Culture

Organiser un festival de cinéma indé avec une équipe de bras cassés

Pour parvenir à monter un projet qui met en avant des talents invisibles et silencieux, l’équipe du Festival System_D a dû passer par quelques galères.
System_D
Brussels, BE
Gen Ueda
propos rapportés par Gen Ueda
Brussels, BE
Festival SystemD Bruxelles
Photo : Sarah Lowie / Festival System_D

Le 21 décembre 2012, alors que certains cerveaux illuminés attendaient la grande catastrophe ou l’événement cataclysmique preuve d’une fin du monde imminente, la première édition du Festival System_D se tenait au BRONKS, à Bruxelles. Pour que son film y soit sélectionné, il fallait notamment l’avoir tourné dans la capitale et ne jamais avoir fait d’école de ciné. Une dizaine d’années plus tard, l’événement est toujours en place, à ceci près qu’il s’est déplacé au KVS. 

Publicité

Mais monter ce projet n’a évidemment pas été une sinécure. Il a fallu constituer une équipe, s’organiser, s’attribuer des rôles, choper des subsides, mettre au point une stratégie… et surtout faire avec les bras cassés du staff. L’équipe du Festival System_D nous a listé quelques profils qui sont passés par l’orga, des personnalités relou mais qui finissent la plupart du temps par se rendre utile à un moment ou un autre et qui font que cette initiative a creusé son trou à Bruxelles. Ces conseils sont à suivre à la lettre si vous avez aussi l’ambition de monter votre festoche. Inspiré de faits réels. 

La subsidiologue

Les gens qui s’y connaissent en administration n’ont probablement pas de passions dans la vie, ni de potes. Mais un conseil si vous voulez aussi créer votre propre festival : il est temps de jouer les hypocrites si vous voulez recruter quelqu’un qui est capable de ramener un minimum de moula. Sans subsides, vous n’êtes rien dans ce milieu. 

L’astrologue

Pitié, c’est un festival, pas une séance de tarot qui dépend du placement de la lune dans la sixième galaxie d’Hérodote. Eh les astrologues, laissez les gens normaux tranquilles une minute, ça bosse ici. 

Le nouveau-bobo-ex-drari

Y’a pas de transitions à Bruxelles. Comme avec le temps, par exemple : un jour on a chaud, le lendemain ça caille. Ça, c’est connu. Mais même géographiquement : de Bockstael à Uccle, y’a une station et demi. Le temps d’écouter un couplet et le pré-refrain sur Spotify, on passe d’un monde à un autre. La métaphore d’une ville dont les structures favorisent une certaine mobilité sociale ? Bof, pas vraiment. La plupart des gens qui vont d’un milieu à l’autre finissent en réalité schizo, entre deux mondes, comme ce membre du staff qui, après la réunion concernant la sélection de films, va boire une bière à Flagey en peau de pêche et Sebago. Son rôle exact dans l’équipe reste un mystère aux yeux de tout le monde mais sa personnalité hybride est quand même un grand point positif quand on organise un festival indépendant et local : non seulement il « représente Bruxelles » (même si on ne sait toujours pas ce que ça veut vraiment dire) mais il fait aussi le lien entre les exigences bureaucratiques des institutions et la rue. Oui, c’est bien celui qui vous regarde depuis le comptoir du Belga et qui vous lance « Ah fou, je te mets une Zinnebir ou une Vedett IPA ?! ». 

L’illusioniste

On est d’accord, les gens qui disent « Je dis ça, je dis rien » ne servent à rien. « Je suis né, j’aurais pas dû » sonnerait mieux dans leur bouche. Les illusionnistes, gardez-les juste pour l’étape qui nécessitera à porter des charges lourdes et installer du gros matos. Toute mutation à un poste à responsabilité reviendrait à vous tirer une balle dans le pied. 

Les réuniologues

Les réuniologues envahissent les open spaces. Et la réunionite aiguë, c’est vraiment sérieux. Tout est sujet à réunion, parce que les réunions « ça fait sérieux ». C’est le genre de personne qui prend des notes l’air concentré, les sourcils froncés, alors que personne n’a rien dit d’important. C’est inoffensif mais terriblement irritant. On pourrait comparer ça aux gens qui dessinent avec un Apple pen, sur une tablette graphique Apple reliée à leur MacBook 18 pouces alors qu’ils savent à peine faire un stickman. Mais en soi, si c’est pas un cerveau, c’est pas un boulet non plus. Disons juste que si votre budget staff est serré, c’est chaud. D’autant plus que vous n’avez absolument pas besoin que quelqu’un s’occupe de faire un Doodle pour programmer la prochaine réunion si vous n’êtes que trois dans l’équipe. 

L’urgentiste

Si vous voulez mener votre projet de festival à bon port, il faut quelqu’un qui puisse faire face à toutes sortes d’urgences. OK, cette personne a des propensions à se la jouer et voudra aussi toujours placer ses potes dans le projet, mais soyez faible, acceptez. En cas de galère, les « Je connais quelqu’un qui… » sont plus précieux que des subsides. 

Le drama king 

Quand on est dans ce milieu – cinéma, fiction, et tout ce qui va avec –, c’est obligé qu’il y ait au moins une personne dans l’orga qui se croit constamment dans une pièce de Shakespeare, à faire des montagnes pour un rien, qui reste bloquée sur la même histoire pendant des jours… Qui gâche tout pour rien, en gros. Un conseil : si quelqu’un dans votre jeune équipe introduit la première réunion par « Eh, j’suis choqué ! », désolidarisez-vous sinon votre festival ne verra jamais le jour. En fait, dites-lui que c’est pas le bon bord, dites-lui d’aller passer des castings plutôt. Ou dites-lui de changer de milieu, y’a plein de trucs à faire ailleurs. Comme devenir ferrailleur. 

Les technophobes

C’est obligé, si vous montez une équipe pour créer un festival de zéro avec vos galères de potes, il vous sera parfaitement impossible de constituer un groupe WhatsApp avec tout le monde dedans, à cause des gens qui ont un téléphone de dealer. Bien sûr, c’est aussi eux qui ont une adresse mail yahoo qu’ils ne consultent jamais. Drive reste aussi un grand mystère pour vos collègues technophobes – qui comprennent un peu Zoom mais qui n'arrivent jamais à se connecter avant la fin de la réunion. Gardez votre sang froid : l’avantage, c’est que les gens qui ont quatre options sur leur téléphone, contrairement aux autres, répondent toujours. 

Le ou la contrôle freak

Les gens qui ont des listes de to-do-list ont ce petit quelque chose de vraiment emmerdant, mais sans ces énergumènes probablement torturés mentalement, le travail ne serait jamais fait en temps et en heure. Donnez-vous ce mal nécessaire et faites-en votre numéro 10. 

L’assistant·e social·e

Une équipe, c’est comme une micro-société. Vous n’allez jamais réussir à mettre en place un festival à partir de zéro s’il n’y a pas quelqu’un pour gérer les états d’âme, les émotions, les sentiments, tous ces trucs qui risquent de pas mal vous retarder. Il vous faut absolument quelqu’un capable de jouer le rôle de médiateur ou médiatrice. Ça peut être quelqu’un qui ne s’y connaît pas du tout en ciné, ni même en événementiel. Prenez juste le soin de recruter une personne capable d’adresser des « Tu veux en parler ? » sans rien attendre en retour. Sans ça, la rude expérience que représente l’organisation d’un festival pourrait bien vite se transformer en série de télé-réalité bidon. 

L’ermite

Il y a des gens qui détestent tout le monde et ne font aucun effort niveau social. Leur intérêt pour les autres humains n’est mesurable que sur une échelle de zéro à zéro. Mais il est fort probable que ce genre de personne vous sorte une fulgurance créative à un moment ou un autre, en pleine réunion budget ou identité visuelle. Vous avez tout à y gagner.

En vérité, vous l’aurez deviné, mais vous n’avez pas besoin de créer votre propre festival. Si le System_D existe, y’a une raison. Donc ne vous fatiguez pas et allez plutôt voir comment ça se passe au au KVS le 17, 18 et 19 décembre 2021.

VICE Belgique est sur Instagram et Facebook.
VICE France est aussi sur TwitterInstagramFacebook et sur Flipboard.