L’Italie, premier front de la crise migratoire

La crise migratoire a battu deux tristes records cette année : plus de 174 000 personnes ont traversé la Méditerranée en bateau pour rejoindre l’Italie, et plus de 4 700 personnes ont trouvé la mort pendant ce périlleux voyage.

Si l’Europe a vu bien moins de migrants arriver cette année par rapport à l’année 2015 (350 000 arrivées cette année contre plus de 800 000 en 2015), l’Italie a vu le nombre d’arrivées augmenter cette année (173 000 en 2016 contre 144 000 en 2015).

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Le nombre de migrants arrivant sur les côtes italiennes est en hausse de 13 pour cent par rapport à 2015. Une grande majorité arrive en Sicile et sur la petite île de Lampedusa. Et 1 000 personnes de plus ont péri sur le chemin, par rapport à 2015, qui avait déjà établi un bilan record.

À titre de comparaison, la Grèce a connu une baisse conséquente d’arrivées de migrants venant notamment de la Turquie. Cela est dû, entre autres, à l’accord passé entre Ankara et l’Union Européenne réduisant le flux de migrants à travers la mer Égée.

L’afflux de migrants a beau avoir diminué en 2016, il n’est pas près de se tarir. Et l’Italie, à cause de sa position géographique, est devenue le principal point d’entrée vers l’Europe. La plupart de ceux qui y débarquent ont pris un bateau en Libye, mais sont originaires de l’Afrique subsaharienne. D’après les derniers chiffres du Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies (UNHCR), 36 000 personnes venaient du Nigeria, 20 000 d’Érythrée et 12 000 autres du Soudan..

De nombreux facteurs expliquent cette hausse de la migration des côtes de l’Afrique du nord vers l’Italie. La répression politique dans les pays d’Afrique de l’ouest comme la Gambie, la recrudescence de la famine et de la violence de Boko Haram au Nigeria, la guerre civile au Soudan… Tout cela contribue à l’augmentation des départs.

Mais la principale raison qui pousse les gens vers l’Italie est la situation en Libye, selon Ewa Moncure, porte-parole de Frontex, l’agence de protection des frontières de l’Europe.

« La Libye est un État déchu, » a dit Moncure. « Les lois ne sont pas appliquées dans le pays et différents groupes contrôlent des parties différentes de la côte et agissent comme ils le veulent. Des passeurs travaillent dans cet environnement. »

Le trafic d’être humains est « une affaire de plusieurs milliards de dollars », selon Moncure, et il y a encore environ 1 million de personnes qui attendent en Libye leur passage en Europe, selon les estimations.

Selon cette porte-parole, la hausse dans le nombre de morts est également due aux canots en caoutchouc. Ceux-ci ont remplacé les bateaux en métal puis en bois que les passeurs utilisaient. Ces canots chavirent facilement dans une mer agitée et les passeurs ne donnent jamais de gilet de sauvetage. Ils font aussi embarquer le plus de personnes possible sur un seul bateau, pour augmenter leur marge.

Si Frontex réalise de plus en plus de missions humanitaires, l’agence doit également prendre des mesures pour protéger les frontières de l’Union européenne. Cette semaine, Frontex a commencé à entraîner des gardes-côtières libyens, espérant les former pour qu’ils puissent mieux protéger leurs propres frontières.

Actuellement, plus de 175 000 migrants sont enregistrés comme demandeurs d’asile en Italie et vivent dans un des 3 000 centres d’hébergement d’urgence du pays. Personne ne sait combien de migrants il y a dans le pays. Ceux à qui on refuse le droit d’asile reçoivent une note de la police italienne les demandant de quitter le territoire via l’aéroport international de Rome dans les sept jours. Bien évidemment, la plupart d’entre eux ignorent le document. Ils choisissent soit de rester clandestinement en Italie, soit de gagner un autre pays européen pour recommencer une procédure de demande d’asile.

« La pression sur l’Italie grandit, »a dit Carlotta Sami, porte-parole de l’UNHCR pour l’Europe du sud. «Les frontières au nord [de l’Italie] sont fermées, le renvoi vers d’autres pays européens se fait au rythme d’un escargot et il y a de plus en plus de gens qui arrivent. »

Les frontières du nord de l’Italie, avec la Suisse, la France et l’Autriche, sont désormais fermées. Mais ils sont nombreux à essayer de se frayer un chemin et d’entrer illégalement en Europe du nord. Dimanche 4 décembre, deux réfugiés ont été retrouvés écrasés sous un train de fret, qui traversait l’Italie pour gagner l’Autriche. Trois autres ont été renversés par un camion et tués le lendemain sur une autoroute entre les deux pays, selon Sami.

Des réseaux de passeurs ont également surgi dans de grandes villes du nord de l’Italie, comme Milan.

Pour ceux qui préfèrent rester en Italie à attendre la réponse de leur demande d’asile, les conditions de vie dans les « centres d’hébergement d’urgence » du pays sont extrêmement précaires. Très souvent, ces établissements sont gérés par des petites entreprises ou des individus à leur compte, qui reçoivent 35 euros par jour par migrant. Ces financements viennent principalement de l’UE. Selon Sami, le problème est qu’il n’y a pas de surveillance centrale de la part du gouvernement, pour savoir comment les centres sont gérés ni comment ils utilisent l’argent public. Cet argent est censé être dépensé en nourriture et en services pour les migrants, mais souvent ce n’est pas le cas, a dit Sami.

« Dans notre centre, ils n’allument pas le chauffage et il fait très froid la nuit », raconte Mohammed Ceesay, un Gambien de 17 ans qui est arrivé en Sicile en avril dernier. Il vit dans un centre pour mineurs à Palerme, qui abrite environ 160 autres migrants de 10 à 17 ans. « On a de l’eau chaude pendant quelques heures par jour seulement. La nourriture n’est pas bonne et beaucoup parmi nous ne mangent pas parce que nous sommes musulmans et on a trouvé du porc dedans. »

En novembre, des réfugiés mineurs vivant dans un centre situé dans la campagne ont manifesté pour qu’on leur fournisse des chaussures. De nombreux portaient encore les sandales qu’ils avaient pendant leur voyage depuis la Libye.

« On est venus ici pour bâtir notre futur mais nous ne pouvons rien faire en attendant, »a dit Ceesay. « Si j’ai mes papiers, je vais quitter l’Italie pour aller en Finlande ou aux Pays-Bas. Je partirais maintenant si j’avais des papiers. »

Jeudi dernier, le commissaire européen à l’immigration Dimitris Avramopoulos a dit que l’UE n’avait accompli que 5 pour cent de son objectif : rediriger 160 000 personnes de la Grèce et de l’Italie vers les autres pays européens.


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