambeaux sur un mur sur la ligne de l'EI. Nous avons ouvert le feu. C'était leur repère. Des « Allahu akbar » ont immédiatement retenti dans l'obscurité et des vagues de soldats de l'EI ont débarqué dans le no man's land. Des coups de feu, des cris, des balles ; c'était le chaos. Ces enculés se foutent de vivre ou de mourir. Nous savions que nous en avions touché un quand nous entendions des cris. Leur mission consistait à gagner du terrain en lançant des grenades ; la nôtre était de les abattre avant qu'ils ne traversent. Ils n'ont jamais traversé.

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Pourquoi la coalition ne les a-t-elle pas bombardés ?
Elle a essayé, mais l'EI savait toujours à l'avance que les avions arrivaient, comme s'il avait une sorte de système d'alerte précoce. À Sinjar, c'est comme ça que nous savions que les avions arrivaient – les insurgés se désengageaient et se précipitaient dans leurs trous.

Au cours des deux années écoulées depuis que l'EI a déclaré le califat, comment pensez-vous que la situation a évolué ?
En 2014, l'EI ressemblait plus à une unité militaire classique, ce qui lui a permis de prendre tout le territoire qu'il voulait avant de déclarer le califat. Mais depuis Sinjar, le groupe a perdu tellement de territoire qu'il s'est transformé, tactiquement, en une insurrection. Ils sont en mode défensif : des attaques éclair, des attentats-suicides dans les marchés, des attentats à l'étranger. Je pense qu'ils se sont trop étendus en créant le califat, et maintenant, ils ont seulement la main-d'œuvre pour le défendre. Cela ne veut pas dire qu'ils sont en fuite – ils resserrent les rangs et se consolident dans des zones qui seront très difficiles à reprendre.

Pensez-vous qu'il soit possible de vaincre l'EI ?
À mon avis non, en tout cas pas tout de suite. Le problème, c'est que les armées irakiennes et kurdes ne se déplacent pas assez vite, et que l'Occident ne semble pas disposé à s'engager sérieusement. Il y a trop d'intérêts politiques en jeu. Pour commencer, tout le monde se fait de l'argent avec le pétrole. Tout le monde. En outre, les Kurdes veulent être indépendants de l'Irak afin de renforcer leurs frontières, plutôt que de mener une offensive en Irak continentale. Si nous voulons détruire l'EI, l'OTAN doit intervenir. Nous avons besoin d'importants bombardements aériens, et non de frappes aériennes au coup par coup de la coalition. Nous devons mettre la main à la pâte et arrêter de penser que c'est la guerre de quelqu'un d'autre. C'est notre guerre, et les Kurdes, les Irakiens et tous les autres qui se battent là-bas meurent pour nous.

Vous ne semblez pas vraiment confiant.
Eh bien, tout dépend de nous. Mon pronostic est que le patient est en train de mourir lentement. Il y a un traitement, mais il doit être décisif, concerté, et rapide.

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