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Le syndrome d’excitation génitale persistante est un véritable enfer

Qu’est-ce qui est pire qu’une maladie qui vous pourrit la vie, et pour laquelle il n’existe aucun remède connu ? Un médecin qui ne vous prend pas au sérieux.

“Veinarde, va !”

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“Vous êtes sûre que c’est bien une maladie ? Ça ressemble à un miracle.”

“J’aimerais tellement que mon épouse soit comme vous…”

Ces répliques sont authentiques, et ont été formulées sans honte par des médecins devant des patientes qui se plaignaient de ne plus pouvoir vivre normalement.

Pour les victimes du syndrome d’excitation génitale persistante (SEGP), ce genre de situations est tout à fait banal. Elles les ont rencontrées maintes et maintes fois dans les cabinets de médecins généralistes ou de spécialistes. Elles ont été moquées, humiliées, prises pour des originales. Et progressivement, elles ont développé une honte infinie face à leurs symptômes : des organes génitaux gonflés et en état d’excitation permanente.

Ce syndrome est l’équivalent génital d’un acouphène, puisqu’il emprunte la forme d’une suractivité nerveuse localisée qui capte toute votre attention, vous empêche de vous concentrer sur vos tâches quotidiennes, finit par occuper tout votre espace mental.

Hélas, les patientes – car ce sont presque toujours des femmes – qui se plaignent des symptômes du SEGP sont invariablement accueillies avec des plaisanteries et de la condescendance, plutôt que par la compassion médicale toute professionnelle qui s’impose dans ces cas-là. Une partie du problème, bien sûr, est lié aux parties du corps concernées : les petites lèvres, les grands lèvres, le vagin et le clitoris. Si le médecin craindra immédiatement un problème neurologique en cas de sifflement permanent dans les oreilles, l’excitation génitale, elle, sera reléguée au rang de symptôme non spécifique plutôt amusant.

Je me suis entretenue avec des femmes victimes de SEGP, qui avaient attendu des années avant d’oser parler ouvertement de leur problème. Une patiente, qui souhaite rester anonyme, explique que la catégorisation de la maladie elle-même pose problème : “Le plus frustrant, là-dedans ? Le SEGP est considéré comme un trouble sexuel. Les médecins imaginent que j’ai des problèmes psy, que j’ai été agressée sexuellement par le passé, ou que je suis simplement une fille très portée sur le sexe et incapable de contrôler ses pulsions. Rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité : je suis hypersensible et je supporte à peine que l’on me touche.”

Le terme “d’excitation” est trompeur ici, puisqu’il a un sens très général : les sensations des malades sont proches de la douleur, et ne s’accompagnent pas de fantasmes ni de désir sexuel. Elles ont le sentiment que leurs envies sont totalement désynchronisées de leur activité génitale. Ces personnes – qui selon plusieurs études épidémiologiques correspondent à 1% de la population environ – découvrent alors rapidement que le seul moyen de soulager leurs symptômes est la masturbation, très fréquente si possible.

Les patientes qui doivent se masturber jusqu’à 100 fois par jour – pour trouver ne serait-ce que quelques instants de répit au cours de la journée – sont rarement prises au sérieux. Vivre avec le SEGP est un véritable enfer, qui peut parfois conduire au suicide. Voyez plutôt le cas de Gretchen Molannen, une américaine de 39 ans, qui a mis fin à ses jours en 2012 après avoir parlé publiquement de sa maladie dans la presse. Nous ne saurons jamais si ce sont uniquement les insultes et le harcèlement des lecteurs qui l’auront poussée à renoncer à la vie, mais ce qui est sûr, c’est qu’elle ne constitue pas un cas isolé.

“Six de mes patientes se sont suicidées, et je ne parle même pas des cas cliniques dont j’ai entendu parler par mes confrères”, explique Irwin Goldstein, directeur du département de santé sexuelle à l’Hôpital Aldorado de San Diego, où, depuis 16 ans, il essaie de soulager des malades qui vivent “une existence misérable, cauchemardesque, s’accompagnant de tendances suicidaires.” “En médecine, peu de maladies chroniques suscitent autant d’anxiété et de honte que celle-là”, ajoute-t-il.

Si 1% de la population est affectée par ce syndrome – c’est-à-dire dans des proportions similaires à la schizophrénie – alors il est urgent que les professionnels de santé soient formés pour le prendre en charge. Le SEGP est entré dans la littérature médicale en 2001 seulement, par l’intermédiaire d’un article publié dans la revue The Journal of Sex & Marital Therapy.

Alan Gordon, directeur du Centre de gestion de la douleur de Wasser à Toronto, estime qu’il a identifié cette maladie pour la première fois il y a une trentaine d’années, chez une femme qui se trouvait “dans une grande détresse psychologique”. Il n’avait jamais observé pareils symptômes, et s’est trouvé impuissant pour la soulager. “Encore aujourd’hui, je pense à elle. Je m’en veux terriblement de ne pas avoir su quoi faire. Je me demande ce qui lui est arrivé, et j’ai très peur qu’elle se soit suicidée.”

L’attitude des médecins devant ces patientes peut être profondément humiliante, explique Julia Jean Jackson-Fowler, qui vit avec ce syndrome depuis 1961. Elle avait alors 5 ans (Si la plupart des femmes évoquées dans l’article ont une cinquantaine ou une soixantaine d’années, le SEGP touche des personnes de tous âges). “Je me suis adressée à de nombreux praticiens. Des femmes, des hommes, des gynécologues, des psychiatres, des chirurgiens. Ils avaient tendance à éluder la question le plus vite possible ou à orienter la discussion sur le terrain psychologique. Ils étaient eux-mêmes gênés par le fait qu’une femme puisse être affectée par une surexcitation génitale. Ils ne voulaient pas en parler.”

La honte et la stigmatisation peuvent être si sévères que les patients ne parlent jamais de leur maladie en public : avant de converser avec Jackson-Fowler, j’ai fait circuler un questionnaire anonyme sur le sujet, et je n’ai récolté que 12 réponses (11 femmes et un homme), toutes envoyées par l’intermédiaire d’une chercheuse, Caroline Pukall, de l’Université Queen’s au Canada.

Les recherches de Pukall – développées dans un article publié le mois dernier – montrent que la moitié des patients atteints de SEGP ont des symptômes extrêmement douloureux. L’excitation peut durer des heures, voire des jours, éveillant les malades au beau milieu de la nuit par l’intermédiaire de spasmes ou d’orgasmes. À terme, elles ne peuvent plus quitter leur foyer, cessent de travailler et sont confrontées à l’isolement social.

Jackson-Fowler a fait le choix de s’exprimer dans la presse parce que, elle-même journaliste, elle sait à quel point il est important de donner un visage humain à un syndrome abstrait, surtout quand il est si mal compris. “Je sais par expérience que lorsque vous crevez l’abcès et que vous évoquez votre cas en public, d’autres personnes se reconnaitront dans votre témoignage et oseront parler, elles aussi”, explique-t-elle. “Tant que les malades ne se font pas davantage entendre, la recherche médicale n’avance pas.”

Elle a subi une chirurgie laser, une vestibulectomie, puis trois opérations supplémentaires afin de gérer les complications.

Linda Cataldo, 66 ans, a également fait le choix de me parler sous sa vraie identité. Elle espère se faire entendre dans les médias et créer une association de patients. Quand je lui ai fait remarquer à quel point il était courageux de s’exprimer sous son nom, elle a répliqué du tac-au-tac : “Ce n’est pas plus difficile que de vivre avec cette maladie de merde.”

Cataldo est l’un des cas les plus sévères que j’ai rencontrés pour cet article : elle a subi une chirurgie laser, une vestibulectomie (l’amputation chirurgicale d’une partie du vestibule vulvaire, la partie de la vulve située entre les petites lèvres, comprenant le méat urinaire et l’entrée du vagin), puis trois opérations supplémentaires afin de gérer les complications. Elle a également reçu deux “neurostimulateurs Interstim à piles” implantés dans le nerf pudendal afin de contrôler l’activité neurale de la zone génitale. En juillet, elle sera opérée de la colonne vertébrale afin de corriger un disque manquant entre ses quatrième et cinquième vertèbres lombaires. Il lui en coûtera 60 000$, sans résultats garantis. Cette somme s’ajoute aux 100 000$ qu’elle et son mari ont dû débourser pour des traitements et des déplacements jusqu’à des centres spécialisés disséminés à travers les États-Unis (sa mutuelle d’entreprise ne couvre pas les traitements réalisés à plus de 50 km de son lieu de travail). Enfin, elle doit régulièrement prendre des antalgiques très puissants pour faire face à la douleur.

Malgré tout ce qu’elle a traversé jusqu’ici, elle est pleine d’espoir. Elle pense que cette dernière opération lui permettra enfin de vivre normalement. Selon Goldstein, “de vraies solutions thérapeutiques et chirurgicales existent, depuis peu”. Elles ont permis de soulager une douzaine de femmes jusque-là. Il s’agit le plus souvent d’opérations de la colonne vertébrale, ou de l’élimination d’un type de kyste connu sous le nom de kyste de Tarlov. Les scientifiques ont réalisé que les kystes étaient une cause fréquente du SEGP il y a cinq ans seulement : en 2012, lors “d’une expérience cruciale”, comme l’appelle Goldstein, des chercheurs du New Jersey ont identifié des sacs remplis de liquide qui se formaient autour de la base de la colonne vertébrale, chez 67% des femmes atteintes du syndrome.

Ces kystes n’expliquent pas tous les cas de SEGP : parfois, les patientes ont connu leurs premiers symptômes après un accouchement, à la fin d’un traitement aux ISRS, ou autres. À vrai dire, les chercheurs commencent tout juste à gratter à la surface du problème. À l’Université Queen’s au Canada, Pukall explique que son équipe cherche des gènes spécifiques qui pourraient prédisposer leurs patients à développer des symptômes, ainsi que des facteurs épigénétiques qui pourraient activer ou désactiver ces gènes. Enfin, ils observent comment les hormones et les neurotransmetteurs comme l’ocytocine et la sérotonine influent sur le syndrome.

À l’Université Concordia à Montréal, James Pfaus étudie le rôle de la dopamine – un neurotransmetteur qui a un rôle majeur certains problèmes neurologiques, comme l’addiction. “Les personnes atteintes du syndrome de la Tourette, par exemple, connaissent une désinhibition de la dopamine au niveau du cerveau. Cela est parfois corrélé à une incidence élevée du syndrome d’excitation génitale persistante”, explique-t-il. De toute évidence, les traumatismes crâniens peuvent également déclencher ces mystérieux symptômes.

Pfaus s’est familiarisé avec le SEGP dans les années 90 – longtemps avant que le premier papier académique soit publié sur le sujet. “On aurait dû décrire ce symptôme dans la littérature scientifique bien avant 2001. Mais dans notre culture, on n’écoute pas les femmes. On n’écoute pas ce qu’elles ont à dire, on leur coupe la parole, on les prend de haut. Pire, on invente une cause psychologique à leurs problèmes sans prendre la peine de faire notre boulot : chercher”, explique-t-il.

Pour un syndrome dont la prévalence est de 1% (ce qui est énorme, en réalité), il est scandaleux que le syndrome de l’excitation génitale persistante n’ait pas encore été ajouté au DSM-5, la “Bible” diagnostique de la psychiatrie. Il devrait néanmoins être évoqué dans la prochaine version de la Classification internationale des maladies (CIM).

“Pour le moment, nous avons identifié cinq pathologies de la colonne vertébrale susceptibles de provoquer le SEGP, de la sténose à l’usure des disques lombaires en passant par trois classes de kystes différentes. Imaginez. Des millions de femmes ont souffert pendant des décennies, pour rien. Espérons que la nouvelle génération de femmes sera mieux prise en charge, et qu’à terme nous saurons soigner toutes les formes de ce syndrome”, espère Goldstein. “J’ai hâte que mes patientes aillent mieux, et je n’ai jamais été aussi optimiste.”

Cet article est initialement paru sur Tonic US.