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Le parcours du combattant d’Olivier N’Guessan


Olivier « Big O » N’Guessan et Raekwon.

Olivier N’Guessan, la quarantaine bien portante, est un ancien journaliste musical spécialisé dans le rap. Il a connu l’âge d’or de la presse papier dans les années 90 avec la première version du magazine RER. Entre 96 et 99, il se rendait chaque mois à New-York pour rencontrer la crème du rap américain, accompagné de son collègue et ami photographe Pascal Sacleux. Il a ensuite profité des connexions qu’il se faisait progressivement Outre-Atlantique pour développer des collaborations entre artistes américains et français. Après des soucis de santé, Olivier s’est reconverti dans l’assistance médicale en 2008 et a pris ses distances avec le milieu hip-hop. L’ex-journaliste continue cependant de recevoir des demandes de la part de labels et d’artistes sollicitant son expérience dans le rap-jeu et officie en tant que consultant auprès de la jeune génération. Ayant toujours évolué dans l’ombre, il a accepté de revenir sur son parcours et son amour pour le hip hop, une culture qui lui a permis de s’en sortir comme beaucoup d’autres, un « amour destructeur » pour lequel il a tout donné mais qui a failli lui coûter la vie.

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La jeunesse et la découverte du rap

« J’ai grandi dans les années 80 dans une cité du 15ème, la même que Tonton David et Abdel Sellou du film Intouchables. Les cités à l’époque n’étaient pas uniquement en banlieue comme beaucoup l’imaginent mais aussi sur Paris. C’était une jeunesse assez dure avec beaucoup de problèmes de délinquance, de drogues, de mortalité. Et puis le 15ème de l’époque, c’était plein de skins, Batskin et ses potes notamment, qui trainaient entre Pasteur et Montparnasse, et ça donnait souvent lieu à des affrontements.

Niveau musique j’ai commencé par piquer les disques au Monoprix du coin. J’ai eu très jeune cette curiosité qui faisait que je regardais toujours les noms des producteurs en essayant de retrouver des trucs entendus à la radio. J’avais 12/13 ans et je commençais à me construire une petite culture funk et soul. À côté de ça, mon père, Ivoirien, avait une bonne collection de disques de musique africaine. J’étais notamment fan de Sweet Mother de Prince Nico Mbarga et Ernesto Djédjé.

Je suis ensuite arrivé au rap progressivement par Sugar Hill Gang et Grand Master Flash. Mais le déclic a été de me faire bâcher par un petit blanc bec avec qui je discutais hip-hop à la sortie du collège. Il me sortait des noms que je ne connaissais pas, sans doute parce que je n’avais pas assez d’argent pour m’acheter des disques. Il venait de la partie bourgeoise du 15ème, il y avait une grande mixité sociale en 85. Vexé, je me suis juré après ce jour de ne plus jamais me faire bâcher de la sorte ! »

Les débuts dans le journalisme

« Au début des 90’s j’ai commencé à bouger en Angleterre et à acheter le magazine The Source. J’ai pris une claque en découvrant les premières éditions avec EPMD. J’ai toujours aimé lire, peu importe le sujet du papier, tout ce qui trainait je prenais. Avec The Source, je suis devenu accro, j’allais tout le temps le chercher à Ticaret et je repartais avec quelques vinyles. Après le Bac, j’ai commencé sans conviction une année d’AES, « Allongé Étendu au Soleil ». En même temps je commençais à gratter dans le fanzine Kalash is Black qui cherchait des plumes musicales. C’est là que j’ai rencontré Damien Conaré qui était à l’époque déjà établi dans le milieu de la presse musicale. Il m’a beaucoup soutenu et m’a filé de bons conseils.

Le fanzine marchait bien et de fil en aiguille je me suis crée un réseau dans le hip-hop parisien, en partie grâce aux premiers danseurs dont certains étaient dans des bandes connues. Ensuite, je suis rentré chez Blacknews où j’ai rencontré le photographe Pascal Sacleux. Après une interview d’un artiste chez BMG, un manager m’a filé le contact de Jean Éric Perrin qui lançait le magazine RER. On s’est bien entendu et il a accepté de me prendre en alternance dans le cadre d’une formation de journaliste au CFPJ. Du coup j’ai validé un niveau licence en bossant pour RER. Mais dans ma formation un peu à l’ancienne, la majorité des profs et des élèves prenaient le rap pour de la merde. Il a fallut jouer des coudes pour s’imposer. »

1996-1999 : l’âge d’or de RER

« Je suis arrivé avec plein d’idées qui se sont rapidement concrétisées. J’ai débuté avec un sujet sur la scène locale de Sarcelles. C’est dans ce cadre que je me suis entretenu avec Doc Gynéco, insignifiant mais bien coaché par Kenzy. C’est donc moi et pas Olivier Cachin qui ai fait la première interview de Gynéco, je tiens à le préciser. Avec Pascal, on allait dans les coins où certains journalistes n’allaient pas, en mode baroudeurs. Ça m’a permis de me faire un nom. Au niveau du style, j’étais dur et assez cru mais je retranscrivais ce que je voyais, sans trop d’artifices. Après ça, il y a eu le premier sujet sur New-York, je me servais des contacts que j’avais récupéré au dos des pochettes d’albums pour rencarder les premiers artistes US. En arrivant en interview, les mecs étaient surpris de tomber sur un Noir. Combien de fois j’ai eu le droit au « Damn ! You’re black ! ».

Notre but avec Pascal était de trouver les acteurs marquants de la scène new-yorkaise, et sans Internet c’était chaud. Il ne fallait surtout pas dire que t’étais envoyé par un label car les rappeurs considéraient les maisons de disques comme un employeur. Par contre, en tant que journaliste français « indé », les mecs t’ouvraient leur porte. Il y avait un travail de détective où l’on pistait des gars pendant plusieurs jours. Même si au final c’était 5 minutes d’interview et 1 minute de photos, notre patience était à chaque fois récompensée. Le journalisme rap est un travail d’investigation avant tout.

Ensuite, on a fait la rencontre décisive d’Awesome 2, deux des plus grands DJ’s du milieu qui n’ont pas jamais eu de reconnaissance internationale. Ils connaissaient tout le monde et ils m’ont mis en contact avec pas mal d’artistes. Pendant ces années, je bougeais à New-York jusqu’à trois fois par mois. RER nous payait le billet et sur place on se débrouillait pour multiplier les rencontres et les sujets. On bossait dur tout en se faisant plaisir en conférence de rédaction et on avait notre chèque à la fin du mois. Il faut savoir que c’est le magazine qui marchait le mieux au sein des Editions Du Bruit (RER avait environ 200 000 lecteurs par mois). Le magazine a coulé parce que d’autres mags du groupe étaient plus importants aux yeux des patrons. Après 99, il a été racheté et ça a été la descente aux enfers. »

Entre Paris et New-York

« À partir de 1997, je suis devenu consultant à côté de mon activité journalistique. Les artistes US manquaient de contacts pour leurs tournées européennes et j’ai commencé des collaborations sur du booking pour Das EFX, Smoothe Da Hustla, Trigga The Gambler qui avait signé le gros hit « Broken Language » ou Channel Live, les petits protégés de KRS-one.

Ensuite j’ai coordonnée des projets de collaboration entre rappeurs français et américains comme la compilation Collectif Rap 3 mixée par DJ Premier ou Ol Kainry en featuring avec Raekwon. Tout ça m’a permis de souvent bouger au mythique studio D&D, passage obligé à l’époque, j’y ai passé de super moments, avec Jeru, Afu-Ra, Craig G, Mic Geronimo, Tony Touch ou Marley Marl. »

Ses meilleurs souvenirs

« Le patron du management du Wu-Tang, Mook, était également chauffeur de bus de la MTA [la RATP new-yorkaise]. Il venait me chercher à l’hôtel avec le bus de la ville de NYC et on tapait les réunions d’équipe dedans. Bien loin du strass et des paillettes qu’on pourrait imaginer pour le Wu. Il y aussi eu cette émission de télé qui retransmettait un battle entre un Noir qui déchirait et un Blanc. Pendant que le présentateur comptabilisait les votes des téléspectateurs, Mook me demande mon pronostic. Je lui réponds direct le Noir mais là surprise, c’est le Blanc qui gagne. Mook me regarde en souriant : « Tu vois Olivier je connais le business. On est d’accord que le Noir est meilleur mais nous, les Blacks, on prend jamais notre téléphone pour taper 1 ou 2. On restera toujours à un certain niveau. Alors que dans la communauté blanche, tous les gens se sont mobilisés. »

« Je me suis bien marré avec Fox, la manageuse de MOP qui ressemblait à un mec. Un jour elle débarque avec un sparadrap dans la salle de billard du studio D&D. Lil Fame n’arrêtait pas de la vanner en disant qu’elle s’était mal rasée. La première femme que je voyais dans un milieu ultra masculin avait un physique de bonhomme, forcément. »

« L’interview d’Akinyele, auteur d’un tube de l’époque, « Put It In Your Mouth », avait été bien folklorique. Il avait débarqué en Hummer mais nous avait strictement interdit de prendre la caisse en photo, on n’a jamais su pourquoi avec Pascal… »

« Il y a aussi l’épisode « In Da Club ». Un soir, un pote me parle d’un certain 50 Cent pour un featuring avec un rappeur français. J’active mes réseaux en France mais aucun artiste ne se montre motivé même s’ils le connaissent. Quelques mois après sort « In Da Club » et tout le monde me rappelle. Je leur ai répondu qu’il fallait désormais voir ça avec Dr Dre (rires). Lors de la release party du titre à NYC, c’est la première fois que je voyais un morceau joué à 10 reprises avec les gens qui restaient debout à chaque fois. Funkmaster Flex envoyait des « Do you want more ? » très bien reçus par le public, l’ambiance était vraiment dingue. »

« J’avais booké une date de MOP en France. On se retrouve à l’aéroport mais là impossible de décoller car les mecs ne connaissaient ni l’utilité ni même l’existence du mot passeport. »

« Je me suis un jour retrouvé aux chiottes de Bad Boy Record avec Puff Daddy accompagné de son garde du corps. Protéger son dos jusque dans les pissotières, tu comprends 1/ que c’était vraiment tendu à l’époque et que 2/ les ricains ne blaguent pas quand il s’agit de business. »

« La rencontre avec la mère de Biggie, Voletta Wallace, m’avait un peu remué. Elle en voulait tellement à Puff Daddy. Elle a vidé son sac et j’étais aux premières loges. J’ai senti toute la peine d’une mère qui perd son fils pour cette culture. »

Big O entre DJ Premier et DJ Scratch

Le rap français

« Je n’ai jamais voulu avoir d’amis dans le milieu car un pote veut toujours placer quelque chose, même inconsciemment. Je trouve que le rap français a peu évolué, la preuve c’est qu’on continue de m’appeler pour coordonner des projets avec la jeune génération. Pour moi, il y a eu un problème de passation de pouvoir, un peu à l’image de la presse où les gens n’ont pas su anticiper l’arrivée d’Internet. Au niveau de la presse rap en France, à part peut être l’ABCDR du Son, t’as pas un site qui tient la route. Après, tu es le premier gars à m’interviewer sans doute aussi parce que j’ai l’image d’un mec assez dur. Les réseaux sociaux par exemple, ce n’est pas mon truc non plus, il y a trop de menteurs dessus. Internet a eu un effet positif sur les connexions mais plutôt négatif sur le travail artistique pour moi.

Après, ce qui manque au rap français et au rap en général, c’est d’une part l’humour, et de l’autre la culture de la musique. Quand tu te ballades en caisse avec Das EFX ou Raekwon tu entends pratiquement que de la soul. C’est en partie lié au fait qu’ils aient été éduqués par leur mère. La responsabilité vient aussi des maisons de disque. J’ai fait des projets où le patron du label n’avait même pas de chaîne hifi chez lui… À côté, tu as l’emprise du marketing au détriment de l’artistique avec des mecs qui vendent un disque comme si ils étaient commerciaux chez Champomy. L’amour du hip-hop est très rare aujourd’hui.

La nouvelle génération ne veut pas taffer aussi. Elle ne veut pas faire les efforts, souvent financiers, pour aller à New-York ou Atlanta rencontrer des acteurs et s’imprégner du truc. Les mecs de la rue manquent tellement de professionnalisme dans le business. Ils veulent le retour avant l’investissement. La patience est une vertu qui se perd. Les Lil Wayne et autres ont mis parfois 10 ans à construire leur succès. »

Les coups de pression

« Personnellement, ça m’est arrivé une fois avec un rappeur. J’ai réagi en bonhomme et ça ne s’est plus jamais reproduit. Mais je sais que certains journalistes qui se reconnaîtront écrivaient sous la contrainte. Parce qu’il fallait dire du bien de tel ou tel album. Ca me fait bien marrer de les voir maintenant dans certains médias parce que je les ai connu le froc baissé après le passage d’un artiste. On peut dire ce qu’on veut sur moi mais je n’ai jamais baissé mon pantalon, et c’est ce qui m’a desservi. La plupart des médias ont reçu des menaces, même très grave, à commencer par Skyrock. À RER aussi on a eu des descentes de groupes qui voulaient leur papier. La pire lettre de menace qu’on avait eu, et qui m’avait bien fait rire à l’époque, c’était un mec me traitant de mouche à merde et il avait été jusqu’à glisser une mouche morte à l’intérieur de l’enveloppe. Face aux rageux, j’avais un principe simple : quand je n’aime pas un disque je n’en parle pas. Casser pour casser ça ne m’intéresse pas car je respecte malgré tout le travail des artistes. »

Big O et Method Man

L’agression

« C’est un comble mais j’ai tellement aimé le hip-hop que j’ai failli en mourir. En octobre 2006, j’ai été agressé en sortant de chez moi avec mon fils de 6 mois dans les bras. Deux associés, dont un rappeur, m’ont tendu une embuscade après s’être planqués dans mon immeuble. J’étais partenaire de gens qui n’avaient pas la même passion que moi. On était dans une période difficile pour le hip-hop, en pleine révolution numérique. Je perdais de l’argent sur certains projets et ces gens ne l’ont pas supporté. Beaucoup se voilent la face dans ce milieu en croyant faire de l’argent rapidement et facilement. Il y avait aussi derrière cette agression de la jalousie, car j’étais le petit gars du 15ème qui avait fait son trou aux USA et qui était devenu légitime aux yeux de personnes importantes du hip-hop. On enviait ma réussite et le fait que je reste discret sur mes affaires, que j’arrive à me sortir de situations parfois mal engagées.

Au final, je suis resté hospitalisé deux ans. J’ai perdu 15% de mobilité d’une jambe et j’ai dû subir plusieurs greffes. Mes agresseurs vont payer leur connerie toute leur vie. Pendant mon hospitalisation, l’un des seuls soutiens que j’ai reçu en France est venu de Diam’s. J’avais coordonné son featuring avec Heather B – la belle sœur de KRS-One – sur son premier album. Elle connaissait les agresseurs, on n’en n’a jamais parlé mais elle m’envoyait souvent des messages. Je sais qu’on lui crache beaucoup dessus mais je tiens à la remercier au passage. C’est dans l’adversité que les personnalités se révèlent comme on dit. Et c’est à New-York que j’ai reçu le plus de soutien du milieu hip-hop. »

Aujourd’hui

« Après ma convalescence, j’ai complètement changé de voie. Je bosse depuis 2008 pour un grand groupe comme expert en assistance médicale où je gère les cas difficiles de rapatriements. À côté de ça, on m’appelle toujours pour faire du consulting pour la jeune génération et je suis aussi producteur exécutif sur certains projets. Et puis je développe quelques trucs avec des marques de fringues américaines. Voilà. »


Flamen Keuj attend de débloquer son PEL pour relancer RER. Il est sur Twitter.