Société

Pourquoi la communauté LGBTI doit se (re)mobiliser contre les violences policières

Aux États-Unis comme en France, la communauté LGBTI a longtemps été ciblée par la police et l’est encore parfois. Alors que les protestations contre les violences policières prennent de l’ampleur, les LGBTI français se doivent de soutenir le mouvement.
Un message d ans les rues de Paris
Photo Matthieu Foucher

« Moins de flics, plus de gouines » pouvait-on lire récemment sur des murs de Saint-Denis. « Pédés contre la police » affichait un autre collage, dans Paris cette fois. Lors de récentes sessions de collages féministes consacrées à la communauté LGBTI, plusieurs personnes présentes ont affiché leur soutien au mouvement contre les violences policières – des initiatives louables mais encore trop souvent éclatées. Alors que les protestations contre les violences policières reprennent de l’ampleur, les personnes LGBTI doivent-elles se remobiliser contre les violences policières ? « Stonewall était une émeute », écrivaient d’autres collages récents à Paris, rappelant que les Marches des Fiertés ont pour origine les événements du Stonewall Inn (un bar gay de New York alors géré par la mafia) survenus en 1969 : si les récits de ces nuits mythiques et même souvent mythifiées diffèrent voire se contredisent, une chose demeure certaine : les émeutes de Stonewall étaient avant tout une révolte collective contre le harcèlement policier.

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Mais au-delà du mythe américain, il existe également en France toute une histoire oubliée de harcèlement policier contre la communauté LGBTI : bien après la Seconde Guerre mondiale, les individus sortant d’établissements lesbiens et gays étaient régulièrement contrôlés par la police. Jusqu’aux années 80, les lieux de drague gay et de prostitution masculine tels les pissotières étaient des cibles privilégiées de répression policière. En analysant les données fournies par le Compte Général de la Justice, les chercheurs Jérémie Gauthier et Régis Schlagdenhauffen ont recensé près de 10 000 condamnations pour « homosexualité » en France entre 1945 et 1982 – un nombre ne correspondant qu’à la partie émergée de l’iceberg, car ne prenant en compte ni la totalité des arrestations pour motif d’« homosexualité », ni les homosexuels condamnés sous d’autres motifs comme « l’outrage à la pudeur ».

Ces condamnations, provoquant amendes ou peines de prison, ont « en écrasante majorité concerné des hommes issus des classes populaires et ouvrières urbaines », explique Jérémie Gauthier, sociologue à l’université de Strasbourg et au centre Marc Bloch de Berlin, qui ajoute : « L’homosexualité dans les milieux bourgeois ou dominants a plutôt été utilisée à des fins de surveillance ou de chantage ». Si les homosexuels de l’époque faisaient même l’objet d’une police spécifique – le Groupe de contrôle des homosexuels, surnommé « la brigade des pédés » et dissout en 1981 sous la pression de militants anti-discriminations – la répression des homosexuels croisait aussi parfois celle visant les Maghrébins, comme l’a notamment démontré le chercheur Emmanuel Blanchard.« Les Algériens étaient perçus par les policiers comme ayant des mœurs sexuelles déviantes et incontrôlables notamment en raison de leur pratique supposée de la prostitution masculine », résume Jérémie Gauthier.

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« La police arrive parce qu’une personne trans a subi des violences mais va donner plus d’importance à l’agresseur. La personne trans dépossédée de toute dignité va réagir par l’interpellation, le cri, le désespoir, et la police va être violente » – Giovanna Rincon

Aujourd’hui, si le harcèlement des LGBTI par la police française est sans commune mesure avec celui des personnes noires ou arabes, les témoignages d’injures homophobes ou transphobes de la part des forces de l’ordre persistent, comme ont pu le montrer le hashtag #moiaussijaipeurdelapolice sur Twitter ou le podcast Gardiens de la Paix d’ARTE Radio. Les femmes trans travailleuses du sexe restent elles particulièrement exposées au mépris ou à la répression policières, d’autant plus lorsqu’elles sont migrantes : « L’affaire Vanessa Campos le prouve très bien : pendant 2 ans les personnes ont interpellé la police, essayé de donner des vidéos : il ne s’est rien passé, jusqu’à ce qu’on arrive à un meurtre », déplore Giovanna Rincon, militante pour les droits des personnes trans, constatant que les appels au secours des personnes trans sont régulièrement ignorés par la police qui les considère souvent comme sources de désordre public plus que comme potentielles victimes : « On sent qu’il y a eu un travail interne dans la police, on fait attention à ne plus dire “travelo” mais le mépris reste le même : quand les filles appellent la police, celle-ci se met à rire sous prétexte qu’elles ne comprennent pas » poursuit la directrice de l’association Acceptess-Transgenres.

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Ce rejet latent, mêlé à un « délit de faciès trans », escaladent parfois en des situations critiques où les personnes trans signalant des violences sont ensuite arrêtées pour outrage : « La police arrive parce qu’une personne trans a subi des violences mais va donner plus d’importance à l’agresseur. La personne trans dépossédée de toute dignité va réagir par l’interpellation, le cri, le désespoir, et la police va être violente », peste Giovanna Rincon.

Depuis le meurtre de Vanessa Campos, la présence policière accrue dans les zones de travail du sexe expose davantage les femmes trans migrantes aux arrestations et obligations de quitter le territoire français (OQTF) : « Pour les séropo, l’OQTF leur pourrit la vie : les personnes pourront au bout du compte rester mais vont devoir travailler beaucoup avec un avocat pour annuler l’expulsion, ou bien ça va rallonger le délai d’obtention des papiers » déplore la responsable associative – une violence administrative et psychologique qui participerait « à la désocialisation ou au suicide social ». Enfin, nombre de personnes trans n’ayant pu disposer du changement d’état civil continuent de subir humiliations et violences physiques en étant placées en garde à vue dans des cellules du genre opposé : « Les personnes trans deviennent alors le clown qui va animer la soirée des policiers. On s’est demandé si parfois ils ne le font pas exprès », confie Giovanna Rincon.

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Pour les LGBTI racisés, la question des violences policières est de fait incontournable. « On ne peut pas être issu des quartiers populaires et de l’immigration et ne pas aborder politiquement ou personnellement les violences policières. C’est une réalité sociale chez nous, ça touche majoritairement les garçons, frères, cousins ou pères, mais l’impact est pour toute une famille » constate Hanane, militante au sein de Femmes en Lutte 93 et de tRace ta voix, qui ajoute :
« L’assassinat est le haut de l’iceberg mais le reste existe, même si moins visible : la police est raciste mais elle est aussi sexiste et homophobe ». Aux Etats-Unis, nombre de femmes lesbiennes ou queers ont joué un rôle essentiel dans la lutte contre les violences policières, que l’on pense à Angela Davis ou au mouvement Black Lives Matter, « très structuré par des femmes lesbiennes » selon la militante : « Beaucoup de queers racisés ont une place de pilier dans leur famille, qu’ils soient placards ou pas. En tant que queers on a conscience des injustices, moi je ne peux pas fermer les yeux sur une injustice parce qu’elle ne me concernerait pas ».

« Une cause LGBTI a émergé au sein même de la police par le biais de FLAG qui a contribué à modifier le discours de l’institution sur la question » – Jérémie Gauthier, sociologue

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Pour la militante, il est donc impossible pour le milieu associatif LGBTI de faire plus longtemps l’impasse sur ces réalités : « On ne peut pas construire un mouvement pour l’égalité de nos droits en tant que personnes LGBTI en pensant qu’on est tous à égalité, et ne pas mettre au cœur des combats les luttes des personnes les plus précaires et exploitées » déclare Hanane, regrettant l’absence de soutien au mouvement contre les violences policières de la part de l’Inter-LGBT, alors que les rassemblements récents coïncident avec le mois des Fiertés et le cinquantième anniversaire des célébrations de Stonewall – une occasion ratée de faire preuve de solidarité politique.

« Dans toutes les villes en France, les orga LGBTI d’arrière-garde sont complètement dans les choux », regrette Marguerin, auteur et membre de l’association Mémoires Minoritaires à Lyon. Pire, le milieu LGBTI « mainstream » serait de plus en plus enclin à la tentation policière, encouragée par des formes de pinkwashing de la part de l’institution. « Une cause LGBTI a émergé au sein même de la police par le biais de FLAG [l'association des policiers et policières LGBTI, NDLR] qui a contribué à modifier le discours de l’institution sur la question », rappelle pour sa part Jérémie Gauthier.

En quelques décennies, l’homosexualité est passée d’un « fléau social » à combattre à une orientation à protéger, du moins dans les discours officiels. Récemment, le FLAG a annoncé la sortie d’une application permettant de cartographier « les zones les plus “à risque” » pour les LGBTI. « Cette appli n’a aucune utilité pour les personnes LGBTI, c’est un gadget qui délocalise la police sur les smartphones, note Marguerin qui déplore l’attitude de certains de ses congénères gays. C’est un flicage consenti, enthousiaste, et c’est à ça que tu mesures comment une société se fascise, quand tu vois à quel point on a inséré des flics en chacun de nous, combien un Etat peut déléguer sa brutalité et sa notion de maintien de l’ordre en chacun de nous. Alimenter des bases de données policières, remplir les tribunaux et les taules, est-ce vraiment émancipateur d’avoir une politique comme ça ? »

Décrivant la police comme « le bras armé, militarisé des hiérarchies sociales et raciales, et historiquement de l’ordre hétérosexuel, par la brutalité et la violence », le militant rejette l’illusion consistant à voir dans l’institution policière une forme de protection. « Il faut casser le sex appeal de la policière. On est en plein droit d’exiger de ne pas se faire agresser, insulter ou harceler dans la rue, mais c’est une forme de l’ordre hétérosexuel parmi d’autres, et c’est pour ça que les LGBTI ont intérêt à s’intéresser à ce qu’il se passe, parce que ça offre plein de réponses ».

Un avis partagé par Hanane qui, plutôt que la « réponse individuelle à un fait de société » que constitue le recours à la police en cas d’agression homophobe, souhaiterait voir émerger des réponses collectives telles que l’éducation populaire, l’autodéfense ou la prévention. « Les milieux queers anglosaxons sont beaucoup plus avancés que nous, ont beaucoup plus d’expérience sur la justice restauratrice. On a peut-être besoin de se reconnecter à d’autres formes de justice ailleurs sans se regarder le nombril, de se reconnecter à nos luttes et nos bases », affirme la militante. Et Giovanna Rincon de conclure : « En tant que mouvement, on a une responsabilité très importante au niveau de la mémoire, et cette mémoire ne permet pas aujourd’hui d’oublier que notre premier ennemi avant l’Etat sur la question des violences, ça a été la police ». À l’approche de la cinquantième marche des Fiertés, les enjeux de mémoire militante et de complicité politique semblent plus cruciaux que jamais.

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