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Mai 2018

A quoi ça ressemble, une fac (vraiment) de gauche ?

Créée dans la foulée de mai 68, l’université de Vincennes entendait révolutionner l’enseignement supérieur. Ce samedi 2 juin, un collectif de lycéens manifeste pour réclamer son rétablissement.
Image : Capture d'écran de "Vincennes, l'université perdue" de Virginie Linhart / Arte 2016 

Ce samedi 2 juin, un collectif de lycéen se réunira dans le bois de Vincennes pour réclamer la création d'une nouvelle université. Ou plutôt son rétablissement. Car la fac de Vincennes a déjà existé. Crée dans la foulée de mai 68, elle entendait révolutionner l'enseignement supérieur. Retour sur une expérience unique en son genre - et éphémère.

Début juin 68, alors que les braises du mois de mai rougeoyaient encore, une idée s’est imposée : bâtir une nouvelle université. Dans l’esprit du général de Gaulle, l’objectif était double. Officiellement, il s’agissait d'augmenter les places en fac pour intégrer la génération des baby-boomers et, aussi, de montrer que le gouvernement avait entendu la révolte étudiante en réformant le système universitaire. Officieusement, il était surtout question d’éloigner les étudiants agitateurs du quartier latin… Quoi qu’il en soit, une annexe de la Sorbonne, baptisée « Le centre expérimental de Vincennes », a été imaginée et conçue sous la houlette des penseurs de gauche de l’époque – Michel Foucault, Jacques Derrida, Jean-François Lyotard ou encore Madeleine Rebérioux.

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En seulement trois mois, les 30 000 mètres carrés de l’établissement ont été sortis de terre. Et en janvier 1969, une université hors du commun a vu le jour. Première innovation : la suppression des cours magistraux, remplacés par des travaux en petits groupes. Surtout, la fac était ouverte à tous : non-bacheliers, étudiants étrangers et travailleurs qui bénéficiaient même d’une crèche sur le campus ! Côté enseignement, l’université de Vincennes s’est ouverte à de nouvelles disciplines qui, sous cette impulsion, ont depuis été intégrés à d’autres établissements : musicologie, sciences de l’éducation, informatique, cinéma, psycho…

« A Vincennes, le savoir et ceux le dispensaient descendaient de leur piédestal » - Gérard Miller, ex-étudiant du « centre expérimental »

Mais c’est avant tout l’état d’esprit qui était différent. « Cette université a surtout contribué à changer le rapport que les enseignants entretenaient avec leurs étudiants », raconte le psychanalyste Gérard Miller, aujourd’hui figure du Média des Insoumis, qui a été étudiant à Vincennes. Il explique : « Le savoir et ceux qui le dispensaient descendaient de leur piédestal. Tout le monde se tutoyait, se pensait l’égal de chacun ». Jean-Philippe Legois, historien et vice-président du Groupe d’études et de recherches sur les mobilisations étudiantes (GERME), va dans le même sens : « A Vincennes, la démocratisation de l’enseignement a été poussée jusqu’au bout ».

Evidemment, entre les murs de cette faculté particulière, la politique se mêlait étroitement au savoir. « C’était un lieu d’acceuil des luttes et des pratiques militantes », résume Katharina Bellan, auteur du documentaire Le vent de Vincennes, consacrée à cette expérience atypique. Repère de gauchistes, le campus rassemblaient maos, communistes, situationnistes, trotskystes et membres de la gauche prolétarienne qui dialoguaient, s’invectivaient – voir se crêpaient le chignon – au beau milieu des salles de cours. Régulièrement bloquée, occupée, l’université Paris VIII-Vincennes (son nouveau nom) s’est néanmoins mise à attirer une foule de jeunes toujours plus nombreux. Prévue pour acceuillir 8 000 étudiants, elle a fini par en accepter 30 000 – six ans seulement après son ouverture. Face à cet afflux, les bâtiments se sont dégradés et c’est la raison évoquée par la ministre (de droite) des Universités, Alice Saunier-Seïté, pour entamer leur destruction, en 1980. Et dans la foulée, lancer la construction de l’université de Saint-Denis.

« Quelque chose de Vincennes souffle encore à Saint-Denis » - Katharina Bellan, auteur d’un documentaire sur l’expérience Vincennes.

C’est là-bas, au bout de la ligne 13, que l’héritage de Vincennes perdure aujourd’hui. « Cette université continue de promouvoir toutes les formes d’émancipation par le savoir. Quelque chose de Vincennes souffle encore à Saint-Denis », assure la documentariste Katharina Bellan. Effectivement : selon l’agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, un tiers des 22 000 étudiants de Paris-VIII étaient étrangers en 2012 et 27,8 % d’entre eux étaient issus des filières professionnelles et technologiques. Une exception dans le petit monde des (très élitistes) facs parisiennes.

Et ces dernières semaines, la fac de Saint-Denis a été en première ligne dans la contestation étudiante de la réforme des universités : fac bloquée, partiels annulés, amphis réquisitionnés pour acceuillir des migrants… N’en déplaise au gouvernement : l’esprit de Vincennes n’est pas mort.