Les utopies manquées au fil de l’histoire

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Les utopies manquées au fil de l’histoire

Il y a eu de nombreuses tentatives perverses ou vertueuses de bâtir la société parfaite. Toutes ont spectaculairement raté.

Merrymount, Nouvelle-Angleterre (1625-1630)

Les États-Unis seraient un pays très différent aujourd’hui si Thomas Morton, et non pas les puritains de la Colonie de Plymouth, était parvenu à ses fins. Bon vivant et grand amateur de cidre originaire du Devon dans l’ouest de l’Angleterre, il donnait les fêtes les plus débauchées du 17e siècle au mont Wollaston dans la baie du Massachusetts.

Ces fêtes servaient un objectif qui les dépassait, soit la création d’une utopie. Rêvant d’une nation libre, Morton, poète et avocat, s’est désigné « hôte » de Merrymount et a nommé les colons qui l’accompagnaient ses consociates. Ces hommes libres pouvaient jusqu’à un certain point échanger avec Algonquins de la région.

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Quand Morton a installé un arbre de mai païen à Merrymount, il a déclenché la furie des puritains. Ces derniers l’ont arrêté, ainsi que les autres fêtards. Ils étaient tous trop bourrés pour résister. Poursuivi en justice après avoir été renvoyé en Angleterre, il a obtenu un acquittement de toutes les accusations, puis il est revenu aux États-Unis, où sa persécution s’est poursuivie : d’autres accusations ont été portées contre lui, sa maison ainsi que celle de ces compagnons ont été brûlées. Les États-Unis ont suivi la voie des puritains, et le rêve d’égalitarisme de Merrymount a été balayé du revers de la main, et la « joie inspirée des vieilles traditions anglaises » (les mots de Morton) considérée comme les tentations du diable.

Calédonie, golfe de Darién, Panama (1698-1700)

Fondée par 1200 Écossais sur les rives du golfe de Darién en 1698, la Calédonie a été le lieu d’une tentative de paradis terrestre qui a fini par ruiner l’Écosse et lui coûter son autonomie. Plus de deux siècles avant la construction du canal de Panama, le gourou financier William Paterson, cerveau derrière cette colonie, a réalisé que la réalisation d’une voie entre l’Atlantique et le Pacifique à travers l’isthme de Panama rendrait celui qui la contrôlerait richissime.

Frappés par la famine et au bord de la ruine, les Écossais ont voulu réaliser leur rêve de devenir une grande nation commerçante au moyen de cette idée de colonie en Amérique équatoriale. La population a financé l’entreprise, certains y consacrant les économies d’une vie. Mais les hommes qui ont quitté le port de Leith ont été ravagés par des maladies tropicales, et plus tard les Espagnols ont incendié leur colonie naissante.

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De plus, se sentant menacés, les Anglais avaient interdit à leurs colonies les échanges commerciaux avec la Calédonie, provoquant ainsi sa chute définitive. Une poignée de survivants sont revenus dans la disgrâce. L’Angleterre a offert une compensation pour le grand nombre d’Écossais qui avaient perdu leurs moyens de subsistance en participant à ce rêve d’une Amérique écossaise et a profité de l’occasion pour faire adopter l’acte de l’Union qui a donné naissance au royaume de Grande-Bretagne.

New Forest Shakers, Angleterre (1625-1630)

Le jour de Noël 1858, Mary Ann Girling, femme mariée et mère de deux enfants d’Ipswich, la capitale du Suffolk, un comté situé dans l’est de l’Angleterre, a prétendu avoir reçu la visite de Jésus-Christ dans sa chambre. En 1864, elle a dit l’avoir reçu de nouveau. Cette fille de fermier qui avait mené jusque-là une vie relativement banale s’est alors proclamée prophétesse et a fondé peu après une secte appelée Children of God, (« les Enfants de Dieu »). Elle s’est retrouvée en première page des journaux locaux et accusée de sorcellerie.

Mary Ann Girling se croyait investie de la mission de guider les Enfants de Dieu jusqu’à la terre promise, qui se trouvait à être New Forest, dans le sud de l’Angleterre. Avec une centaine de fanatiques religieux chantant et dansant, elle a débarqué dans le minuscule village de Hordle. Évincée de son utopie à plusieurs reprises, la secte s’est avec le temps affaiblie jusqu’à sa dissolution en 1886, quand la prophétesse est décédée du cancer.

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Nueva Germania, Paraguay (1887-1893)

Avant Adolf Hitler, il y a eu le professeur Bernhard Förster. Antisémite inspiré par la notion de la suprématie du peuple allemand, il prônait la pureté raciale. Il a quitté l’Allemagne avec sa femme, Elisabeth, et une poignée d’autres pour établir un paradis aryen dans la jungle du Paraguay. Les animaux, les insectes et les microbes locaux, peut-être parce qu’on ne leur avait pas fait suffisamment écouté de Wagner, n’ont pas respecté la supériorité raciale allemande : ils les ont attaqués avec entrain.

Förster s’est empoisonné dans un hôtel en 1889 et, en 1893, Elisabeth est rentrée en Allemagne pour s’occuper de son frère, Friedrich Nietzsche. Une rumeur a voulu que le médecin d’Auschwitz Josef Mengele ait trouvé refuge dans cette utopie ratée après la fin de la Deuxième Guerre mondiale. C’est aujourd’hui un village paraguayen où vivent des descendants de ces colons.

Nouvelle-Moscou, nord-est de l’Afrique (1889)

Au cours d’un siècle défini par la soif inextinguible de l’Europe pour l’or et les esclaves, l’aventurier et psychopathe cosaque Nikolai Ashinov représentait à la fois l’exception et la règle.

Inspiré en partie par des notions floues d’une parenté entre les églises orthodoxes russes et éthiopiennes, et souhaitant matérialiser le royaume mythologique de Prester John (un paradis chrétien qu’on n’a jamais trouvé, bien qu’on l’ait cherché tout au long du Moyen Âge – les fausses nouvelles ne datent pas d’hier), Ashinov a fondé la colonie russe de la Nouvelle-Moscou sur la rive de la mer Rouge, en Afrique, dans ce qui est aujourd’hui le Djibouti.

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L’utopie a duré quelques semaines. Ashinov, un alcoolique et violeur, a refusé de se soumettre aux Français, dont les navires militaires ont par conséquent bombardé la colonie. S’en lavant les mains, le tsar de Russie, Alexandre III, a alors qualifié cette affaire de « triste et stupide comédie ».

Nouvelle-Australie, Paraguay (1893-1899)

Dans les années 1890, l’Australie traversait une grande sécheresse combinée à une crise économique. Les tondeurs de moutons, alors en grève pour obtenir de meilleures conditions de travail, ont été brutalement rabroués. Rêvant d’une vie meilleure, William Lane s’est envolé pour le Paraguay avec des compatriotes pour y fonder sur des principes socialistes la Nouvelle-Australie.

Ayant perdu 90 % de sa population masculine dans les guerres avec le Brésil et l’Uruguay, le gouvernement paraguayen a bien voulu aider ces Australiens. Les Australiens célibataires voulaient avec encore plus d’ardeur fraterniser avec les femmes locales, ce que Lane, qui voulait que la Nouvelle-Australie reste australienne (c’est-à-dire blanche et européenne) ne voulait pas.

Vexé, il a quitté la Nouvelle-Australie et fondé une deuxième utopie (Cosme), voisine de la première : deuxième échec. Il s’est ensuite installé en Nouvelle-Zélande, où il a repris sa carrière de journaliste et adopté le conservatisme pro-impérialiste. La Nouvelle-Australie et Cosme se sont dissoutes dans le Paraguay, léguant au monde un autre groupe à l’origine inusitée, les Australo-Paraguayens.

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Sointula, Colombie-Britannique (1901-1904)

La Finlande a une longue tradition de pensée utopique, suscitée par des frères du 18e siècle qui ont fondé une secte mystique séparatiste avec laquelle ils ont effectué une tournée de l’Europe du Nord pendant 11 ans. Depuis, les Finlandais ont parcouru le monde, de la Sierra Leone au Brésil, en quête d’un lieu où mener une vie idyllique.

Sointula (« Lieu harmonieux »), sur l’île Malcolm au large de la côte ouest du Canada, a été un de ces lieux. Fondée en 1901 par Matti Kurikka, une âme agitée dont une précédente aventure de la sorte dans le Queensland, en Australie, l’utopie s’est soldée par un échec. La petite société insulaire avait le handicap de ne pas compter dans ses rangs de colons sachant bien pêcher ou bûcher. Dans une colonie entourée par la mer et dominée par la forêt, c’était mal parti.

Matti Kurikka avait aussi des idées assez radicales sur le sexe et l’éducation des enfants. Il jugeait que les personnes vivant ensemble ne devaient pas avoir de relations sexuelles et qu’incidemment, les parents d’un enfant devaient avoir vécu et continuer à vivre séparément. Mais c’est un incendie dévastateur qui a eu raison de la jeune utopie.

Fiume, côte Adriatique (1919)

En septembre 1919, le poète italien et pilote de chasse de la Première Guerre mondiale Gabriele D’Annunzio, accompagné d’un groupe de soldats rebelles, a pris d’assaut la ville de Fiume sur la côte Adriatique. Depuis la fin de la guerre, c’était un territoire contesté.

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Personne n’a arrêté ce poète-guerrier et, pendant les 15 mois suivants, il s’est fait dictateur charismatique de la ville, livrant des discours mystiques depuis son balcon chaque jour. Le reste du temps, dans ses quartiers, il était entouré d’un groupe toujours changeant d’amantes. Il prétendait en avoir eu plusieurs milliers. D’Annunzio, qui exigeait que son fils l’appelle « maestro » plutôt que « papa », avait aussi un penchant pour la cocaïne et le homard.

Par ailleurs, lui et ses disciples portaient des uniformes noirs décorés d’un crâne et d’os croisés. Un groupe qui disait représenter les femmes de Fiume lui a offert un poignard « sacré », écrit un biographe, « afin qu’il grave le mot victoire dans la chair de ses ennemis encore en vie ».

Bien avant qu’ils ne deviennent dictateurs, Hitler et Mussolini ont tous deux eu de l’admiration pour D’Annunzio. Pourtant, l’exercice du pouvoir n’était pas son fort, et des voyous libertins sont parvenus à prendre le contrôle de Fiume, après quoi Rome a rétabli l’ordre et mis fin à cette utopie protofasciste et bachique.

Fordlândia, Brésil (1927)

Henry Ford ne voulait pas seulement anéantir le transport collectif et couvrir la planète de voitures : il voulait aussi asservir les cœurs et les esprits, afin de s’assurer une source inépuisable de caoutchouc, précieux pour fabriquer les pneus de toutes ces voitures Ford. C’est ainsi qu’est née Fordlândia, une cité ouvrière au cœur de la forêt amazonienne.

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Ford, qui n’a jamais mis les pieds dans la région, a fait raser une forêt pluviale et construire des centaines de kilomètres de route, en plus d’exercer à distance son emprise sur la région et ses habitants en imposant des règles particulières. Par exemple, il interdisait la consommation d’alcool et obligeait les habitants à apprendre des danses traditionnelles européennes comme les polkas et la valse.

Après que Ford a tenté de soumettre l’écosystème complexe de la forêt tropicale à des pratiques industrielles à grande échelle, l’utopie ouvrière a viré à l’émeute. Pas un millilitre de latex extrait des arbres de Fordlandia n’a été utilisé dans la fabrication d’un pneu de voiture Ford, et l’expérience s’est soldée par un échec complet.

(1965-1977)

Le premier endroit qu’on a appelé une « commune hippie », Drop City, dans le sud rural du Colorado, était constitué de petites structures en forme de dôme inspirées du travail de Buckminster Fuller, l’architecte entre autres de la Biosphère de Montréal. Elles ont été érigées avec toutes sortes de choses, des toits de voiture aux bouchons de bouteilles.

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Fondée sur un terrain de sept acres par des cinéastes et des étudiants en art, la communauté utopique visait l’égalitarisme et rejetait activement le capitalisme américain et la guerre du Vietnam, alors hautement impopulaire.

Ce rêve avait de la profondeur, mais après que Drop City a commencé à être connue, les problèmes ont débuté : il y a eu un meurtre, des gangs de motards ont débarqué, entre autres. Un éleveur de bovins a plus tard acquis cette utopie. Le dernier des dômes a été démonté à la fin des années 90.