Est-ce que vous avez déjà entendu parler de la ville de Revel ? Cette ancienne bastide médiévale du sud-ouest de la France est surtout connue pour son savoir-faire dans l’artisanat du meuble d’art. Les gourmets connaissent aussi son marché – qui figure parmi les cent plus beaux de France –, installé sous le beffroi de la magnifique halle centrale. Mais Revel est surtout la maison mère de l’une des boissons françaises les plus bues à l’apéro : le Get 27.
Sur le boulevard Carnot, le bâtiment de l’ancienne usine Get est immanquable : il sert aujourd’hui de centre culturel à la ville, où la médiathèque côtoie notamment un cinéma. Sous les arcades de la place du marché, on aperçoit encore les fresques représentant des bouteilles estampillées du nom qui entretient la renommée du lieu. La production a beau avoir déménagé à Gémenos (Bouches-du-Rhône) en 1988, le breuvage alcoolisé, concocté à base de crème de menthe poivrée, reste viscéralement attaché à l’histoire de cette cité de la Haute-Garonne.
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Bien qu’il sonne anglais, le « Get » n’a rien à voir avec une quelconque appellation d’origine américaine ou british. Il est le patronyme, typiquement revélois, de deux frères : Jean et Pierre, les brillants esprits à l’origine d’une incroyable saga familiale qui débute au milieu du XIXe siècle. Pour preuve de cette appartenance au terroir, les gens d’ici le prononcent tout simplement « Gét » quand il se dit « Djèt » au comptoir des bars où vous avez l’habitude de le consommer.
Par un concours de circonstances, les frères Get deviennent, en 1858, propriétaires de la trouvaille d’un certain Jean-François Pons, un apothicaire débarqué à Revel en 1786. Ce Pons pilote la création d’une distillerie dans laquelle il invente une crème de menthe qui obtient rapidement un franc succès. Tout le talent des Get s’exprime ensuite dans leur manière de sublimer cette vieille recette : ils mettent en place une stratégie d’entreprise novatrice où le marketing et l’humain font bon ménage.
L’inspiration vient d’un pharmacien ami de la famille, qui vécut en Amérique et y vendit des pastilles à la menthe appelées « Pepper-Mint ».
Les deux frangins, qui ont fait des études de commerce, se demandent comment faire de la crème de menthe poivrée un produit connu dans le monde entier. Il faut lui trouver un label. Ainsi naît le Pippermint, dont la recette se trouve améliorée et affinée par un préparateur-chimiste du nom d’Eugène Galaup. La formule demeure secrète et se transmet entre techniciens de l’ombre, de génération en génération.
Pippermint, quel drôle de nom ! L’inspiration vient d’un pharmacien ami de la famille, qui vécut en Amérique et y vendit des pastilles à la menthe appelées « Pepper-Mint ». Pierret Get raconte dans un recueil laissé à ses descendants que « cette qualification se trouvait dans le domaine public et qu’il nous fallait un qualificatif à nous qui fut notre propriété exclusive, nous le francisâmes en supprimant le trait d’union et en mettant pipper au lieu de Pepper, ce qui fit Pippermint. Voilà l’origine du mot Pippermint ». Toujours plus vendeur que « la Menthaise », son ancien nom… Évidemment, le mot Pippermint s’énonce « avé » l’accent du midi, soit « pipermain » !
De nombreux artistes tombent d’ailleurs sous le charme de la boisson et de son « packaging » insolite.
Le premier coup de génie des Get, aimablement conseillés en la matière par un ami, le docteur Marfan, reste d’avoir progressivement instillé les vertus salvatrices de leur Pippermint dans l’imaginaire collectif… et la liqueur finit par être vendue comme un remède miracle ! La menthe, on le sait, est une plante médicinale. Le Pippermint, lui, devient même un médicament contre le choléra ! L’argument fait mouche car il s’appuie astucieusement sur les écrits d’un contemporain des Get, le docteur Armand Trousseau : « La menthe poivrée est parfaitement indiquée dans la période de concentration du choléra asiatique, alors que tout l’organisme est dominé par un état nerveux grave et profond qui amène rapidement la réfrigération. »
Il n’en faut pas plus pour que le Pippermint envahisse la planète, jusqu’en Indochine où le choléra fait rage. En outre, le produit est présenté comme ayant des vertus aphrodisiaques, digestives, toniques, voire carminatives – de quoi séduire tous les partis. Dans les années 1890, Paul Cézanne himself peint une huile sur toile intitulée « The Pippermint Bottle » qui est exposée à la National Galley of Art de Washington.
De nombreux artistes tombent d’ailleurs sous le charme de la boisson et de son « packaging » insolite. Le deuxième coup de génie des Get se trouve là : leur Pippermint est commercialisé dans des bouteilles dont la forme harmonieuse et tout en rondeur s’inspire de celle des lampes à pétrole. Plus tard, Salvador Dali, Carlos Gardel ou Achille Zavatta exprimeront leur fidélité à la crème de menthe poivrée revéloise. La petite histoire dit qu’un soir, se trouvant dans une auberge à Perpignan, Jean Get eut le déclic en observant les lampes à pétrole qui éclairaient la salle.
Mais plus encore, c’est la dimension sociale de l’entreprise qui est au cœur de la réussite du Pippermint.
À l’époque, les conditions d’exercice dans la « Fabrique » ont pu faire des envieux tellement l’usine de production s’est avérée remarquable en tous points : des espaces bien agencés et sécurisés abritent une chaîne de montage. On parle de pré-fordisme dans l’organisation du travail. Des alambics (de la fameuse maison Egrot) à l’embouteillage, le circuit est moderne et propre.
Les témoignages des derniers employés de la « Fabrique » Get à Revel sont unanimes : « c’était une bonne maison » ; « les salaires y étaient toujours plus élevés qu’ailleurs » ; « lorsque dans le déroulement de l’histoire sociale de notre pays il y avait des avancées sociales, eh bien, chez Get, on les avait déjà… » Les salaires augmentent régulièrement au cours du XXe siècle. Des primes d’assiduité ou d’ancienneté sont distribuées. Les plus actifs reçoivent une participation aux bénéfices. Lors de maladies, de décès d’un conjoint, de situation précaire, l’entreprise met en place un système d’aides. Même pendant le Front Populaire, on continue à bosser, alors que la grève sévit ailleurs. Les congés payés sont pris dès 1937, en deux périodes de huit jours.
Pour laisser une trace de cette saga hors norme, Jean-Paul Calvet, le président de la Société d’Histoire de Revel-Saint-Ferréol, a publié fin 2016 un impressionnant ouvrage, qui a mobilisé la participation d’un groupe de 55 personnes. Parmi elles, de nombreux descendants de la famille, scindés en clans depuis des années. Ce qui est vraiment chouette, c’est que ces gens ont enterré la hache de guerre grâce à la réalisation de ce recueil colossal contenant des archives rares, des illustrations inédites et l’histoire complète du Pippermint. Jean-Paul Calvet nous a reçus à la mi-janvier dans le local de l’association, en compagnie de l’un de ses acolytes, Michel Gô. Il nous a conté la belle histoire dont vous venez de lire les extraits. Cela donne soif, non ?