Santé

Pourquoi perdre l’odorat à cause du COVID-19 m’a autant déprimé

ODORAT coronavirus covid 19

Comme de nombreuses personnes contaminées par le Covid, j’ai perdu l’odorat. D’un coup, c’est tout mon monde qui s’est altéré. Du jour au lendemain, plus aucune information olfactive ne m’est parvenue au nez. L’anosmie est un symptôme courant du coronavirus. Et c’est même plutôt bon signe : ça veut dire qu’il s’agit d’une forme légère du virus. En revanche, ce que je n’avais pas anticipé, c’est la dimension psychologique de ce symptôme à long terme. Je n’avais pas du tout mesuré les conséquences de cette perte olfactive sur mon moral.

Dès le troisième jour des symptômes, après une petite phase de déni, a alors débuté une succession de jours sans fin (et sans faim) où le goût et l’odorat ont totalement décampé. Aujourd’hui encore je ne saurais même pas faire la différence entre un bon plat exotique type poulet curry accompagné de son riz parfumé et un vulgaire plat de pâtes sauce pesto rosso. J’ai bien tenté des shots olfactifs d’huile essentielle de tea tree pour récupérer une once de sensations mais rien n’y fait. Au-delà de la perte de plaisir, s’ajoute la perte de repères. Je ne sens plus les odeurs du quotidien. Je ne sens même plus les autres, ni moi-même.

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Pour comprendre ce phénomène, j’ai cherché un spécialiste de l’odorat. Je suis alors entré en contact avec Jérôme Lechien, qui est chef de clinique en ORL à l’hôpital Foch, à Paris, et professeur à l’Université de Mons en Belgique (UMons). En plus de ça, il a récemment coordonné une étude européenne sur la perte de goût et d’odorat liée au coronavirus. Je lui ai passé un petit coup de fil pour qu’il m’aide à y voir plus clair.

VICE : Comment avez-vous initié cette étude et quelles en sont les conclusions ?
Jérôme Lechien : Quand j’ai compris que la perte d’odorat était probablement un symptôme du Covid, et que l’OMS [l’Organisation mondiale de la santé] ne le reconnaissait pas comme tel, j’ai tout de suite activé mes réseaux. L’idée était de faire remplir un questionnaire portant sur l’odorat et le goût à tous les patients qui revenaient avec un test PCR positif. En quelques jours, on a eu 420 réponses en Espagne, Italie, Belgique et en France. On a réussi à publier très rapidement cette étude qui est la première. Cette perte est spécifique au Covid. On ne connaît aucun autre virus qui fait la même chose à un tel degré ou dans une telle proportion. Le virus de la grippe et les autres souches de coronavirus peuvent provoquer une perte d’odorat et de goût, mais c’est très rare. On tourne autour de moins de 5% de cas. Avec le Covid, on a entre 70 et 85% de perte d’odorat.

Quelle est la différence entre perte d’odorat et de goût ? Sont-elles liées ?
La perte de goût, c’est très compliqué à évaluer. Le goût, c’est le sucré, salé, acide et amer. Par exemple, quand on met un morceau de chocolat dans la bouche, ou de la banane, ce qu’on perçoit comme le goût, c’est un mélange d’odorat et de goût. C’est ce qu’on appelle un arôme ou la saveur. Il y a beaucoup de gens qui pensent avoir un problème de goût mais en réalité ils ont simplement un problème d’arôme lié à une perte d’odorat. Dans le cas de vraies pertes gustatives, les patients me disent tous la même chose : ils ont l’impression de manger du carton. Ces pertes sont beaucoup moins fréquentes qu’on ne le pense.

« Les patients me disent tous la même chose : ils ont l’impression de manger du carton »

Quel est le mécanisme qui provoque la perte d’odorat ?
Il y a un mécanisme à court terme qui peut être un œdème dans la partie haute du nez. Comme ça gonfle, les molécules odorantes n’arrivent plus jusqu’en haut des fosses nasales, là où il y a les récepteurs de l’odorat. On appelle ça l’œdème de la fente olfactive. Il existe aussi un second mécanisme, que l’on a démontré grâce à une étude IRM. Ici, le virus rentre dans le bulbe olfactif, à la base du cerveau, qui est l’endroit qui répertorie les odeurs et transmet l’info au cerveau. Le système immunitaire va alors le détecter et il va y avoir une grosse réaction inflammatoire. Et c’est cette réaction qui provoque une destruction des cellules qui sont importantes pour sentir les odeurs. Il faut le temps que ces cellules « repoussent » pour pouvoir récupérer. 

Combien de temps ça dure ?
Ça peut durer dix jours et, dans ce cas, il s’agit d’un œdème de la fente olfactive. Si ça dure plus de deux semaines, c’est une atteinte des cellules du bulbe. Quand on se base sur les études précédentes, sur la grippe et les autres souches de coronavirus, ça peut prendre jusqu’à deux ans. Après, généralement, les gens ne récupèrent plus. Avec le Covid, on a 90 à 92% de récupération à six mois mais on a encore 8% des gens qui n’ont rien récupéré après ces six mois. Quand les gens commencent à récupérer l’odorat, ils sentent de très mauvaises odeurs comme une odeur d’égout ou d’oeuf pourri. Au niveau du goût, généralement, les patients le récupèrent. 

« Si l’espèce humaine et toutes les espèces animales ont développé l’odorat, c’est pour se protéger du danger »

Pourquoi la perte d’odorat est-elle aussi déstabilisante ?
Ça peut avoir un impact terrible sur la qualité de vie à partir du moment où ça dure. Pour certains de mes patients, ça fait des mois qu’ils n’ont pas récupéré et ils sont parfois dans un état psychologique préoccupant. On dit souvent que “nourriture égal plaisir”. Et là, comme on ne goûte plus ou moins bien, ça peut être difficile psychologiquement. L’impact de l’odorat et du goût sur la qualité de vie se mesure quand ils disparaissent. La plupart des gens ne se rend pas compte de leur importance. Autre chose importante à noter, c’est que ça peut être dangereux. Par exemple, si quelqu’un laisse quelque chose sur le feu, il sentira pas le brûlé. L’odorat a un intérêt. Si l’espèce humaine et toutes les espèces animales ont développé l’odorat, c’est pour se protéger du danger.

En Chine, la perte de l’odorat et du goût ne concernent que 5% de la population. Pourquoi ?
D’une part, on n’est pas certain des données chinoises. Toutes les données publiées sont celles de patients hospitalisés et ce ne sont pas ceux-là qui ont la plus grosse perte d’odorat. D’autre part, il peut y avoir des différences génétiques dans l’expression du récepteur du coronavirus. S’il y a beaucoup de récepteurs dans le nez, le virus pourra facilement rentrer. S’il n’y en a pas beaucoup, il ne rentrera pas. Enfin, il y a des différences au niveau du virus qui mute. En Espagne, par exemple, il y a deux souches de coronavirus. Elles sont probablement très différentes des souches observées en Chine. Et il est probable que certaines d’entre elles aient plus facilement tendance à amener une perte d’odorat que les autres.

Apparemment les femmes seraient davantage touchées par la perte de l’odorat. On observe 92% d’anosmie chez elles contre 82% chez les hommes. Pourquoi ?
On sait depuis très longtemps que la femme, parce qu’elle a deux chromosomes X, a une meilleure réponse inflammatoire. Ses gènes sont « meilleurs ». Des études en pédiatrie ont aussi montré que les petites filles hospitalisées en soins intensifs avaient un meilleur pronostic que les petits garçons. La femme fait une meilleure réaction inflammatoire que l’homme. Donc dans le cas du Covid, elle fait une réaction inflammatoire, au niveau du bulbe, plus forte que l’homme.

Quelles sont les techniques pour retrouver plus facilement l’odorat et le goût ?
Pour la perte du goût, il faut mettre du sucre et du sel sur l’avant de la langue. Et des morceaux de pamplemousse sur l’arrière de la langue plusieurs fois par jour. Pour l’odorat, il faut sentir les odeurs du quotidien, 4 à 5 fois par jour, même si on ne les sent pas. Il faut manger énormément de fruits et de légumes car ce qui favorise la récupération, c’est la vitamine D et les antioxydants comme l’acide alpha-lipoïque, disponible en pharmacie.

À la mi-octobre, l’étude de l’UMons a été relancée dans le but d’évaluer l’efficacité de la cortisone dans la récupération de l’odorat. Si vous souhaitez y participer, c’est par ici.

Camille est sur Twitter.

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