À la rencontre d'un surveillant de plage français

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À la rencontre d'un surveillant de plage français

Lunettes de soleil et sifflet à la bouche : chaque été, Gwen Lefranc veille à ce que vous reveniez en vie de vos séjours à la mer.

Comme environ 57% des Français, vous envisagez peut-être de partir en vacances cet été. Toujours selon les mêmes statistiques, votre choix devrait naturellement se porter vers les côtes françaises – Hossegor, Quiberon, ou Port Leucate, selon vos affinités et vos inclinations. Là, entouré de vos potes, vous vous prélasserez sur votre serviette, enchaînerez les commentaires mesquins sur vos voisins de plage, lirez des livres de qualité médiocre et pratiquerez toutes sortes d'activités plus ou moins humiliantes dans l'eau.

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Mais, quoi qu'il arrive, un homme ou une femme veillera sur vous. Dans le sable chaud ou sur les mers agitées, les surveillants de plage sont l'équivalent le plus proche de Dieu, ou de votre mère – à supposer que Dieu ou votre mère en aient quelque chose à foutre de votre intégrité physique.

Pourtant, et vous vous en doutez, ce sont des gens comme vous et moi qui officient dans les postes de secours, de Juan-les-Pins à Perros-Guirec. Pour avoir une petite idée de ce à quoi ressemble la vie d'un surveillant de plage – du sauvetage d'enfants à la dérive aux longues heures passées à scruter le large – je suis allé interroger l'un d'eux.

Gwen Lefranc a 40 ans. Il a passé la moitié de sa vie en tant que nageur-sauveteur professionnel sur les plages hexagonales. Il est également formateur bénévole au sein de la Société Nationale des Sauveteurs en Mer (SNSM). Gwen a accepté de répondre à mes questions et m'a fait part de ses meilleurs souvenirs de parents irresponsables. Il en a également profité pour m'en dire plus sur l'évolution de sa profession et son amour du basket.

VICE : Bonjour Gwen. Pour commencer, racontez-moi comment vous êtes devenu nageur-sauveteur.
Gwen Lefranc : En fait, mon frère l'était déjà. Je viens de Lorient. Là-bas, on a l'habitude de passer beaucoup de temps dans l'eau, de faire face aux vagues. Je voulais combiner cette passion à mon envie d'aider les autres. Et puis, comme j'aimais beaucoup le basket, c'était un moyen de retrouver l'esprit d'équipe de ce sport tout en exerçant une autre activité.

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Votre job a pourtant l'air assez solitaire. J'imagine toujours le sauveteur comme étant un mec qui reste assis sur sa chaise haute pendant des heures sans dire un mot.
En vérité, il est très dur de réaliser une opération de sauvetage par soi-même. J'ai beau mesurer 1 mètre 95 et peser près de 90 kg, j'ai du mal à sortir quelqu'un de l'eau tout seul. Je suis heureux de savoir qu'un coéquipier veille sur moi – qu'il peut me prêter main-forte.

Il arrive également que cinq personnes soient entraînées par le courant au même moment. Dans ce cas, il faut savoir s'organiser. C'est pour cela qu'on retrouve dans notre métier des principes de cohésion et des dispositifs propres aux sports collectifs.

Pensez-vous que quelqu'un d'un peu « faible » physiquement puisse devenir nageur-sauveteur ?
Le plus important est d'aimer l'eau et d'avoir envie de donner aux autres. Surveiller une plage implique un côté social. Vous répondez aux questions que peuvent vous poser les gens, et ce n'est pas grave si vous n'êtes pas « une force de la nature ». Il y a des postes de secours où la majorité des activités consiste à récupérer des planches à voile ou des dériveurs en pneumatique. Comme je le disais, nous travaillons en équipe. Les compétences de chacun se complètent.

Je n'arrive pas à imaginer qu'en France, un acte terroriste puisse avoir lieu sur une plage. Je me plais à imaginer les plages comme des lieux de plaisir éloignés de la violence.

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En 20 ans, votre métier a dû beaucoup évoluer, non ?
Au niveau des méthodes de travail, pas vraiment – c'est surtout le matériel qui a changé. Quand j'ai commencé, on n'utilisait pas de combinaisons. Elles n'étaient ni confortables, ni performantes. On travaillait en short et en maillot. D'ailleurs, il m'arrivait de terminer des journées frigorifié.

Aujourd'hui, c'est beaucoup mieux. On utilise des bateaux pneumatiques plus rapides et maniables, des jet-skis, des défibrillateurs, etc. De nouveaux outils apparaissent chaque année – avec plus ou moins de succès. Cet été, l'utilisation de drones va être expérimentée au niveau de Biscarrosse [station balnéaire d'Aquitaine]. Est-ce que c'est le futur ? Je n'en sais rien. Je n'y crois pas trop. Mais peut-être suis-je déjà trop vieux pour m'ouvrir à ces technologies.

Cet été, les CRS en charge de la surveillance des plages sont armés. Qu'en pensez-vous ?
Avant, ils avaient déjà sur eux une partie de leur matériel – comme les menottes. Là, ça marque une escalade dans la violence. Est-ce légitime ? Difficile à dire. Je n'arrive pas à imaginer qu'en France, un acte terroriste puisse avoir lieu sur une plage. Je me plais à imaginer les plages comme des lieux de plaisir éloignés de la violence.

Bien sûr, il arrive que la tension monte avec certaines personnes. Dans de tels cas, on ferme la zone de bain et on se regroupe entre sauveteurs pour faire face. C'est généralement assez dissuasif. Dans le pire des cas, on appelle la police municipale. Aujourd'hui, ça me rend triste de savoir que les choses peuvent s'aggraver.

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Vos relations avec les vacanciers ont-elles évolué en 20 ans ?
Ce sont surtout les activités qui ont changé. Aujourd'hui, le kitesurf est très présent sur certaines plages – tout comme le surf, dont la pratique a explosé. Ce sont des activités auxquelles on doit s'adapter parce qu'elles créent de nouveaux types d'accidents. Dans le Sud-Ouest, des arrêtés ont été instaurés afin de réguler les pratiques et limiter les risques.

Quels sont les accidents les plus courants sur la plage ?
Ce sont très souvent des personnes emportées par le courant, qu'il faut aller chercher. Sinon, beaucoup de « bobologie » : des petites blessures causées par des cailloux ou des vagues.

Certaines personnes ont tendance à vous énerver ?
Ceux qui ne respectent pas les règles de sécurité. Exemple très simple : quand on hisse le drapeau rouge, certains vont quand même se baigner. Là, non seulement ils se mettent en danger, mais ils mettent également en danger la vie des sauveteurs – qui devront peut-être les secourir.

Il y a aussi les parents qui ne font pas attention à leurs gamins. Je me souviens d'un jour où nous avons dû récupérer deux enfants – un frère et une sœur de 10 et 8 ans – qui avaient été entraînés vers le large alors qu'ils étaient assis sur une planche de bodyboard. Heureusement, on a fini par les ramener sains et saufs sur la plage. Après un temps de recherche, on a retrouvé leur mère, occupée à bronzer sur le sable. Celle-ci nous a engueulés ! Dans ces moments-là, on prend sur nous et on essaie de rester calme. Les sauveteurs ne sont pas des nounous présentes pour assumer le rôle des parents. Nous avons une plage à surveiller.

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Je vois. Hormis les mères irresponsables, quelles sont les autres difficultés du métier ? J'imagine que rester assis pendant des heures ne doit pas faciliter la concentration.
Je dirais que l'une des qualités d'un nageur-sauveteur est de savoir s'ennuyer. Il faut être capable de rester vigilant pendant des heures malgré le bruit, la chaleur, le froid, la foule, etc. Il m'arrive de passer quatre ou cinq heures sur une plage sans rien faire à part me les geler. Dans ces cas-là, il faut gérer son corps : se désaltérer au bon moment, faire des étirements, se nourrir pour reprendre des forces. Comme des sportifs de haut niveau, en somme.

Parfois, vous encaissez bien le choc. Une, deux, trois fois. Et puis, la quatrième fois, vous craquez parce que la victime est un enfant ou une personne de votre âge à laquelle vous pouvez vous identifier.

Vous devez parfois être confronté à des choses difficiles, comme la mort, non ?
Ça m'est arrivé, mais pas souvent – heureusement. Notre job est avant tout préventif. Autrement dit, éviter qu'un danger ne survienne. Mais il peut arriver qu'une personne décède en mer malgré la prévention et les secours. Nous devons être prêts à faire face.

Parfois, vous encaissez bien le choc. Une, deux, trois fois. Et puis, la quatrième fois, vous craquez parce que la victime est un enfant ou une personne de votre âge à laquelle vous pouvez vous identifier. Si ça va mal, on peut bénéficier de l'aide d'un psychologue. Il y a aussi des stages proposés par la SNSM pour apprendre à gérer ces difficultés.

Pour revenir à des choses plus légères, est-ce qu'être surveillant de plage est un bon plan pour la drague ?
J'imagine que ça aide, oui. Un peu comme chez les pompiers. Mais je ne suis pas le mieux placé pour en parler. Je pense néanmoins que ceux qui nous apprécient le plus, ce sont les enfants. Chaque été, il y en a qui viennent nous voir exprès pour être pris en photo à nos côtés.

OK. Des conseils à donner à ceux qui fréquentent les plages cet été ?
Il faut bien se renseigner sur les risques liés à la plage que vous fréquentez, se baigner dans la zone de bain et respecter les consignes de sécurité. Et bien sûr, prendre du plaisir !

Merci Gwen. Promis, on suivra vos conseils.

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