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La plus douce des délivrances

Filmer des gens en train de percer leurs boutons est-il devenu le nouveau porno ?

​Une capture tirée d'une des nombreuses vidéos YouTube du Dr. Vikram Yadav (aka « Le Roi des points noirs »)

​​Le diable donne du travail aux pouces désœuvrés. Il en va même pour les ongles, les baguettes, les scalpels, les ciseaux et autres instruments spécialement pensés pour que vous puissiez extraire n'importe quel excès de saleté de votre corps.

Nous le faisons tous. Qu'il s'agisse d'une rapide pression sur les points noirs se trouvant sur le côté du nez, du retrait d'un petit poil en trop ou de l'explosion d'un bouton blanc, nos corps peuvent être purgés indéfiniment. Mais aujourd'hui, cet entretien du corps ne se passe plus uniquement dans l'intimité de nos salles de bain. À la place, des millions de personnes mettent en ligne ces moments sur YouTube pour que des spectateurs curieux puissent les regarder. Une vidéo intitulée « ​Best Pimple Pop Ever ​» (« Meilleure explosion d'un bouton ») a récolté plus de 22 millions de vues - ce qui fait beaucoup d'obsédés du pus.

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Et ce n'est pas uniquement un terrain de jeu réservé aux amateurs. Il existe aussi une communauté de médecins professionnels qui filment leurs extractions. ​Dr. Vikram Yadav, que tout expert en extraction connait par son prénom, est un important récidiviste. Le dermatologue -  affectueusement surnommé « le Roi des points noirs » - se targue d'avoir atteint les 168 millions de vues sur ses vidéos, qui consistent essentiellement en des gros plans sur des extractions de points noirs sur le nez de vieux Indiens. Sa vidéo la plus populaire, « ​Black & White Heads on Nose Part 3 », a récolté plus de 18 millions de vues. Cet homme est une sorte de célébrité.

Cependant, ces nouvelles célébrités YouTube ne se concentrent pas nécessairement sur le pus. Prenons l'exemple de Nick C​hitty, un audiologiste moustachu basé à Wiltshire, en Angleterre. Il insère des caméras dans les oreilles de ses patients, avec une curette auriculaire qui lui permet d'enlever les bouchons de cire collés sur leurs canaux auditifs. Vous aurez peut-être envie de régurgiter votre déjeuner en lisant ça, mais ses 3,5 millions de vues suggèrent que beaucoup de gens trouvent le fait d'enlever le cérumen des oreilles particulièrement excitant. Un million et demi de ces vues proviennent de son chef d'œuvre, « ​Ear wax removal Unbelievable what comes out » où il utilise le petit instrument en métal pour retirer une masse jaunâtre coincée dans l'oreille d'un vieil homme. Chitty ne le fait plus uniquement pour lui - son armée de fans lui demande des mises à jours régulières.

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« Je dois mettre en ligne des vidéos régulièrement - sinon, je reçois des messages de personnes en colère qui me disent qu'ils en veulent plus », explique-t-il. « Ils me disent que je n'uploade pas assez de vidéos. »

« Parfois, les demandes de vidéos sont très sexuelles », a poursuivi Chitty. Mais les obsessions de certains de ses spectateurs dépassent les limites. Il m'a parlé d'une personne qui s'était volontairement coincé un bout de coton-tige dans l'oreille, afin de se rendre à son cabinet pour qu'il lui enlève.

Image ​via

Nous aimons tous nous trouver des défauts. Malgré notre cerveau complexe et intelligent qui nous rend brillants et capables, nos corps sont juste des sacs remplis de viscères colorées. Mais sous notre peau, nous sommes tous dégoûtants. Nous sommes nombreux à retirer nos poils incarnés comme si notre vie en dépendait. Nous sommes des singes. Nous aimons faire notre toilette. Mais pourquoi une si grande partie de la population aime-t-elle regarder d'autres personnes déloger des cochonneries de leur corps ?

L'auteur Sali Hughes vient juste de sortir Pretty Honest, un livre qui parle de manière franche de situations concernant la question de la beauté. Elle n'a regardé aucune des vidéos, mais comprend tout à fait pourquoi certaines personnes le font. « Percer des boutons et des points noirs est extrêmement satisfaisant pour la personne qui le fait, ainsi que pour le spectateur, explique-t-elle. Je ne suis pas du tout surprise que les gens regardent d'autres gens se faire exploser des boutons sur YouTube, parce que ces extractions ne se produisent pas assez souvent dans la vraie vie pour satisfaire les plus drogués d'entre nous. Ces extractions attirent aussi les obsédés de la propreté et du contrôle. »

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Quand Hugues compare les amoureux des extractions à des espèces de drogués, elle tape en plein dans le mille. Ce besoin de débarrasser son corps de toutes ses impuretés peut virer à l'obsession. Le Dr Frederick Toates, un professeur de psychologie biologique à l'université Open, ​a écrit un livre sur les troubles obsessionnels compulsifs. « Des gens tombent souvent sur ces vidéos par hasard, explique-t-il. Mais des témoignages suggèrent que ce type de comportement agressif envers soi-même libère des endorphines qui jouent le rôle de récompenses ou de renforçateurs. »

Totes m'a également expliqué que ces actes « peuvent réduire les tensions avec la même efficacité qu'un orgasme. » « Tout cela fait appel à notre besoin basique d'exercer une sorte de contrôle ou de se sentir efficace. Si nous ne pouvons pas satisfaire ce besoin dans l'immédiat, nous compensons en faisant des choses étranges - comme l'auto-mutilation, ou le fait de tripoter nos cheveux. »

L'extraction d'un poil incarné. Image ​via

Bien que le fait de se percer un bouton et de regarder d'autre gens le faire puisse être quasi orgasmique, il y a souvent une sorte de culpabilité associé à ce geste. Les fans de vidéos comme « Huge Cyst Extracti​on » ne vont probablement pas hurler leur amour à qui voudra l'entendre. Les gens préfèrent laisser des commentaires de type « BERKKKKKKK, » ou « Pourquoi je continue à appuyer sur play >.<, ». Mais ces commentateurs donnent souvent l'impression d'être des homosexuels refoulés qui cherchent « fellations entre gays » sur Google avant de commenter « no homo » sur la première vidéo qu'ils trouvent, tout ça parce qu'ils se sentent coupables d'avoir formulé une telle recherche - et d'avoir aimé ça. Ce n'est pas le genre de vidéos sur laquelle on tombe par accident.

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Des recherches menées sur les jeux d'argent - un autre comportement obsessionnel, bien que plus coûteux que l'amour du pus - ont démontré que le fait d'actionner un levier sur une machine à sous ou de lancer un dé entraînait les joueurs dans une ​boucle compulsive.

En plus d'être dupes en pensant que leurs actions insignifiantes puissent avoir de réelles conséquences (par exemple, actionner un levier = argent), l'attente d'un résultat donne aux joueurs et aux fans de boutons percés une grosse dose de dopamine. Il est rare que le résultat leur donne la satisfaction qu'ils espéraient, mais il leur donne suffisamment de plaisir pour qu'ils continuent. C'est la « défonce » dont parle Hughes, qui donne lieu à un après-midi de perdu à presser des pores vides sur tout votre visage dans l'espoir vain qu'un petit bouton produise une giclée satisfaisante de globules blancs.

La théorie de boucle compulsive a aussi été appliquée aux utilisateurs d'internet. Judith Donath, une spécialiste des médias du MIT, a expliqué à Scientific American : « Ces récompenses servent d'électrochocs énergétiques qui rechargent le moteur de la compulsion, comme le frisson que le joueur ressent lorsqu'une nouvelle carte est distribuée sur la table. Par accumulation, l'effet est puissant et il est difficile d'y résister. »

Pensez à la dernière fois que vous avez stalké les 800 photos d'une de vos connaissances, ou quand vous avez passé 20 minutes sur Tinder à passer en revue vos potentielles âmes sœurs. L'excitation ne réside pas dans le fait que vous allez trouver leur coiffure super nulle ou que vous apercevrez une nouvelle parcelle de leurs corps au détour d'une photo. C'est parce que chaque clic entraîne un nouveau résultat.

Cependant, les effets continus de ce phénomène sont préjudiciables, et pas seulement à cause de l'embarras que vous pouvez ressentir quand quelqu'un passe en revue votre historique. Ils sont nuisibles car rien n'a véritablement changé.

« Ces habitudes sont toutes des moyens de recueillir des impressions sur un geste que vous effectuez quand vous n'avez pas vraiment de raisons valables de vous lever le matin, » explique Toates. Aïe. « Ces vidéos et ces habitudes nourrissent les addictions entraînées par le stress, et elles vont se renforcer si vous n'avez pas d'activité significative dans votre vie. » OK, j'ai compris, je vais devoir me remettre longuement en question.

Donc, en substance, ces vidéos ne font - peu importe à quel point vous (et moi) les aimez- - que renforcer votre inutilité. Bien qu'elles soient excitantes et planantes à court-terme, elles peuvent aussi être les vidéos les plus compulsives de toutes. Et puis, il faut avouer qu'elles sont particulièrement dégueulasses.

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