La sortie récente d’un documentaire remet sur le devant de la scène le scandale JT LeRoy. Author: the JT LeRoy Story revient sur l’histoire de Laura Albert, une femme d’une cinquantaine d’années ayant publié des romans sous l’identité fictive d’un jeune gay, ancien gigolo de Virginie-Occidentale. Ses livres avaient été très bien reçus lors de leur sortie, du mouvement queercore de Dennis Cooper jusqu’à Winona Ryder en passant par les membres du monde de l’édition. Tout le monde avait salué le travail de JT. Mais lorsque le New York Times révéla en 2006 que JT LeRoy était en réalité Laura Albert, de nombreux admirateurs se sentirent dupés. En réalité, Laura avait écrit l’intégralité des romans et sa belle-sœur, Savannah Knoop, s’affublait d’une perruque blonde à la Warhol pour incarner le personnage de JT lors des lectures publiques et des repas d’affaires.
Après la controverse, le public a quelque peu délaissé Laura pendant des années. En 2007, la société Antidote International Films lui a même intenté un procès car elle avait signé un contrat sous le nom de JT LeRoy. (Ils avaient racheté les droits du premier roman de JT intitulé Sarah). Le jury a indemnisé l’entreprise à hauteur de 116 500 dollars et Laura en avait fini avec sa carrière d’auteure. « J’ai senti qu’une page se tournait, me confia-t-elle. Je me suis dit que c’était fini pour de bon. »
Videos by VICE
Aujourd’hui, elle tente de revenir sous les projecteurs par l’intermédiaire du documentaire réalisé par Jeff Feuerzeig. Ce dernier dépeint ainsi son histoire en ne la présentant pas seulement comme un gigantesque canular. Jeff relate l’histoire d’une femme en état de choc, abusée sexuellement, qui se voit contrainte d’écrire sous les traits d’un avatar – avatar qui pouvait être homosexuel ou transsexuel, mais qui était surtout quelqu’un se battant pour trouver son identité sexuelle.
Parallèlement à la sortie du documentaire, la maison d’édition Harper Collins a réédité les deux premiers livres de LeRoy – à savoir le roman Sarah et un recueil de nouvelles intitulé The Heart is Deceitful Above All Things. De plus, Laura s’est associée avec l’agent littéraire Bill Clegg pour entamer la rédaction de ses mémoires.
De nombreux artistes visuels ont, par le passé, plébiscité le travail de JT. À leurs yeux, les apparitions publiques de Savannah grimée en LeRoy relevaient de la performance artistique. « L’inexistence de LeRoy rend le travail de Laura encore plus bluffant. On est passé à un autre niveau dans la performance, il y a un nouvel être qui entre en jeu », raconte le photographe Daniel Nicoletta, célèbre pour ses photos du politicien gay Harvey Milk. « Personne ne pouvait imaginer ça, les gens ont été surpris. On s’est dit OK, c’est vraiment une performance très puissante. »
Laura elle-mêmea défendu les liens avec l’art visuel. « Nous avons souvent recours aux illusions comme médiums visuels », m’a-t-elle dit. Lorsque je lui ai demandé si elle regrettait sa décision, Laura a entonné « My Way » de Frank Sinatra. « Des regrets, j’en ai quelques-uns, mais une fois encore, trop peu pour en faire état. »
Photo de Henny Garfunkel
Elle comprend les critiques négatives à son égard mais soutient toujours son idée de départ. « David Bowie n’était pas David Bowie, m’a-t-elle dit. Ils jouaient un rôle. » Le leader de The Smashing Pumpkins Billy Corgan a même écrit l’avant-propos de la réédition de Sarah en défendant les qualités artistiques du roman : « La vérité reste vérité et l’amour reste amour. »
Les auteurs ne seront probablement pas tous d’accord avec les propos de Corgan. « Vous savez qui souffre le plus de cette situation ?, m’a demandé Laura. Ce sont les auteurs, parce ce sont des connards qui n’acceptent rien. JT a permis de faire exploser toutes les conneries entourant la narration et la place du fictif dans le roman. » Mais la logique expliquant la réception négative de la part de la communauté littéraire – et plus particulièrement des auteurs gays, des éditeurs et des agents – est bien plus compliquée que ne le pense Laura. Des auteurs gays de renom ont soutenu JT LeRoy parce qu’ils pensaient qu’il était un membre de la communauté LGBTQ ayant souffert de terribles abus sexuels. À ce titre, il méritait une aide pour entrer dans le cercle de la littérature. Des défenseurs de la cause LGBT pointent du doigt le fait que LeRoy a été privilégié alors que de nombreux auteurs gays se démènent pour obtenir une once d’attention. En plus, dans les années 1990, Laura n’a pas hésité à affirmer à ses éditeurs que LeRoy avait contracté le virus du sida.
L’agent et éditeur Ira Silverberg a été particulièrement touché par la soi-disant séropositivité de LeRoy, ce qui avait alors influencé sa décision. Il était le deuxième agent de LeRoy. Il représentait et faisait la promotion des auteurs dont personne ne voulait, à l’image de Dennis Cooper et des artistes dans la lignée de feu David Wojnarowicz, dont les travaux continuent d’irriter les membres du Congrès et les dévots.
« Sans tenir compte de la qualité de son travail, manipuler les gens en affirmant que vous êtes un adolescent séropositif qui sort de la rue et qui a besoin d’aide, ce n’est pas très juste », m’a dit Ira Silverberg.
Laura Albert affirme ne pas avoir utilisé la maladie de son personnage à des fins lucratives. Elle affirme que LeRoy lui-même – elle parle souvent de lui comme s’il était une personne réelle – mentait à propos de sa maladie. « De plus, révèle-t-elle, depuis quand les gens achètent-ils un livre parce que son auteur a le sida ? »
Aujourd’hui Laura affirme que ses livres n’avaient rien à voir avec la cause LGBT. « Il n’a jamais été question de faire la promotion de mes livres de cette façon. Jamais. La communauté gay a été apeurée par ces livres. Personne ne les évoquait parce qu’un homme ayant des relations sexuelles avec un gamin faisait peur à tout le monde. »
« À mes yeux, JT LeRoy représentait le genre d’outsider que vous voulez encourager, avoue Silverberg. J’avais l’impression que LeRoy était le dernier de la lignée amorcée par William Burroughs, Kathy Acker, Cooper. »
Silverberg avait trouvé le livre de LeRoy assez naïf, ce qui faisait partie de son charme. JT LeRoy était d’ailleurs censé avoir seulement 24 ans en 2004 quand un portrait rédigé par le journaliste Warren St. Johns a été publié. Il paraissait trop innocent pour mentir. « Je me rappelle quand JT prétendait avoir découvert Warhol, c’était vraiment mignon, assure Silverberg. Je veux dire, c’était pas un gars très brillant, c’est pourquoi son mensonge avait en lui une espèce d’innocence et de pureté. »
Laura et son ancien mari, Geoffrey Knoop
Une fois la véritable identité de LeRoy dévoilée, Silverberg et les autres lecteurs ont revu leur jugement sur la qualité littéraire de ses écrits. « C’était une belle histoire, un type qui vient de nulle part, victime d’abus, atteint du sida et en quête de sa propre identité, explique Silverberg. On voulait que ce gars aille mieux, et je pense qu’on a tous été dupés. La faute revient à l’auteur. En ce qui me concerne, sa vaine tentative de nous présenter LeRoy comme la toile de fond de sa vie est à chier. Elle n’a tout simplement pas assumé ses responsabilités et n’a même pas daigné présenter des excuses. »
« Je pense que ses écrits ne vont pas perdurer, ajoute-t-il. Ses romans reposaient beaucoup sur la personnalité de leur auteur. »
Les réactions de ceux qui étaient au courant pour Laura et LeRoy furent différentes. Le scénariste et acteur W. Earl Brown avait rencontré Laura Albert en 2005 lorsqu’elle s’était rendue sur le plateau de la série Deadwood pour interviewer son créateur David Milch. Ce dernier avait fini par découvrir la véritable identité de LeRoy et avait embauché Laura en tant que scénariste sur la série. Lorsque Brown apprit lui aussi qui se cachait derrière la perruque de LeRoy, il n’a pas revu son jugement sur les livres de Laura. « C’est ce que disait Milch, on juge un auteur par rapport à ses écrits, m’a déclaré Earl Brown. »
Sarah, premier roman de Laura sous le nom de JT LeRoy, a été publié en 1999. D’un bout à l’autre du récit, le narrateur reste anonyme et l’histoire relate la vie d’un jeune gamin qui se prostitue et navigue entre les camions sur les routes de la Virginie-Occidentale. Certains aspects du livre sont directement inspirés de la vie de Laura à San Francisco, où elle travaillait comme opératrice de téléphone rose et écrivaine porno. « LeRoy » lui est venu alors qu’elle était au téléphone avec l’un de ses clients du même nom, tandis qu’un autre client lui avait parlé de ces prostitués qui arpentent les routes de camion en camion.
« J’ai réutilisé ces éléments afin d’avoir de la matière », m’a dit Laura. Les gens du sud des États-Unis ont rapidement compris qu’il s’agissait d’une fiction à part entière tant certains éléments étaient peu crédibles. Toutefois, ce roman sur des prostitués travestis ne cherchait pas son public auprès des gens du sud du pays.
Récemment, le livre a rencontré un nouveau public. Quand Laura est venue nous rendre visite dans les bureaux de VICE à Los Angeles, elle était accompagnée de deux blondes âgées de la trentaine. L’une d’elles tenait entre ses mains une copie du second roman de JT LeRoy, The Heart is Deceitful Above All Things , et l’autre s’appelait Jasmin. De son côté, Laura était affublée d’un chapeau blanchâtre qui tombait sur sa tête et exhibait une bague de couleur verte.
Il y a quelques années, Jasmin avait été embauchée comme stagiaire par Laura. Elle avait connu JT LeRoy lorsque son copain lui avait offert un exemplaire de Sarah. « Je suis tombée amoureuse de Sarah. Ce livre a changé ma vie, affirme Jasmin. Ce roman me parle. Pour la première fois de ma vie, je ne me suis pas sentie seule. On m’avait donné le courage d’entamer ma guérison. »
Aujourd’hui, Laura décrit LeRoy comme un avatar qu’elle utilisait pour faire face aux problèmes qui la tourmentaient. « Aujourd’hui, il n’y a plus seulement une fluidité des genres mais aussi une fluidité des avatars. Avoir un avatar ou incarner un autre n’est pas une chose étrange, affirme-t-elle. D’ailleurs, peu de gens se rendent sur Internet sous leur véritable identité. »
Laura a grandi à New York. Elle se rappelle avoir été confrontée à la confusion des genres très tôt dans sa vie mais elle manquait alors de mots pour panser ses plaies. Dans le documentaire, elle se souvient des abus subis alors qu’elle n’était encore qu’une enfant. Elle a passé une année de sa vie au sein d’un foyer, à discuter en compagnie d’autres filles maltraitées. Elle s’est battue pour retranscrire sur papier tout cela et rêvait alors d’être un garçon.
« J’aurais tellement voulu être un petit garçon aux cheveux blond et aux yeux bleus », raconte Laura, comme si elle décrivait LeRoy. « Les médias et la société ne parlaient pas d’abus sexuels et de maltraitance à l’époque. Quand ils ont commencé à s’y intéresser, c’était tout le temps sous la forme d’un garçon aux cheveux blonds avec les yeux bleus alors qu’il pouvait aussi bien s’agir d’une petite fille. »
Adolescente, Laura écrivait sous les traits d’un narrateur masculin. À l’Université, elle avait du mal à exprimer sa vulnérabilité dans ses écrits. « Je remonte très loin lorsque j’écris, il y a beaucoup de choses qui me font souffrir, ce n’est pas une partie de plaisir », m’a-t-elle confié. Elle avait commencé un roman à la première personne dont le narrateur était un jeune homme. Elle y parlait de maltraitance et d’abus – des thèmes récurrents dans ses œuvres. Laura assure que sa professeure lui avait demandé d’arrêter pour se lancer dans un récit avec un narrateur féminin.
Le projet LeRoy était sans doute trop novateur pour son temps – une exploration du genre que l’on observe aujourd’hui un peu partout. Quelques semaines avant notre rencontre, Laura m’a contacté sur Twitter pour me demander de laisser un avis Amazon sur le livre de JT LeRoy. À la fin de notre conversation, elle a attrapé mon exemplaire de Harold’s end, le troisième livre de JT LeRoy, et l’a dédicacé même si je lui avais dit auparavant de ne pas le faire. Qui sait à quel point le scandale LeRoy peut affecter la valeur littéraire de ses livres ? Ce qui est sûr, c’est que les gens reparlent de nouveau de JT LeRoy. « Et ce n’est pas fini », prédit Laura.