Je vends des conventions de stage bidons sur internet

Virgile*, vendeur de conventions de stage à domicile. Toutes les photos sont publiées avec son aimable autorisation

Dans trois semaines, je fêterai mes 25 ans, soit l’âge où la plupart des gens de la génération de mes parents avaient déjà signé un CDI et le contrat de vente de leur appartement – ou d’un pavillon en banlieue proche de toutes commodités pour les plus chanceux. Personnellement, je vis toujours chez ma mère et je finis tout juste mon master 2, sans enfant ou contrat de travail en perspective. Pire, j’enchaîne mon cinquième stage dans l’espoir de pouvoir, un jour, aspirer à la confortable stabilité d’un emploi pérenne et à l’indépendance – et peut-être aux doux braillements d’un petit réceptacle de mon patrimoine génétique.

En 2012, 1,6 millions de jeunes ont eu recours à un stage. Si je n’ai pas trouvé de boulot d’ici la fin de mes études, je serais forcé de rejoindre les hordes de jeunes diplômés, qui, comme moi, chercheront un énième stage après la fin de leur cursus. J’accepterai l’esclavage volontaire, l’asservissement à un marché de l’emploi qui, semble-t-il, ne fait pas de place pour tout le monde. Ce qui me reste en travers de la gorge dans tout ça, c’est que je serai bientôt susceptible de devoir payer pour avoir le droit de faire un stage, tout en me faisant vanner par des journalistes sur le déclin.

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Depuis quelques années, des petits malins ont monté de toutes pièces des « instituts de formation pour adultes » et autres « organismes d’éducation linguistique » qui n’existent que sur la toile. Leur but est de facturer des conventions de stage, entre 60 et 600 euros, souvent sans autre formalité que celle de signer un chèque. Virgile, 25 ans et Bac +5, vit de petits boulots et du RSA après une expérience décevante en tant que stagiaire dans une entreprise de rédaction web. Dégoûté d’avoir eu recours à un « organisme de formation » qui lui a facturé 580 euros sa convention de stage, il a décidé de faire de la résistance à sa manière en vendant des conventions à prix cassés.

Une des conventions de stage proposées par Virgile

VICE : Salut Virgile. Ça fait combien de temps que tu vends des conventions de stage à bas prix sur internet ?
Virgile : Le site date du mois d’octobre, et j’ai réellement commencé « l’activité commerciale » le 1er mars. Aujourd’hui, j’en ai vendu à peu près 12 – ce qui est évidemment bien inférieur à l’immensité de la demande qui a afflué à partir du moment où j’ai commencé à faire de la publicité sur internet.

Tu t’es fait combien en trois mois ?
Si je devais compter… C’est sûr que je ne fais pas ça pour devenir millionnaire en tout cas. À 59 euros la convention – sauf les deux dernières que j’ai vendues à 159 euros –, j’ai gagné 758 euros en bientôt trois mois. Sachant qu’il y a deux conventions que j’ai fournies gratuitement, et qu’il y a des frais. En tout cas, c’est moins que le prix d’une convention dans un des autres organismes. Ce qui prouve au final, j’ose l’espérer, que ma démarche n’est pas financière. Je n’ai absolument pas envie d’en faire une activité pérenne qui me rapporterait de l’argent.

Et pourquoi tu t’es lancé là-dedans ?
Ça, c’est le nœud du problème. L’année dernière, un bon ami à moi m’a trouvé un stage dans une boîte pour faire de la rédaction web. Lorsque j’ai passé l’entretien d’embauche, on m’a demandé si j’étais scolarisé quelque part. Étant donné que je venais de finir mes études, j’ai répondu que non. On m’a dit que ce n’était pas possible, qu’il fallait obligatoirement être étudiant en France pour pouvoir obtenir une convention de stage. La personne qui était juste au-dessus mon tuteur connaissait un organisme capable de délivrer des conventions, et m’a expliqué que ça allait me coûter 600 euros. Sur mes trois mois de stage, j’ai donc passé environ un mois de bénévolat, où l’intégralité de mes indemnités a servi à rembourser les frais que j’avais avancés pour obtenir cette fausse convention. J’ai trouvé ça sincèrement scandaleux.

À partir de là, j’ai commencé à m’intéresser de plus près à ce genre d’organismes de formation professionnelle. Il y a le CBLE à 580 euros, par qui je suis passé. Il y a aussi Be Student Again, qui cible en priorité les étudiants étrangers et vend des conventions à 480 euros.

OK. Et c’est quoi ton procédé ? D’où proviennent tes demandes, comment tu fais pour les traiter et les envoyer ?
Le site internet que j’ai créé me fait office de vitrine, il n’y a pas d’autre mot. Dessus, il y a un formulaire de contact directement lié à ma boîte mail professionnelle. Ensuite, il y a un nombre de demandes bien plus important que le nombre de conventions vendues. Le nombre de demandes que j’ai reçues m’a fait comprendre à quel point on vit dans une société du stage. Après c’est comme dans un magasin, les gens te demandent à combien est le pantalon, ils te disent qu’ils vont revenir ou pas. Et au final, tu soldes une demande sur 7 ou 8.

On ne peut pas se permettre de payer pour avoir le droit de travailler, parce que ça nous fait entrer dans un système d’esclavagisme.

Vis-à-vis de la loi, tu n’as pas peur de prendre des risques ?
Si, mais au risque d’être arrogant, c’est la loi qui est mal faite. Je ne profite pas de ça. Je ne fais que rembourser mes frais de fonctionnement, ma publicité sur Internet, les envois que je prends à ma charge et récompenser un tout petit peu le temps que je passe sur mes différents dossiers. Si je faisais 10 conventions par mois à 580 euros comme certains, là j’aurais peur. Mais quand je vois l’ampleur du vide juridique, je me demande s’il n’est pas entretenu artificiellement. La seule chose qui peut me concerner, c’est le fait que je ne donne pas les 200 heures de cours… que les étudiants ne veulent pas, de toute façon.

Juridiquement, les autres organismes qui délivrent de fausses conventions sont des arnaqueurs – tout autant que moi –, parce qu’ils ne font pas 200 heures de cours. On est sur la même filière, mais ils dépassent les bornes au niveau du prix.

Que penses-tu des vrais organismes d’enseignement, qui réinscrivent leurs élèves au prix fort afin qu’ils puissent faire des stages ?
Pour moi, ce sont les pires. Eux ne risquent rien – ils ne font que reprendre leurs anciens étudiants. Peut-être qu’au final ils trouveront le moyen de faire passer 200 heures de cours mais, sincèrement, ça n’intéresse personne de vérifier. Et du coup ils peuvent se faire beaucoup d’argent sur leurs anciens étudiants, histoire qu’ils puissent enquiller un stage, deux stages, pendant leur « année d’études ».

Qu’est-ce que tu as à répondre aux gens qui pourraient te traiter d’arnaqueur ou de crapule, au même titre que tes concurrents ?
Une crapule se fait de la marge. Ce n’est pas mon cas.

Es-tu d’accord avec ceux qui demandent l’abolition des stages ?
Totalement, même si j’ai peur que ça bloque le marché pendant un temps. Mais on s’habitue à tout, donc oui, c’est ce qu’il faudrait faire, pour la simple et bonne raison que les entreprises ne jouent pas le jeu. Elles veulent des jeunes diplômés pour faire des stages et non des étudiants. Je les comprends. Elles veulent la meilleure chair à canon possible, la plus facile à former. Combien d’annonces demandent des Bac+3 pour finalement prendre des Bac+5 déjà formés ?

Au final, on habitue les gens à la précarité. On habitue les gens à commencer par un stage, qu’ils payent de leur propre poche – ce qui est moralement abject. Et je sais que je participe à ça. Mais j’essaye au moins de faire en sorte que la peine financière soit au moins abordable, la moins forte possible ! On ne peut pas se permettre de payer pour avoir le droit de travailler, parce que ça nous fait entrer dans un système d’esclavagisme. Toute cette génération de jeunes diplômés est précaire. Et tu habitues des gens à se contenter de leur précarité et à payer cher pour une convention.

Merci Virgile.

* Son nom a été changé

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