La Caravane du Tour de France avec ceux qui la mangent
Photo : Philippe Kellenbrunn

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La Caravane du Tour de France avec ceux qui la mangent

En attendant les coureurs sur le bord de la route, le bonheur tient à peu de chose : une table pliante et à boire et à manger.

Bernard, 78 ans, taille la route du Tour de France pour la dix-huitième fois cette année. « Depuis que je suis à la retraite ! », se marre ce Ch'timi pur jus venu de Saint-Amand les Eaux, moustache d'Astérix, œil azur et vif, et bonne humeur d'école.

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En attendant la Caravane avec Bernard, 78 ans. Toutes les photos sont de l'auteur.

Pour les membres de la caravane de la Grande Boucle qui l'ont repéré depuis belle lurette, il ne porte qu'un nom : Chicoutimi. « C'est comme ça que j'ai baptisé ma camionnette parce que ça me rappelle le mot ch'ti et aussi une ville du Québec où je suis passé ». Bernard voyage seul à bord du palace roulant qu'il a aménagé à la force du poignet. Pas de femme à bord. « Elles sont trop compliquées », glousse-t-il.

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La devise de Bernard ? « Avoir un mode de vie, pas de vie à la mode ».

Ce 12 juillet 2016, dixième étape, dans la montée de Revel vers le lac de Saint-Ferréol, côte de troisième catégorie pour le peloton, l'ancien employé de Total et des Ciments français nous raconte s'être garé ici la veille au soir.

Maxi-avantage pour les pique-assiettes : durant le passage de la caravanne, la distribution de bouffe en tout genre peut suffire à se blinder la panse.

Bernard, qui interpelle systématiquement son interlocuteur en l'appelant « l'ancien », prend toujours le temps de choisir son emplacement. Il faut un arbre pour accrocher les dizaines de peluches qui l'accompagnent dans son périple annuel. Un espace suffisant aussi pour exposer son panneau « Circulez y'a rien à boire ! », qui fait sourire le peloton. Il y a quinze jours, il suivait déjà les coureurs à Vesoul où se disputaient les championnats de France sur route. Sa devise ? « Avoir un mode de vie, pas de vie à la mode ».

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La plus grosse madeleine du Tour.

À bord du Chicoutimi, un frigo avec le nécessaire de survie : quelques conserves, un reste de pain dur, une boîte de camembert assez douteuse, une poignée de fruits… Et, bien sûr, les victuailles lancées par les chars de la caravane, dont les madeleines Saint-Michel aux couleurs desquelles il a « designé » le capot de sa maison ambulante. Les mordus de son genre sont légion sur le Tour de France.

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Jeroen et Mick, deux Hollandais fidèles au Tour.

Souvent, le cyclisme n'est en réalité qu'un prétexte à la convivialité. Jeroen – un quadra hollandais plus rouquin que la moyenne –, compte parmi cette population d'âmes seules en quête de nouvelles rencontres. On le surprend presque au réveil, vêtu de son long pyjama à pois rouges, enfoncé tel un pacha dans un fauteuil pliant, entre la vieille berline japonaise qu'il a pilotée depuis Utrecht et l'utilitaire d'un autre Batave. Avec sa bouille de clown irlandais, dents du bonheur et sourcils albinos, il nous confie assister là à son huitième Tour et brandit aussitôt le programme officiel de la course : surprise totale de l'y découvrir comme modèle d'une pub pour Carrefour !

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Freelance dans l'univers du web, mi-artiste mimolette, Jeroen ne raterait pour rien au monde son escapade de l'année aux quatre coins de l'Hexagone. Dans la montée vers Saint-Ferréol, il vient juste de sympathiser avec un compatriote : Mick, 32 ans, propriétaire d'un « sports bar » dans la banlieue d'Amsterdam. Moins bariolé, moins excentrique, ce dernier s'apprête à vivre sa première étape de la Grande Boucle.

Tels sont les autres ingrédients du Tour de France : des inconnus au ras des fossés, des compagnons du camping-car, des tranches de vie par paquets de mille au kilomètre carré.

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Le must pour Nicolas et Romain, c'est du Leerdammer sous vide et des chips au comté.

Equipé comme jamais, Jeroen possède tout le nécessaire du parfait campeur : réchaud, glacière, table pliante, bouilloire, son arsenal impressionne. Au rayon bouffe, en revanche, pas de chichis : bananes, carottes râpées en barquette, chips, et « quelques bières, en soirée seulement », jure-t-il le plus sérieusement du monde.

À vrai dire, personne ne crève la dalle au fil d'une étape du Tour. Certains se posent là un peu à l'arrache, comme Nicolas, Romain et Guillaume, trois potes du club de foot de l'Entente Naurouze Labastide qui ont trouvé par miracle un intervalle pour stationner entre deux camping-cars. Leerdammer sous-vide et chips au comté, un must selon eux, feront l'affaire avant le retour à Castelnaudary, tout proche.

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Claude, Francis et Dominique tapent le barbeuc' sur le bord de la route.

Débarqués eux aussi en voisins, Claude, Francis et Dominique, trois papys toulousains, ont mis les petits plats dans les grands : barbecue sur pied, table de camping, parasol à franges, cubi de rosé, cochonnaille, saucisses, merguez, brochettes et taboulé.

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En place depuis 8 heures du matin, c'est-à-dire plus de sept heures avant le passage de la caravane, ces anciens rugbymen, abonnées au Stade toulousain et par ailleurs éminents membres d'une association de pêche, sont gigantesques dans leur panoplie de cycliste !

Plus sages, plus sobres, plus discrètes, Véronique, la mère, et Emeline, la fille, attendent impatiemment le passage de Peter Sagan, la star slovaque de l'équipe Tinkoff, dont elles sont fans inconditionnelles.

Dans leur sac isotherme, tout le nécessaire du pique-nique réussi. Venues de Chantilly, elles suivent le Tour chaque année, roulant en voiture de chambres d'hôte en chambres d'hôte pour côtoyer les cyclistes qu'elles trouvent bien plus abordables que les autres sportifs.

Le bonheur, finalement, tient à peu de chose : trois chaises pliantes, une paire de glacières, une planche de bois sur laquelle on picore des rondelles de saucisson et une petite fiole de gnôle.

Tels sont les autres ingrédients du Tour de France : des inconnus au ras des fossés, des compagnons du camping-car, des tranches de vie par paquets de mille au kilomètre carré et de la mangeaille à profusion.

Pour Vincent, le papa, sa fille Agnès et son fils Gabriel, jeune cycliste de l'UV Mazamet, c'est l'occasion d'aérer le moteur de l'ancien J9 des pompiers, millésime 1962, et qui tient le 87 km/h en vitesse de pointe. Le chef de cette famille tarnaise de la région de Vielmur-sur-Agout s'est offert l'engin au nom de sa passion pour les vieilles mécaniques. Utilisation géniale : une fois les volets roulants relevés, tout devient possible pour profiter de l'extérieur. Vincent a même installé un hamac qu'il déplie à l'heure de la sieste.

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Le bonheur, finalement, tient à peu de chose : trois chaises pliantes, une paire de glacières, une planche de bois sur laquelle on picore des rondelles de saucisson et une petite fiole de gnôle, de la taille de celles qu'utilisaient les coureurs d'autrefois pour se dépasser.

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Déjeuner sur le bitume.

À trois pas de là, Alan et Bacca, jeune couple d'Anglais « from Sheffield », se distinguent sur la route au volant de leur MX5. Patiemment installés dans l'habitacle, ils s'activent sur un sandwich acheté à la va-vite dans un supermarché du coin. Le Tour de France n'était pas le but de leur road-trip, une autre grande boucle depuis l'outre-Manche jusqu'au sud de l'Espagne en passant par l'Hexagone. L'occasion aura fait le larron de voir à l'œuvre en conditions réelles le maillot jaune Chris « vroom vroom » Froome, britannique lui aussi.

Pas tout à fait la même préoccupation chez la famille Picard (« Comme les surgelés ! », nous précise Isabelle, la taulière), au n° 12 de la route de Saint-Ferréol, qui ont dressé une immense table devant le portail de leur maison, conviant famille et amis pour ce déjeuner inédit au bord de la départementale ! Au menu ? Que des bonnes choses, simples et efficaces : salades de pommes de terre et de tomates, saucisses de Toulouse grillées et de la baguette fraîche.

De quoi prendre des forces avant le passage de la caravane, presque plus attendue encore par la foule que les coureurs eux-mêmes. Les vedettes, en effet, ce sont d'abord ces chars de carnaval estampillés Skoda, Krys, Carrefour ou RAGT-Semences !

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Maxi-avantage pour les pique-assiettes : considérations diététiques mises à part, la distribution de bouffe en tout genre, durant cette parade d'une demi-heure, peut suffire à se blinder la panse.

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Fraises Tagada et Chamallows Haribo à gogo, glaces Cornetto, dosettes Senseo, mini saucissons Cochonou, sirops Teisseire, madeleines Saint-Michel (2 millions d'entre elles distribuées chaque année sur le Tour !), eau de Vittel… Pas de pain en revanche : le boulanger Banette distribue des bons à échanger en magasin. Pas d'escalopes de poulet, de cordons-bleus ou de gésiers de volaille non plus : le Gaulois ne balance que des porte-clés, des magnets et des cocottes en peluche.

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Idem chez McCain : les hôtesses ne donnent pas de portions de patates aux bras qui se tendent. Elles jettent néanmoins au public plus de 500 000 goodies à l'effigie de la frite officielle du Tour durant les trois semaines de course.

Quel barnum !

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