Des voyageurs de Roissy
Photos : Simone Perolari

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Trafic international

Apparemment, il y a un trafic d’emballage de valises à l'aéroport de Roissy

Certains salariés de la société Safe Bag feraient l’objet d’insultes et de menaces de mort, allant jusqu’à être suivis dans les parkings par ces « emballeurs à la sauvette ».

Roissy-Charles de Gaulle, 6 heures du matin, plusieurs hommes démarchent des voyageurs pressés au milieu des allées de l'aéroport. « Vous voulez emballer ? » dit l’un d’entre eux. Ce qu'il veut dire, c'est que pour 5 à 10 euros, ils emmaillotent vos valises et autres sacs de voyage Delsey dans du film plastique pour les protéger (principalement des vols) lors de leur transport en soute. Ils sont des centaines de ressortissants d’Afrique de l’Ouest et Centrale à, chaque jour, jouer aux emballeurs de bagages à la sauvette devant le personnel de l’aéroport et de Safe Bag – la compagnie homologuée qui est la seule à pouvoir pratiquer cela mais dont les tarifs sont bien supérieurs. Sans-papiers, travailleurs non réglementés, ils ont la particularité de n’exister que dans les aéroports parisiens.

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Quand je demande à Agnila s’il emballe, il secoue vivement la tête pour se dissocier de ce commerce que les forces de l’ordre voient d’un très mauvais œil. Lui vend des cadenas et pèse les bagages en cachette. « Ceux qui emballent, on les signale à la police de l’aéroport » me dit-il. La même qui l’a déjà embarqué une dizaine de fois et enfermé pendant 2 à 24 heures, après interrogatoire, dans la petite « prison » du Terminal 1.

Parmi « ceux qui emballent » à la sauvette, il y a des vétérans, mais aussi des novices comme Adjallo. Reclus près d’une sortie, il m'explique timidement : « Je travaille à l’aéroport depuis seulement six mois ». Il propose ses services dans un français balbutiant et manque encore d’assurance. Il a deux marqueurs noirs à la main, pour écrire les noms des clients sur leurs bagages. Aucun matériel d’emballage en vue. Il le garde dissimulé dans des paquets posés non loin sur des chariots et fait mine de circuler comme s’il était un voyageur lambda. Au même moment, il se fait rappeler à l’ordre par un homme qui a l’air de bien mieux maîtriser le système et lui crie dessus en bambara [la langue la plus parlée au Mali N.D.L.R], tout en lançant des regards noirs à ceux qui posent trop de questions. Aucun autre emballeur n’a souhaité ensuite me répondre.

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Maeva*, responsable chez Safe Bag, m'éclaire sur la situation. « On a tendance à croire que ce sont des gens qui viennent ponctuellement, mais c’est un réseau organisé avec des horaires de travail, des choix de terminaux en fonction des heures de vols. Il y a les rabatteurs, les guetteurs et les chefs ». Les rabatteurs alpaguent le client et emballent pendant que les guetteurs surveillent l’arrivée de la police et que les chefs supervisent les opérations. Le chef des chefs, c’est Hakim. La légende aéroportuaire dit qu’il serait le Pablo Escobar béninois de toute cette entreprise.

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« Chez les Chinois, ils achètent 1 euro le rouleau. Imaginez-vous le profit, c’est colossal ! »

Quelques secondes auparavant, Benjamin*, un employé Safe Bag depuis janvier 2015 m'expliquait que « Ils ont acheté le même film que la société. C’est presque impossible de faire la différence, même pour les agents à l’enregistrement ». À en croire Farid*, technicien, « Chez les Chinois, ils achètent 1 euro le rouleau. Imaginez-vous le profit, c’est colossal ! »

Aux stands Safe Bag, pour 12 euros l’unité, les bagages sont empaquetés en 30 secondes sur une plaque tournante. Une fois recouverts du film rouge vif, un sticker est apposé dessus et un ticket de caisse remis au client. « Pour 16 euros ou 22 euros, on propose un service de suivi et de localisation à l’aller et au retour ». Une tarification qui selon Benjamin a augmenté en trois ans et a permis aux emballeurs à la sauvette d’avoir le vent en poupe. « Ils font perdre jusqu’à 1500 euros de chiffre d’affaires par jour à Safe Bag et ils peuvent engranger jusqu’à 800 euros quotidiennement. […] Mon chef m’a raconté qu’un emballeur a réussi à faire payer 100 euros la valise à un client un jour où il y avait du monde à la borne ».

Mais la perte de chiffre d’affaires n’est pas le seul problème. Les salariés doivent composer avec ces emballeurs qui souhaitent s’imposer par l’intimidation. Maeva rapporte qu’ils « font parfois l’objet d’insultes et de menaces de mort, ils peuvent être suivis dans le parking par ces personnes-là. Ça a un vrai effet psychologique sur eux. Ces derniers mois on note une augmentation des violences. Il y a des gens qui démissionnent et on a du mal à recruter ». Farid en a assez de travailler dans un environnement aussi toxique. « J’ai un collègue qui s’est fait agresser par l’un d’entre eux, on a porté plainte. Il a eu peur pour sa vie. Est-ce qu’on est en France ou pas ? C’est un pays où on est en sécurité ou pas ? » Il raconte que pour les faire fuir, Safe Bag a tenté de placer ses propres agents de sécurité près des stands en investissant 70 000€. Un échec.

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« Comment ces personnes-là peuvent exercer une activité illégale quotidiennement en toute impunité ? »

La société italienne, implantée là depuis 2007, doit se battre continuellement contre la provocation. Selon Farid, ils squattent les box de la société pendant les pauses des employés ou avant l’ouverture. « Notre première machine ouvre à 5h du matin, les gars viennent à 4h. Ils s’asseyent sur notre chaise et font emballer les gens avec nos prix, sans étiquette, sans ticket et avec un film rose. Et le comble, c’est que ça fonctionne ! ». Sans compter qu’ils bénéficient d’une entrée grâce à des salariés véreux de Safe Bag. Farid raconte qu’ils se sont rendu compte sur le tard qu’un de leurs employés « avait vendu un rouleau de stickers à 200 euros aux emballeurs à la sauvette. On l’a licencié sur place. Les opérateurs ont maintenant une consigne : ne pas parler avec ces gens ». Mais ce n’est pas un cas isolé. Selon Maeva « il y a des gens de certaines compagnies aériennes qui travaillent avec eux. Ils doivent avoir leur petit billet parce qu’ils emmènent directement les passagers faire emballer leurs bagages au noir ».

La jeune femme déplore le manque d’implication de l’aéroport de Paris – qui, contacté par nos soins, nous a redirigés vers les services de Police. « Comment ces personnes-là peuvent exercer une activité illégale quotidiennement en toute impunité ? » Farid s’indigne du laxisme et du manque de considération des hautes sphères de l’aéroport. « C’est comme si je me déguisais et que je prenais un chariot pour vendre des cannettes et des sandwiches à côté de Paul [La chaîne de boulangerie N.D.L.R] sans autorisation, en 10 minutes on aurait appelé la police pour me dégager. Pourquoi pour nous on ne le fait pas ? Je n’arrive pas à comprendre ». Pour pallier ce problème, il a décidé de prendre à bras-le-corps. « Au terminal 2A on a une machine juste à côté d’Ethiopian Airlines. Un chef d’équipe m’a appelé un soir. C’était Barbès. Plusieurs groupes emballaient, alors que nous, on n’avait fait que six bagages. Je suis allé voir la responsable de la compagnie et elle a dit qu’elle allait faire quelque chose malgré la peur des représailles et avec son équipe ils ont refusé tous les bagages emballés à la sauvette. Sans l’étiquette Safe Bag, rien ne passait. ».

La Police Nationale n’a pas souhaité communiquer avec VICE sur cette affaire. Farid nous assure néanmoins qu’elle fait son travail. Une enquête serait en cours. « Un jour un policier est venu avec moi en tenue Safe Bag et il a vu, il s’est même fait menacer. Dans ce même dossier, il assure que tous les emballeurs sont fichés. « On voit leur visage, de face, de profil, leur taille, leur poids. Il y a des femmes aussi, j’en ai vu deux. Il y a même des blancs qui font ça ! » Si à l’issue du procès la situation persiste, Safe Bag pourra toujours compter sur le soutien du préfet ainsi que sur la police qui a ajouté quelques descentes à Roissy au programme de son calendrier de l’année 2019.

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