Photos : Robert Forster
Il y a environ un an, Napalm Death devait faire exploser une installation du céramiste Keith Harrison au très chic Victoria & Albert Museum de Londres. L’objectif était de recouvrir plusieurs amplis de carreaux en argile émaillé et de tout faire voler en éclats avec un concert des légendes grindcore de Birmingham. Évidemment, le Victoria & Albert Museum s’est dégonflé et le projet s’est retrouvé plus à la rue que la première femme d’une star de sitcom. Heureusement, l’installation a fini par trouver un nouvel hébergeur : le De La Warr Pavilion, une galerie située à Bexhill-on-Sea, à 9000 années-lumière de Londres. Un vendredi, dans le secret de la nuit, un bus plein de journalistes de la presse metal a ainsi pris la route vers cette petite ville côtière de l’East Sussex. Dieu merci, le trajet s’est avéré moins pénible que prévu, notamment grâce à la junk food, aux anecdotes sur Watain, et aux discussions animées sur les romans d’heroic-fantasy, Euronymous et les logos black metal. Pour tout dire, à un moment, j’ai même prié pour qu’on reste coincés dans un embouteillage.
Videos by VICE
Arrivés au De La Warr Pavilion, nous avons pris place aux côtés des 493 autres spectateurs (les 500 invitations distribuées par le musée se sont envolées en 12 minutes), dans une file d’attente constituée de militants gays, d’adolescents à la dérive, de dames aux mâchoires carrées et de pères de famille bourrés en vieux T shirts Napalm Death délavés. Un peu comme si, l’espace d’une soirée, les metalheads s’étaient unis aux instituteurs écolos fumeurs de spliffs.
Napalm Death sont montés sur scène, ont branché leur matériel, le chanteur Mark « Barney » Greenway a dit un truc sur le bruit et l’évolution de la société qui avait l’air à peu près sensé, ils ont commencé à jouer et ma mâchoire s’est décrochée. Bien que je sois techniquement plus sourde que la plupart des gens (merci Carcass !), je peux vous garantir que Napalm Death ont été ce soir le groupe le plus PUISSANT qu’il m’ait été de voir et d’entendre et ce, pendant deux heures. Si les amplis n’avaient pas été cachés derrière des murs de céramique, on les aurait probablement vu se chier dessus.
Est-ce que les tours d’argiles ont explosé au ralenti dans un pur moment de jouissance crasse comme seule notre génération d’abrutis nourris à Michael Bay et aux parties de Call Of Duty sous meth peut s’en repaître ? Non. L’édifice s’est doucement effrité au rythme d’un carreau toutes les 28 notes, soit un total d’environ 6% de carreaux détruits au final.
Il y a eu un moment assez dingue, où ce mec a sauté par dessus la barrière qui protégeait l’installation et s’est mis à dézinguer les carreaux avant que la sécurité n’intervienne. Il a été vaguement imité dans sa démarche par une adolescente néérlandaise et une Suicide Girl qui ont discrètement piétiné quelques morceaux d’argile. Si vous êtes branchés images et métaphores, j’imagine que vous pourriez m’expliquer que tout ça a un rapport avec l’anarchie, la lutte des classes et le fait de prendre le contrôle de sa vie et de son environnement. Mais je serais incapable de vous écouter. Parce que je suis totalement sourde.
Après la performance, on a discuté avec Keith Harrison, et Shane et Barney de Napalm Death (qui détient toujours le record de la chanson la plus courte du monde avec « You Suffer », un des morceaux préférés du regretté John Peel), pour savoir si tout s’était passé comme prévu.
Noisey : Alors, comment c’était ?
Keith Harrison : Génial. J’adore la férocité, l’intensité et l’intégrité de ce groupe, et ce qu’ils symbolisent depuis toutes ces années… Je m’étais toujours dit que si je devais un jour travailler avec des musiciens, ce serait avec eux… Et nous y voilà !
À quoi vous attendiez-vous exactement ?
KH : On savait que les carreaux finiraient par tomber, mais c’était moins radical que prévu. Les gens qui les ont fixé ont vraiment fait du bon boulot !
Mark “Barney” Greenway : Bien sûr, ça aurait été génial si tout avait explosé d’un coup. Mais bon, tu ne peux pas vraiment maîtriser les éléments.
Vous avez pensé quoi de ce mec qui s’est mis à tout péter ?
Shane Embury : J’ai failli aller le rejoindre.
KH : Le groupe avait un peu de mal à venir à bout de certains carreaux sur la fin, j’imagine qu’il a voulu les aider.
C’était un set hyper brutal. Comment avez-vous choisi les morceaux ?
MBG : On a un répertoire assez vaste, mais on a principalement misé sur nos titres les plus rapides et directs. L’idée était de créer un véritable mur du son et ces morceaux étaient ceux qui s’y prêtaient le mieux.
SE : Oui, les morceaux rapides ou les titres très courts et très violents. On a également joué sur les fréquences. Russ, notre producteur, a fait un gros boulot sur le feedback aussi.
C’était incroyablement fort.
SE : On y va toujours tête baissée mais là c’était encore plus la guerre que d’habitude, parce que je voulais vraiment qu’on bousille cette structure en céramique. J’ai cogné sur ma basse comme un dératé.
KH : Ce que je voulais montrer ce soir, c’est toute cette rage contenue en chacun d’entre nous, et la lente déterioration qu’elle provoque, à l’intérieur comme à l’extérieur.
Qu’est-ce qui vous a motivé à participer à ce projet ?
SE : C’est une façon de repousser les limites, y compris les notres. Et puis on se retrouve pas mal là dedans, vu qu’on ne se sent à notre place dans aucune scène musicale en particulier.
MBG : Le côté physique de l’expérience m’a beaucoup séduit, personnellement. On essaye souvent d’atténuer ou d’effacer le bruit. Mais pour moi, c’est une composant intégrante de la musique. Je veux pouvoir entendre tout un tas de fréquences. C’est ça qui rend le truc excitant.