Drogue

La génération de nos parents nous raconte ses expériences avec la drogue

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Vos parents vous ont peut-être appris à parler, marcher, faire du vélo, compter deux par deux et lacer vos chaussures, mais vous ont-ils appris à prendre de la drogue ? Ou du moins, ont-ils déjà abordé le sujet avec vous ? Cette info peut autant vous inquiéter que vous rassurer mais oui : il est bien probable que vos parents aient déjà tapé la C ou trippé sous champis dans leurs belles années, quand la croissance économique rendait la vie moins compliquée et que la mondialisation semblait encore être une bonne idée. D’ailleurs, encore maintenant, peut-être que votre papa tire sur un gros buzz alors que vous l’imaginez au travail (d’ailleurs, les deux ne sont pas incompatibles). 

Quoiqu’il en soit, vous avez déjà eu envie de demander à vos parents comment c’était, la drogue, quand ils étaient jeunes ? On a discuté avec 5 baby-boomers de leurs expériences, de ce qu’ils en retiennent et de leur opinion sur un sujet qui reste tabou.

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Els* (58 ans), Anvers

Les drogues, ça m’a toujours un peu fascinée, mais durant mon adolescence, mis à part un petit joint et un trip, je n’y ai pas vraiment touché. C’est bien plus tard, après la naissance de mes premiers jumeaux, que j’ai commencé à en prendre régulièrement. J’étais séparée du père et en couple avec un homme qui prenait régulièrement du speed. Naturellement, je m’y suis mise aussi : les week-ends où les enfants étaient chez leur papa, on consommait ensemble à la maison, on buvait un coup… c’étaient nos moments d’évasion. 

De là, on a commencé à prendre plus régulièrement. De la coke, des ecstas, aussi. Parfois on allait en soirée, dans des clubs ou bien en rave dans des lieux reculés. Je me souviens d’un week-end où on est parti·es camper à une rave goa, avec plusieurs couples d’ami·es. On avait pris nos enfants avec, du coup chaque jour on nommait quelqu’un du groupe qui était chargé·e de garder les petit·es pendant que les autres allaient faire la fête. Au final, je faisais beaucoup plus attention à ma consommation parce que je savais que mes enfants étaient dans les parages, mais au moins ça nous permettait de prendre du bon temps, d’expérimenter en dehors de notre rôle de parents qui nous étouffait parfois un peu. Avec le recul, je réalise que c’était une sorte de fuite pour moi. J’ai eu des enfants sur le tard, et même si j’adorais être leur mère, je me sentais parfois un peu piégée, comme si je devais faire un virage complet dans mon style de vie alors que de nature, je suis plutôt quelqu’un qui aime faire la fête. 

« Au bout d’un moment, par contre, ça a dérapé : on prenait trop et trop souvent, parfois quand les enfants étaient à la maison, en journée… »

Au bout d’un moment, par contre, ça a dérapé : on prenait trop et trop souvent, parfois quand les enfants étaient à la maison, en journée… À ce-moment-là, j’ai décidé que j’avais eu ma dose. Et depuis, je n’y ai plus touché. Mais je n’ai aucun regret : les drogues, au final, ça fait partie de la vie. Tout le monde en prend, et ceux qui sont contre, souvent, boivent de l’alcool, alors que c’est parfois beaucoup plus dangereux pour la santé. 

J’ai toujours été très ouverte à ce propos, même avec mes enfants : je ne leur ai jamais caché que j’avais essayé plusieurs drogues, et quand ils étaient assez grands pour comprendre, je leur ai aussi raconté la période où j’étais devenue accro. Quand ils étaient ados et qu’ils ont commencé à faire leurs propres expériences, je les laissais faire la fête dans l’abri de jardin avec leurs potes. Au final, c’est de leur âge : tu sais qu’ils vont vouloir tout tester. Je préférais qu’ils le fassent ici, en sécurité, plutôt que d’aller gratter je ne sais quelle pilule ou poudre dans un bar. Si ça ne tenait qu’à moi, tout serait légalisé et en vente régulée : si on peut se saouler chaque weekend en terrasse, pourquoi est-ce qu’on ne pourrait pas acheter un gramme de coke par semaine à la pharmacie ? Et puis, ça permettrait de faire baisser la criminalité, de remplir les caisses de l’État, de contrôler la qualité de ce que les gens prennent… Faire l’autruche et laisser une activité tellement répandue à la merci du trafic illégal, je trouve ça vraiment inconscient et hypocrite.

Dominique (64 ans), Rome

Par une nuit magique, quelque part au Pays Basque, bercé par un vent du sud, j’ai fumé de l’herbe pour la première fois. J’avais 16 ans. Ce fût une expérience superbe, d’autant plus que ce n’était pas du tout prévu et que je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait. Après ça, j’ai goûté les champignons magiques, c’était au Mexique ; je pense que de tout ce que j’ai essayé, c’est ce qui m’a le plus marqué. Posés dans la voiture, on mangeait les champignons crus, c’était vraiment pas bon. Pour atténuer le goût, on les mélangeait avec du chili, du ketchup, du miel, du chocolat… Autant vous dire, le champignon cru, plus jamais.

Je pense que j’ai eu de la chance, parce que je n’ai jamais eu de mauvais trip. Mais je voudrais insister sur l’époque – c’était la fin des années 1970. Le monde était, du moins de ce côté du mur de Berlin, pacifique et serein. On pouvait voyager sans danger dans des pays aujourd’hui considérés comme dangereux comme l’Afghanistan, l’Iran ou encore l’Amérique Centrale. Les drogues étaient récréatives, faciles et conviviales. Pour ma génération, le moment charnière est venu vers 1982-83, avec les ravages de l’héroïne et du sida. À partir de là, les gens qui ont continué à consommer des drogues dures ont fait un choix qui les a marginalisés. Les autres se sont limités aux substances récréatives. Par la suite, de nouveaux cycles ont pris la relève, avec de nouvelles drogues, notamment synthétiques.

La dernière fois que j’ai consommé de la drogue, c’était de l’herbe, il y a quelques mois. Après, je connais beaucoup de personnes de mon âge qui fument des joints. Ma mère a fumé son premier quand elle avait plus de 70 ans, et elle a adoré ! Si elle avait pu acheter des joints roulés au bureau de tabac, elle aurait fumé tous les soirs. Ça aurait peut-être été mieux que ses antidépresseurs. 

Je n’ai pas vraiment d’avis général sur les drogues. Tout dépend de l’usage qu’on en fait : tant que c’est récréatif et que toute votre vie ne tourne pas autour, je n’y vois pas de problème. Par contre, si ça occupe trop de place et que ça impacte le fonctionnement au quotidien… ça peut vite vous rendre idiot. Et faites attention aux nouvelles herbes génétiquement modifiées : elles sont trop fortes !

Luke* (63 ans), Londres

J’ai 63 ans et j’ai commencé à prendre de la coke quand j’avais 20 ans. C’était merveilleux. Il faut dire que la coke que nous avions à l’époque était très différente de celle qu’on peut trouver de nos jours. C’était autre chose niveau qualité, les drogues n’étaient pas aussi merdiques que maintenant. 

La cocaïne, c’est marrant, mais pas sans risque : j’avais un vieil ami qui avait une personnalité addictive et qui l’a malheureusement découvert en même temps que la poudre. Il s’est beaucoup amusé, jusqu’à ce que l’argent vienne à manquer. Après ça, il a vécu le pire moment de sa vie : la galère, la débauche… C’est dommage, mais il y a des gens qui n’arrivent pas à comprendre que les drogues doivent aller de pair avec le contrôle de soi. Sur ce point : ne prenez jamais de drogues seul·e. Sinon, si vous pouvez vous contrôler et comprendre qu’il s’agit d’une façon d’ouvrir votre esprit, alors pourquoi pas, faites-vous plaisir. 

La dernière fois que j’ai pris de la coke, c’était il y a un an. Je suis ouvert d’esprit à ce sujet, j’en parle avec mon fils qui a 24 ans ; je pense qu’il est important de ne pas faire de secrets à propos de ça.

Anne-Véronique (60 ans), Bruxelles 

Quand j’avais 15 ans, j’ai rencontré un jeune homme dans un train. Il m’a invitée chez lui, là où résidaient aussi beaucoup de ses ami·es. La maison était tenue par une vieille dame, une ancienne actrice. Le week-end, tout le monde se retrouvait là, l’ambiance était très bohème ; ils avaient fait pousser de l’herbe dans les champs à côté et en fumaient à longueur de journée. C’est là que j’ai fumé mon premier joint. 

Je n’étais pas celle qui fumait le plus dans la bande, on pourrait même dire que j’étais la plus sage : ça restait très occasionnel. J’étais d’ailleurs assez méfiante par rapport aux autres drogues, je ne voulais pas en entendre parler. Je me souviens lorsqu’un ami à moi m’a dit qu’il était passé à l’héroïne, ça m’avait mis hors de moi. 

Je travaillais le week-end, je pense que ce qui m’a retenue de les suivre dans leur rythme de vie. Un soir, je suis rentrée du travail et ils avaient tous pris de l’acide. Mon copain de l’époque était couché en position fœtale près des toilettes, tous les autres étaient dans leurs trips. Quand il est revenu à lui, mon copain m’a dit que c’était très intense et qu’il avait vécu quelque chose de génial. Moi, je l’ai vécu comme une trahison, car je n’aurais jamais testé une nouvelle drogue sans lui. Je n’ai jamais pris de drogue forte ; cet épisode m’a définitivement convaincue que ce n’était pas pour moi. 

« Personnellement, je ne ressens pas le besoin de prendre des drogues, et je ne vois ni l’alcool ni les drogues comme des solutions à mes problèmes. »

La dernière fois que j’ai pris quelque chose, ça devait être en 2005. Je vivais dans le sud de la France avec mon mari et mes enfants, et nos voisines fumaient beaucoup d’herbe. Un jour, l’une d’elles m’a donné un énorme sachet qui ressemblait aux sachets de lavande qu’on met dans les placards pour ne pas avoir de mites. Immédiatement, je me suis rendue compte que si je fumais ça, j’allais recommencer à fumer la cigarette, et donc à re-fumer tout court. J’ai décidé de tout jeter dans les toilettes. Quand j’ai raconté ça à la voisine qui m’avait fait le cadeau, elle était furieuse. 

Mon point de vue général sur les drogues est très orienté, car je suis psychologue et j’ai un diplôme universitaire en addictologie ; j’ai énormément travaillé avec des gens qui ont des addictions et des problèmes de toxicomanie. Personnellement, je ne ressens pas le besoin de prendre des drogues, et je ne vois ni l’alcool ni les drogues comme des solutions à mes problèmes. Je pense qu’il faut avoir peur de l’addiction et faire attention à sa consommation. La plupart du temps, ce sont les personnes ultra-sensibles qui se droguent et qui voient la substance comme un pansement à leur problèmes.

Benny (54 ans), Anvers

Dans ma jeunesse, je sortais beaucoup, mais j’étais toujours seul et sobre. Mon truc, c’était de prendre un rôle d’observateur : je voulais étudier le monde de la nuit, voir comment les gens réagissaient en fonction du lieu, des drogues qu’ils prenaient, de la musique… mais sans jamais participer. J’ai finalement fait ma première expérience un soir où Aphex Twin jouait au Vooruit à Gand. Je devais avoir 28 ans. J’avais la crève, j’étais super fatigué, mais hors de question d’aller me coucher. Quelqu’un m’a mis une pilule dans les mains et m’a dit : « Tiens, prends ça, ça t’aidera à tenir le coup. » Je voulais vraiment profiter de ma soirée alors j’ai suivi le conseil ; c’était de l’ecsta, et une forte en plus. J’ai pas dormi pendant 3 jours, ma mâchoire en a pris un sacré coup. En soi, l’effet ne m’a pas déplu, mais j’en pouvais plus, j’avais l’impression que ça n’allait jamais s’arrêter. Et puis évidemment, après avoir finalement pu dormir, je me suis réveillé encore plus malade qu’avant.

Par la suite, j’ai décidé de tester un peu tout ce que je voyais passer. La barrière de la première fois était tombée, je voulais toujours garder mon rôle d’observateur mais j’étais aussi curieux de savoir ce que ça faisait, pourquoi tout le monde en faisait tout un foin. J’ai essayé tout et n’importe quoi : cocaïne, speed, XTC, MDMA, j’ai touché au LSD, aux champis… La coke, j’ai vite laissé tomber, je trouvais que ça rendait les gens pénibles. Mais j’avoue que d’autres drogues m’ont vraiment plu : pendant un temps, j’ai pris du speed de façon régulière, quasi tous les week-ends. Mais c’était un bon speed, du genre qui te crispe pas tout le corps. Mes expériences préférées, c’était sous MDMA/ecstas et avec des champis. La montée et l’effet sont quand même plus sympa qu’avec les amphétamines ou la coke.

« J’ai dû enterrer des amis qui ont succombé directement ou indirectement à leur toxicomanie. C’était la goutte d’eau : c’est à ce moment-là que j’ai décidé d’arrêter complètement. ça n’en valait tout simplement plus la peine. »

En dehors de ma première fois sous ecsta, je n’ai pas vraiment eu de mauvaises expériences avec la drogue, mais je dois dire que j’ai toujours eu un regard assez lucide sur ma consommation. Je ne vais pas dire que je n’ai jamais dérapé – ça m’est déjà arrivé de rester éveillé plusieurs jours, de m’éterniser en after… mais ces fois-là, je peux les compter sur les doigts d’une main. Allez, peut-être deux mains, maximum. Il y avait quand même toujours un moment où je me disais « OK, c’était cool, mais maintenant, c’est le moment de rentrer à la maison ». 

Cette idée de pouvoir me contrôler, c’était vraiment le plus important pour moi. Dès que j’avais l’impression de ne plus être maître de ce que je faisais, je m’arrêtais. Faut dire que j’en ai vues, des personnes chez qui la drogue avait pris le dessus. J’ai l’impression qu’au final, il y a des gens qui arrivent à trouver un équilibre et d’autres pour qui c’est tout bonnement impossible, parce qu’ils sont physiquement ou mentalement vulnérables et plus prônes à l’addiction. Et souvent, ce sont ceux-là qui ne réalisent malheureusement pas à quel point ils sont impuissants. J’ai dû enterrer des amis qui ont succombé directement ou indirectement à leur toxicomanie. C’était la goutte d’eau : c’est à ce moment-là que j’ai décidé d’arrêter complètement. ça n’en valait tout simplement plus la peine. Depuis, j’ai retouché au speed de manière très sporadique, mais là ça fait des années que j’ai plus rien pris.

Au final, on ne peut empêcher personne de consommer des drogues : tout le monde le fait, aujourd’hui encore plus qu’à l’époque. Dans n’importe quel bar de n’importe quel village, il y aura toujours un type qui prend des traces dans les toilettes. C’est devenu super répandu et super normal. Que le gouvernement pense pouvoir enrayer la consommation de drogues en la rendant illégale, ça me fait doucement rire. Je pense qu’on ferait mieux d’intégrer les drogues dans nos vies de façon légale et saine, tout d’abord par leur utilisation médicinale, mais aussi récréative, à condition de mettre en place certains systèmes. Ça permettrait déjà de garder un œil sur la qualité de ce qui tourne au lieu de laisser les gens prendre des trucs coupés n’importe comment par des dealers sans scrupules.

*Noms d’emprunt.

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