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Mykki Blanco cherche l’amour, ça vous étonne ?

(Photo – Hélène Feuillebois)

« … I want to be in love. I want to know intimacy, this desire burns in me so deeply. Deeper than my desire to act, or to entertain, or to become prosperous or famous or successful. It’s a burning deep in my core just to be loved. A monogamous love. A really sweet special love. Will this burning desire within me ever cease? It isn’t even sexual. It’s love »

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Comment affirmer sa vulnérabilité, le désir d’un amour monogame quand toute ton œuvre a été dédiée jusqu’alors à prouver au monde que tu échappais aux codes de la conformité ? S’affranchir de la binarité homme-femme, être une grande folle sans perdre son pesant de street crédibilité, avouer au monde sa séropositivité. Autant de marqueurs et de décisions qui font de Mykki Blanco un artiste qui se fiche bien de l’orthodoxie et vit sa vérité, mais à quel prix ? Au risque d’être déshumanisé, exhibé et vu à travers tous ces prismes et se voir refuser la chose la plus précieuse : l’Amour. Bah ouais, tout le monde a besoin d’amour et c’est bien le propos du rappeur à la voix caverneuse. Se réconcilier avec sa part d’humain et s’essayer au calme et au vertige de l’introspection. Après nous avoir livré mixtapes, EP’s et compilations au son punk et clinquant, enchaîné les tournées, les soirées délurées et les drogues qui vont avec, Mykki se pose enfin et nous livre un premier vrai album, aérien et intimiste. On l’a rencontré autour d’une tasse de thé pour en discuter.

Noisey : J’entends partout que tu veux emménager à Paris…
Mykki Blanco :
Oui, j’adore cette ville. Il y a beaucoup d’aspects de Paris qui me rappellent New York mais en moins intense et à taille humaine. J’avoue… je suis encore dans une phase de découverte avec cette ville et je dois dire que pour l’instant j’apprécie vraiment ! Pourtant, sans doute à cause de la barrière de la langue, les Parisiens peuvent paraître prétentieux tout en étant des personnes ouvertes d’esprit à leur façon. Par exemple, ils sont facilement choqués par mes tenues alors que dans d’autres métropoles comme Londres, New York, Los Angeles ou Tokyo ce n’est pas le cas. Un autre point : aux États-Unis, les gens ont une certaine retenue qui frôle parfois le passif-agressif, ils disent rarement les choses telles qu’elles sont, alors que les Français c’est tout le contraire. Ils sont très honnêtes, c’est rafraîchissant et puis au moins tu sais à quoi t’en tenir. Ce sont un peu des généralités mais c’est ce que je ressens.

C’est un point de vue intéressant. Au sujet de la mode, les Parisiens sont assez conservateurs c’est vrai. Élire domicile en France, beaucoup d’artistes ou écrivains noirs-américains l’ont fait pendant la ségrégation et le Mouvement des droits civiques : Nina Simone, Joséphine Baker, James Baldwin ou encore Mario Van Peebles.
C’est vrai qu’au vu ce qui se passe avec la brutalité policière, j’aurais des raisons de me dire « c’est bon je m’en vais », c’est un environnement malsain. Mais c’est peut-être une façon trop simpliste de concevoir les choses car ce n’est pas comme si en France, le pouvoir politique traitait les minorités de façon exemplaire non plus… Je ne suis pas si naïf.

D’ailleurs, comment ce qui se passe aux États-Unis avec Black Lives Matter t’affecte ?
Hmm… je pense que ça a toujours existé et que la seule chose qui ait réellement changé c’est que maintenant, tout le monde se sent concerné. Avant c’était surtout une réalité qui concernait les gens qui vivaient dans les quartiers populaires mais maintenant, on se rend compte que même dans les gated communities ou les beaux quartiers, le rapport des Noirs à la police est le même. Il y a le même sentiment d’insécurité désormais, peu importe les classes sociales. Je veux dire par là… On n’est pas supposés mourir à cause d’un phare qui ne fonctionne pas ou d’une histoire de clignotant ! C’est pourtant ce qui est arrivé à Philando Castile ou à Sandra Bland. Ça n’a aucun sens ! J’ai du mal à trouver du sens dans ce qui se passe, c’est tellement violent ! J’ai retrouvé cette même hostilité en Europe avec la crise des réfugiés, en particulier pendant mon séjour en Italie.

Ah oui ?
Oui, l’année dernière et même cet été, j’ai ressenti beaucoup de haine envers l’Autre. Celui qui apparaît comme étranger. Moi-même j’ai subi une attaque xénophobe, un mec qui s’égosillait « Rentre dans ton pays ! » comme un taré. J’étais bouleversé, je voyage souvent en Europe et en particulier en Italie, et là, je dois dire que j’ai été surpris par cette attitude. Ça dépassait les mots, c’étaient aussi les regards, et la pesanteur de l’atmosphère, la façon dont on te traite. J’aime mes fans italiens mais j’avoue que je ne sais pas si j’y retournerai si ce n’est pas pour un concert… 


​En parlant de violence et de haine de l’Autre, le clip de « High School Never Ends », premier single de ton album, traite de la montée du fascisme en Europe…
Oui ! Mais figure-toi qu’au début, le concept de la vidéo était bien plus innocent que le résultat. En fait, j’étais censé être la mère d’une famille queer. Ensuite on a eu une deuxième période de réflexion où il ne s’agissait plus de moi dans le rôle principal, mais d’un jeune homme de 15 ans dont j’aurais été la mère. Et la vidéo devait être centrée sur l’ado qui menait une liaison gay secrète…. Sauf que ça ne me convenait pas d’être en second plan dans ma propre vidéo [Rires]. Il fallait trouver quelque chose de neuf et puis on a commencé à se dire « Et si cette famille queer était en plus de ça anarchiste ? »

Ce que je ne voulais pas c’est d’un clip superficiel avec des gays et des trans qui portent des vêtements de créateurs déchirés et qui traînent en mode « Regardez comme on est punks »… Je que ça ait du sens et que ça reflète l’époque, on a pris du temps pour mener ce projet à bien et finalement on a abouti à cette espèce de « Roméo et Juliette radical ». Ce qui a donné corps au projet c’est cette idée de cellule familiale, et le résultat me plaît vraiment. D’ailleurs, la scène où je pleure est vraie, à la fin du tournage du clip, je pleurais de façon hystérique. Pour moi, ce clip montre l’impact qu’a la violence quotidienne et politique sur nos vies, et en particulier sur l’amour et la famille.

D’ailleurs sur ce titre tu collabores avec Woodkid. Pour moi c’est un duo improbable, Woodkid est très propret et fait des trucs très léchés alors que toi, ton moteur semble être la rage et la spontanéité, comment vous vous êtes rencontrés ?
On s’est rencontrés à un festival en Irlande, mais on a commencé à travailler ensemble plus tard, suite à la déclaration que j’ai faite à propos de mon départ de l’industrie musicale. Je voulais arrêter la musique et je révélais au monde ma séropositivité et quelque part, j’anticipais le rejet qui m’attendait. Et puis un jour, je reçois un mail de Woodkid : « Tu es trop talentueux pour arrêter de faire de la musique ». Je crois qu’il a senti que j’avais besoin d’encouragements et de conseils. C’est un des rares artistes qui m’a contacté pendant ma « traversée du désert ».

On a commencé à travailler ensemble et ce qui m’a frappé c’est avant tout sa discipline ! On se retrouvait à 9h ou 10h pour enchaîner huit à dix heures de studio voire bien plus. Et il m’a vraiment aidé à comprendre comment composer une chanson pop. Ce qu’il m’a appris c’est à rester moi-même avec mes différents alter-egos, ma fougue et mes idées, mais travailler avec lui a été utile pour arriver à donner une forme cohérente à tout ça, donner du sens à ma créativité qui parfois était un peu anarchique.

On a donc bossé pendant un mois et demi en été, puis pendant un autre mois un mois en novembre. Ce que j’ai appris de cette expérience, c’est que Woodkid sait réunir ses deux forces contraires, il a réussi à m’apporter un plus grand souci du détail. C’est un musicien cérébral, introverti, qui se fie beaucoup à ses émotions mais c’est aussi un réalisateur qui a une place importante dans le mainstream : Il a réalisé tous les spots publicitaires de Dior avec Rihanna, la performance de Pharrell à Coachella…

C’est vrai que l’album est un tournant à la fois visuel et sonore. Sur la pochette on te voit baigné de lumière dans un décor bucolique, tu chantes beaucoup plus aussi. Tu nous avais habitué à plus punk, non ?
T’as remarqué ! Oui, j’essaie de me montrer tel que je suis, le plus possible. Cet album parle de ma vulnérabilité et de choses intimes c’est vrai. Il est aussi beaucoup plus mélodique, je me suis essayé à différentes sonorités. Par exemple avec « Loner », au tout début de l’enregistrement j’étais super stressé puisqu’il s’agissait d’écrire une chanson pop. C’était un challenge que j’ai relevé avec la vocalise Jean Deaux, on a une vraie alchimie ! « The Plug Won’t » est aussi une chanson où j’évoque la romance de façon très personnelle, des expériences d’amour factice, de trips sous ecstasy où chaque sentiment est décuplé. Plein de fois j’ai cru rencontrer l’amour de ma vie avant de me rendre compte que c’était juste une illusion. Mais je ne veux pas en dire trop, je veux laisser l’auditeur se faire sa propre idée.

C’est drôle, la première fois que je t’ai vu en live ça doit remonter à 2012, à Santos à New York et au festival Afropunk de Brooklyn, ça fait un bout de temps. Tu as fait beaucoup de EPs et de collabs depuis, mais jamais d’album. Pourquoi avoir attendu silongtemps avant de te lancer ?
[Sourire] J’ai adoré faire ces shows ! Je dois dire que l’une des raisons principales c’est que je n’avais pas de label ! Et en tant qu’artiste indépendant, pour être complètement honnête avec toi, je n’avais pas suffisamment de moyens financiers. J’étais sous contrat constamment pour faire des shows partout dans le monde car ce sont les tournées qui me permettaient de vivre. J’enchaînais des tournées de 6 à 9 mois parfois ! Et souvent je me disais « Merde ! J’ai même pas eu le temps d’enregistrer de nouveaux sons, ça craint ! ». J’essayais de me convaincre que je trouverai le temps mais je me voilais la face. Et ça commençait sérieusement à me rendre taré… Et puis mon ancien manager m’a présenté à ceux de XL Recordings et Capital Records, et le verdict restait le même : « Tu es déjà un artiste avec un public et ton identité est forte, on a rien à t’apporter de plus ! ». C’était vraiment bizarre car ces labels me complimentaient tout en refusant de me donner des opportunités. Je comprenais que dalle. Et puis, les choses ont changé quand j’ai commencé à bosser avec !K7 Records. C’est une vraie bénédiction car il n’y aurait pas eu d’album sans eux. Le seul moyen pour moi aurait été d’économiser comme un fou pendant des années ! Mais je ne regrette pas mon parcours d’artiste indé, j’ai eu des tonnes d’opportunités que ce soit les tournées, le financement de mes clips, etc..

Pour moi, tu es avant tout un artiste de scène. Comment tu t’organises avec ce mode de vie nomade ?
J’ai fugué du domicile familial à 16 ans donc j’ai plus ou moins toujours été nomade. Quand j’ai commencé les tournées, étant donné mon statut d’artiste indépendant, l’argent des shows servait à payer mon loyer, je devais donc toujours être certain d’avoir des shows bookés pour être un peu tranquille. Au sujet de mon style de vie, je ne connaissais pas mes limites du coup j’allais surtout là où la fête battait son plein. Je faisais constamment la teuf sans me préoccuper de mon état de fatigue, je m’épuisais bêtement. Et maintenant, c’est à 30 ans que j’ai trouvé la formule magique pour mon bien-être ! Je fais 2/3 shows, je m’arrête, je vais à la plage dans un bled en Europe durant quelques jours, et je retourne en studio.

Je viens juste d’apprendre à prendre soin de moi, c’est en partie dû au fait que je passe beaucoup moins de temps dans les métropoles. J’y vais pour jouer et voir mes potes mais j’essaye au maximum de me préserver. Après, j’avoue que je ne peux pas changer mon mode de vie nomade, je me fais chier hyper vite quand je reste dans un coin plus de trois semaines, j’ai qu’une envie c’est de me barrer ! Le truc, c’est qu’avoir la bougeotte c’est aussi prendre le risque d’avoir des relations pas toujours très stables. Avant j’étais très soucieux de ça, maintenant je m’en fous, je prends le risque et j’assume. Quand l’amour est là, il se fiche bien des frontières et tout s’avise naturellement. 

Tu as dit « Quand tu es noir et que tu ne fais pas de rap/r&b tout le monde s’en fout ». C’est en train de changer avec des soirées comme GHE20G0TH1K ou un label comme NON, non ?
Oui c’est vrai, j’ai dit ça, et je le pense encore [Rires]. C’est en partie pour lutter contre l’essentialisation de ce qu’est « la musique noire américaine » que j’ai crée modestement Dog Food Music en partenariat avec !K7. On a sorti la compilation C-ORE avec des titres de PsychoEgyptian, Yves Tumor et Violence qui sont des artistes multi-disciplinaires. Ce sont des artistes et des amis avec lesquelles je partage une vision de la musique et du live, des affinités noise, hardcore, punk et grime.

D’ailleurs Yves Tumor et Violence ont collaboré avec le label NON, un collectif qui partage quelque part la même mission que toi avec Dog Food.
J’adore NON ! Ils sont vraiment en train de changer plein de choses c’est certain ! En revanche, là où c’est difficile pour quelqu’un comme moi c’est que sur NON, il faut quand même avouer que la plupart sont producteurs ou DJ’s. Avec NON et NAAFI j’avoue que j’entends surtout des mixes ! J’aimerais entendre plus de lives !

Et Gaika alors ?
Wow, Gaika est vraiment un artiste incroyable ! Tu as raison, je suis allé un peu vite en besogne. Les gens vont réaliser à quel point toutes les personnes que j’ai citées sont incroyables. Au début, même mes proches me disaient que ça n’allait jamais marcher : « Tu es un rappeur gay, tu t’habilles en femme, tu brailles, etc.. » et maintenant, j’ai l’impression d’être là où je suis supposé être. 


Mykki Blanco en tournée :

22/09 : Paris – Pigalle
23/09 : Rennes – Ubu
29/09 : Bordeaux – IBoat
30/09 : Lyon – Le Sucre