Illustration : Pierre Thyss
En prison, les seuls jours qui ne riment pas avec ennui sont les premiers. Quand tu arrives, tu viens de subir une garde à vue de 48 ou 72 heures, et tu es souvent épuisé. Au départ, j’étais seul en cellule. Je refusais de sortir et je passais mon temps à écrire des lettres. Je pensais à mon affaire, aux gens de l’extérieur. Les premiers jours sont un peu compliqués, mais très vite, tu te décides à aller voir les autres. Au début, tu es dans le quartier des arrivants donc tu te retrouves avec des mecs comme toi, des « primaires » [nouveaux]. La promenade est moins oppressante avec une cinquantaine de têtes qui ont l’air aussi paumées que toi et qui viennent souvent te voir. On parle plus facilement, on a tout plein de trucs à se dire… Tu te dis limite que c’est mieux que la garde à vue puisque tu es dans une cellule meublée, il y a la télé, des gars avec qui tu te dis que tu peux tisser des liens. Mais très vite, tu pètes un câble. Car à part les deux premiers jours où tu as des trucs administratifs à régler et où tu vois le médecin, tu comprends vite ce qu’il se passe autour de toi et tu sens que le temps s’allonge vraiment.
Et puis on t’annonce direct la couleur : pas d’audition, pas de parloir, pas de livre. Tu attends 15 jours pour avoir ton premier sac de linge, tu n’es pas motivé pour faire du sport, tu regardes la télé, mais tu ne l’écoutes même plus. Ça devient très vite pesant.
On reste parmi les arrivants pendant environ deux semaines – un ou deux mois dans le pire des cas. Quand tu as passé cette étape et changé de bâtiment, c’est complètement différent. Tu peux commencer à bien « cantiner » pour acheter de la bouffe, des plaques de cuisson, tu as la radio. Bref, tu as l’impression d’être super content vu que t’as un truc nouveau à faire, mais ça ne dure qu’un temps. La routine et l’ennui reviennent inéluctablement.
Alors le principal truc à faire pour essayer de moins t’ennuyer, c’est de sortir de ta cellule le plus possible. Tu as la promenade pour commencer. C’est deux heures par jour – plus ou moins selon les prisons – le matin ou l’après-midi. Et au début, il n’y a que ça pour s’occuper.
Au bout de quelques semaines, le juge ou la prison – en fonction de si tu es prévenu en attente d’un procès ou incarcéré après un jugement – valide, ou non, une partie de tes parloirs. Ils durent une trentaine de minutes en moyenne. Ça te fait sortir de la cellule pendant au moins deux heures avec les fouilles et l’attente, et si jamais t’as des proches, ça te fait sortir trois fois par semaine. Mais les parloirs, c’est une chance dont tout le monde ne peut pas bénéficier – de nombreuses personnes sont complètement isolées.
Avec le travail, j’ai moins subi ma détention. C’est uniquement pour ça que les prisonniers veulent travailler – pas pour se réinsérer. C’est bizarre à dire, mais quand tu restes dans la cellule 22 heures sur 24, ça devient presque un plaisir d’aller bosser.
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Tu essayes aussi d’avoir des activités. Tu peux demander la bibliothèque, l’école, le travail ou le sport. Pour la bibli, t’en as souvent pour deux heures par semaine. Personnellement, je lis beaucoup de livres, c’est un vrai plaisir. Ça me permet de m’évader de la prison et ne pas trop voir le temps passer. Quand je n’avais pas d’activité, je lisais entre trois-quatre livres par semaine (et des gros !) pour ne pas m’ennuyer. Des livres pris à la bibliothèque ou apportés par mes proches. Maintenant, je me suis débrouillé pour passer moins de temps en cellule, du coup je ne lis plus qu’un à deux livres par semaine.
De manière générale, les gens ne lisent pas beaucoup en prison. Beaucoup ne savent pas lire ou n’étaient pas sensibilisés à la lecture avant leur incarcération. Sur une promenade de 200-300 personnes, il y en a peut-être quatre avec qui je peux parler de bouquins. Et quand je discute avec le chef de la bibliothèque, il me dit qu’à part des livres de cuisine ou de photos, personne ne prend de livre. Ça y vient plutôt pour jouer au poker, parler ou fumer.
Je connais un détenu qui suit des cours et ça lui fait énormément de bien de poursuivre un truc qu’il faisait dehors. Peu de gens se rattachent aux études, mais on voit quand même des types vraiment passionnés par les cours – il y a des sessions de trois heures de cours à raison d’une à deux fois par semaine. Après, l’école en prison, c’est très inégalitaire. Ceux qui ont fait des études sont prioritaires pour y avoir accès. Je parlais avec un gars qui n’avait pas de diplôme, il a mis six mois à décrocher un rendez-vous pour des cours. .
Sinon pour esquiver l’ennui, il y a aussi le travail. Pour cela, il y a deux possibilités. Soit tu bosses comme auxiliaire et t’es rémunéré par la prison – c’est-à-dire que tu peux distribuer ou faire la bouffe, le linge, aider au nettoyage, etc. C’est un peu le poste clé à avoir, car ça te permet de te déplacer plus facilement dans la prison. À part si tu as un piston, tu peux compter entre huit mois et un an d’attente. Les « lieutenants » qui gèrent ces postes – des matons qui ont fait des études de droit et qui sont des chefs – les donnent à des gens isolés ou à des nerveux pour les calmer et avoir un moyen de pression derrière… Ils te font souvent croire que tu es sur une liste d’attente, mais en réalité ils sont les seuls à décider. L’autre possibilité, c’est de bosser à l’atelier de la prison. Tu es embauché par une entreprise de l’extérieur, laquelle te paye à la pièce. Du coup, il y a beaucoup de détenus qui refusent en voyant les conditions de paiement, par fierté.
J’ai pu travailler rapidement grâce à un mec que j’ai appris à connaître. Mais mon cas n’est pas représentatif. Mon voisin, par exemple, a dû attendre 11 mois – et c’est considéré comme un délai rapide. Ce travail te prend environ quatre heures par jour, une fois tous les deux jours, et ça aide énormément. Dans la cellule, je devenais fou. Tu écoutes la radio, la télé, tu joues aux cartes, tu parles, mais t’as vite fait le tour avec ton codétenu. Quand tu bosses, ça t’offre de nouvelles perspectives. Là au moins, tu tisses des relations avec d’autres personnes, parfois avec des gens de l’extérieur. Tu peux rigoler avec eux, ils t’amènent de la bouffe, du pilon… Avec le travail, j’ai moins subi ma détention. C’est uniquement pour ça que les gens veulent travailler – ce n’est pas nécessairement pour se réinsérer. C’est bizarre à dire, mais quand tu restes dans la cellule 22 heures sur 24, ça devient limite un plaisir d’aller bosser.
Et puis il y a le sport. Clairement en prison, c’est la base pour ne pas t’ennuyer. Il y a le sport que propose la prison : soit tu vas à la salle pour faire de la muscu, soit tu vas au terrain et tu joues au foot. Pour avoir accès à la salle, il faut compter huit mois d’attente – et un an pour le foot. Mais de manière générale, les gens font énormément de sport. En promenade, tu verras toujours 50 personnes en train de courir, de faire des pompes ensemble, ou de s’accrocher au grillage pour faire des tractions. Certains font même des développés-couchés en soulevant des mecs. Ici, le culte du corps est très important. Les gens se font des programmes, surveillent leur alimentation, optimisent leur cellule pour faire du sport. Ils utilisent des bouteilles d’eau en guise d’haltères, font des tractions sur les barreaux ou avec leurs codétenus. Si je devais donner un conseil à une personne qui arrive en prison, ce serait de faire du sport. Si tu n’as pas un mec de ton quartier avec toi ou que tu es tout seul, les gens vont te regarder bizarrement et se demander ce que tu fais là. Le sport, ça te permet de rentrer dans un groupe.
Dans la cellule même, en plus des livres ou du sport, tu as aussi la télé pour t’occuper. Toutes les cellules en ont une si tu n’oublies pas de la cantiner. Ça représente une dizaine d’euros par mois, mais ça peut être gratuit si tu fais les bonnes démarches. C’est l’activité principale, mais ça devient vite déprimant. Les gens matent la téléréalité, ça les abrutit alors qu’ils pourraient en profiter pour lire. Il y a des anciens qui te disent que quand il n’y avait pas la télé, les gens étaient obligés de se parler, d’avoir des interactions… Quand t’avais rien à faire en prison, tu t’organisais pour en sortir. La télé tue l’ennui mais crée une autre forme de léthargie. Ce n’est pas vraiment une bonne chose.
La nourriture permet aussi de combler l’ennui. Avec la nouvelle législation, tu peux quand même avoir pas mal de choses si tu as un peu d’argent. Ça te permet de te préparer des trucs et pas juste de manger des pâtes. Quand mon codétenu prépare un repas élaboré, il crée quelque chose, il s’évade… Mais il faut savoir cuisiner et avoir des idées. Quand ils te donnent la « gamelle » deux fois par jour, c’est systématiquement dégueulasse. Mais l’avantage, c’est que tu peux prendre ce qu’ils te donnent et détourner les aliments. Il suffit par exemple de rincer et faire recuire la viande pour en tirer quelque chose. Une fois, on a eu une sorte de plateau de fruits de mer avec une sauce ignoble. Mais on a pris les moules et on les a refait cuire à la poêle, c’était délicieux. Après, si tu n’as pas de thunes, t’es mort, tu ne peux pas cantiner. Les « indigents », ceux qui n’ont rien, ont le droit à 20 euros par mois et doivent se contenter de manger ce qu’on leur donne.
Le shit aide également. Pour beaucoup, la vie en prison deviendrait un enfer sans ça. Les détenus se défoncent tous la tête et fument des joints toute la journée. Ça les empêche de penser, le temps passe plus vite. Et puis, il y a un autre argument qui me fait halluciner, c’est que ça les empêche de rêver. Quand tu y penses, c’est vraiment tordu, mais les rêves peuvent être assez douloureux ici. Même les indigents préfèrent avoir du shit que de bien manger. Ce n’est pas pour rien que certains l’appellent l’or noir.
Les gens de l’extérieur nous demandent souvent « Comment on tue le temps en prison ? » Mais en réalité, c’est le temps qui nous tue.
Il y a un autre truc qui t’aide vraiment à passer le temps : le téléphone. Dehors, les gens te racontent la vie et ça fait toujours du bien. C’est différent du courrier. Les lettres sont censurées, et tes journées se ressemblent tellement que tu as toujours l’impression d’écrire la même chose à chaque fois. Avec le téléphone, les détenus peuvent aller sur Internet, Snapchat… Après c’est vraiment inégalitaire au niveau des prix. Pour un petit téléphone, il faut compter 150 euros et 2 000 pour un iPhone. En fait, la prison reproduit – et exacerbe – les inégalités de l’extérieur.
S’ils le pouvaient, certains surveillants nous donneraient plus d’activités à faire. Mais il n’y a aucun moyen. Maintenant, c’est aussi une stratégie de l’institution pénitentiaire pour te faire galérer. La prison, ça a été fait pour remplacer les châtiments corporels. Et l’ennui c’est un truc simple pour te briser. Il n’y a qu’à voir ceux qui se suicident. Ce ne sont pas ceux qui vont prendre des grosses peines, mais ceux qui sont isolés, qui n’ont aucun relationnel, qui n’ont rien. Des gens sans activité. Et c’est au mitard qu’ont lieu le plus de suicides. Là-bas, ils t’isolent, tu peux juste sortir une heure dans la journée dans une cour tout seul et ça peut s’étendre jusqu’à 45 jours. On dit que l’homme est un animal social. L’isoler de cette manière, ça le renvoie à une condition inhumaine.
Les gens de l’extérieur nous demandent souvent « Comment on tue le temps en prison ? » Mais en réalité, c’est le temps qui nous tue.
*Le prénom a été modifié à la demande de notre interlocuteur