Je fais partie de ces internet freaks qui ont pu assister à une expo de l’artiste-avatar la plus cool du web dans Second Life et qui l’ont suivie en dansant sur les beats Eurodance de Better off Alone, sous les néons fluos de l’un des multiples clubs de ce métavers. J’avoue même être allé déposer un cierge sur le sanctuaire virtuel qu’elle a érigé à la mémoire de feu Mt. Gox, une plateforme de transaction Bitcoins hackée et dépouillée en 2014.
Connue sous le pseudo LaTurbo Avedon, la net-artiste virtuelle et moi entretenons une amitié URL depuis quelques années. Bien qu’ayant suffisamment d’indices pour deviner l’identité du petit malin qui fait joujou derrière son clavier, je continue de faire semblant et de faire vivre ce qui m’a séduit depuis le départ : une notion de mystère à la fois trippante et pertinente. Parfois, j’aimerais oublier que je connais sa véritable « non-identité ».
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Indépendamment de ses apparitions quotidiennes dans le cybermonde, il ne sera pas rare d’apercevoir le travail – installations virtuelles ou physiques et performances en ligne – de LaTurbo dans des contextes physiques : musées, galeries et festivals de renommée internationale. On la verra même se faire offrir le rôle de la célèbre Vocaloid ボーカロイドet pop star japonaise virtuelle Hatsune Miku, le temps d’une performance à Transmediale Berlin 2016.
Certes immatérielle, elle n’en est pas moins ultraproductive. Probablement parce qu’elle n’est que très rarement AFK (Away From Keyboard). Croyez-le ou non, les idées guidant son concept sont bien plus concises et ancrées dans notre ère numérique – voire post-numérique – que les démarches créatives offertes par beaucoup d’artistes des nouveaux médias qui déblatèrent des artist statements quétaines à souhait et post-arty-poet-poet. Sorry not sorry. Leurs démarches seront peut-être parfois écrites à l’aide de artybollocks.com (c’est mal, très mal!) et serviront probablement à gratter des subventions.
Bref, vous serez sûrement frustré et agacé par la considération et l’intérêt dont peut jouir ce « rendu 3D » lorsqu’on le compare à l’estime qu’un être de chair qui se donne corps et âme à son art mettra une vie à gagner – et encore.
Alors qu’en 2016, il est plus que d’actualité de remettre en question notre allégeance aux nouvelles technologies et cette tendance pathologique à être connecté en tout temps, LaTurbo favorise un travail conçu par et pour l’internet. Remettre en question cette zone ambiguë entre le réel et le virtuel est ce que LaTurbo fait mieux que quiconque.
En effet, elle explore la dichotomie IRL-URL, ainsi que la dimension sociale en ligne et hors ligne, de la manière la plus efficace qui soit. Elle vit tout simplement en symbiose avec les réseaux. Elle est l’internet, mais contrôlée par l’humain qui l’a créée, ce qui lui permet d’avoir une aura à l’extérieur de la sphère virtuelle.
En tant qu’avatar, ses expériences dans l’espace physique sont quasi-identiques à celles dans Second Life, les jeux vidéo et les autres simulations : elles sont majoritairement virtuelles. Tout comme ses travaux présentés dans les musées ou les galeries.« Ils sont accrochés à un mur physique pour des personnes physiques, mais pour moi ce ne sont que des JPEGs, des photos de mon installation ou des pièces jointes à un courriel »,explique LaTurbo. Ses collaborateurs et collègues sont aussi immatériels pour elle, qu’elle l’est pour eux. « Malgré le fait d’être connectés avec de nombreuses personnes depuis plusieurs années dans les réseaux sociaux, nous n’existons l’un pour l’autre qu’en tant que nom défilant sur un écran. »
Enfin, concernant ses activités de gaming, un aspect central de sa pratique, Overwatch est son jeu du moment, notamment en mode compétitif. « Je continue cependant les modes raids et multijoueurs dans Destiny et World of Warcraft avec quelques-uns de mes meilleurs amis rencontrés au cours de l’exploration de ces mondes virtuels, me confie-t-elle. Beaucoup de gens voient, à tort, le jeu vidéo comme une activité frivole, mais j’apprends tellement de mes expériences dans ces univers. » Elle termine en ajoutant que les jeux vidéo et les mondes virtuels se sont toujours développés parallèlement au cinéma et au « storytelling », et qu’elle se sent relativement chanceuse d’avoir pu passer de nombreuses heures logged-in durant les premiers souffles convergents de toutes ces disciplines. Aucun doute que ce petit privilège a fortement contribué à la qualité et à la singularité de sa démarche, voire influencé son processus créatif.
Derrière ce travail de création titanesque et cette approche bien rodée, mais probablement trop heady pour les néophytes, se cache un quotidien au garde-à-vous, méticuleusement organisé et rempli d’activités créatives, mais pas seulement.Pour les plus pragmatiques d’entre vous, voici sa journée type :
Matin :
- S’assurer qu’aucun des rendus n’a crashé durant la nuit. C’est chiant mais ça arrive;
- Envoyer des courriels et chatter avec les contacts habitant en Europe et en Asie qui, eux, sont en fin de journée;
- Lancer une nouvelle série de rendus si tous ceux de la nuit sont terminés.
Journée :
- Échanger des courriels avec les contacts américains;
- Parcourir le web, regarder de l’art en ligne et traîner sur les réseaux sociaux;
- Penser et gérer toute la logistique des projets actuels et à venir.
Soir :
- Modéliser, animer et autres tâches créatives fastidieuses;
- Préparer les fichiers et les rendus de la nuit;
- Vérifier les mises à jour et réinitialisations des jeux, et planifier les parties;
- Jouer à Overwatch, Destiny et World of Warcraft.
Nuit :
- Éditer des environnements sonores et des tracks dans Ableton;
- Lancer les rendus pour la nuit;
- Envoyer des courriels et répondre à ceux provenant d’Europe et d’Asie pour avoir des réponses en matinée.
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