Fanatiques du maintien de l’ordre, admis au concours avec 3/20 de moyenne ou encore gérant de gros trafics, les surveillants de prison figurent probablement parmi les fonctionnaires les moins estimés du pays. Tous les jours au contact des personnes détenues pour des plus ou moins longues peines, ils doivent normalement participer à leur réinsertion et à leur sécurité. Mais derrière cette fiche métier étudiante se cache davantage de violence et de peur. « Il faut être fou pour faire ce métier aujourd’hui », disait l’un d’entre deux l’année dernière.
Alors, comment se sont-ils retrouvés parmi les 41 000 recrues de l’administration pénitentiaire ? Quel est leur rapport à l’autorité et à la violence ? Ont-ils déjà été violents ? Pour qui votent-ils ? Trois matons ont contourné leur devoir de réserve pour répondre aux questions de VICE.
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VICE : Vous êtes tous les trois surveillants de prison. Qui êtes-vous et en quoi consiste votre travail ?
Maria* : Je m’appelle Maria, j’ai 37 ans et je gagne 1 600 euros par mois. J’ai travaillé en détention avec des mineurs et des femmes, et je viens d’être mutée à la pose des bracelets électroniques.
Denis* : Je m’appelle Denis, j’ai 49 ans et je gagne 2 000 euros par mois. Après les coursives, je suis passé au poste de contrôle d’une maison d’arrêt où je surveille seul une soixantaine de caméras.
Sébastien* : Je m’appelle Sébastien, j’ai 42 ans et je gagne 1 800 euros par mois. J’ai travaillé au parloir avant d’être affecté aux coursives en maison d’arrêt, où je gère seul une centaine de détenus.
Est-ce qu’on peut devenir maton par vocation, ou bien c’est toujours à défaut d’être policier ?Maria : Une fois, un stagiaire nous a dit être là par vocation et on a tous rigolé. Moi, j’ai passé le concours parce que j’ai vu une publicité à la télé. Je venais d’accoucher, j’étais gérante de franchise et j’en pouvais plus des horaires. J’ai jamais voulu entrer dans la police.
Denis : Il y a une vocation de policier mais pas de gardien. C’est pas aussi excitant d’attraper les voleurs que de les garder enfermés… La plupart des nouveaux diplômés ont à peine la vingtaine. Ils sont attirés par le statut de fonctionnaire et les salaires pas trop pourris qu’on atteint avec les heures supplémentaires. Ça a été ma motivation aussi, quand j’en ai eu marre d’être chez Carrefour. J’aurais préféré intégrer la police mais à l’époque il y avait une taille minimum et j’étais trop petit.
Sébastien : J’ai toujours voulu entrer dans la police comme mon père mais quand je me suis reconverti j’étais trop vieux. Avant j’étais commercial et je n’avais jamais de vacances avec mes enfants. Aujourd’hui je ne dirais pas que j’aime mon métier, mais je ne le déteste pas non plus.
Comment avez-vous vécu vos premières heures en prison ?
Denis : Il y a un fossé entre l’école et le terrain. Moi, j’ai fait mon premier stage aux Baumettes. J’étais avec les prévenus en attente de leur procès. C’est une population sous tension donc difficile à gérer. En théorie, on réalise notre premier stage en doublure avec un agent. En pratique, dès le deuxième jour nos tuteurs nous on dit : « Démerdez-vous ».
Maria : La première fois que je me suis retrouvée face aux détenus, j’ai eu peur mais on est obligé de garder la tête haute. Au bout de deux semaines, je faisais toujours semblant alors que je ne maîtrisais rien. Puis, une fois qu’on connaît un peu mieux les détenus, la pression redescend.
Sébastien : Je n’ai pas eu de choc carcéral. Dès le stage de découverte, j’ai demandé à avoir des responsabilités car je m’ennuyais à travailler en doublure et j’ai même réalisé mes premières interventions. Je ne parlerais pas de peur mais plutôt d’appréhension.
« J’ai vu un détenu se coudre la bouche parce qu’il ne voulait pas parler au juge » – Maria
Quelles sont vos stratégies pour gérer ces appréhensions ?
Sébastien : Face à une situation compliquée, ce n’est pas la théorie de la formation qui va nous sauver. C’est plus utile d’apprendre par soi-même, par exemple en pratiquant un sport de combat. Moi, j’ai dépassé mes appréhensions en me mettant au krav-maga.
Denis : Conserver l’autorité à tout prix. Je commence sur un positionnement ultra-rigide et avec le temps, je m’assouplis.
Maria : Ne jamais montrer sa vulnérabilité. Mais avec l’expérience, on se détend sur certaines choses. À l’école on m’avait dit de ne jamais évoquer ma famille. Sauf que c’est difficile à cacher car les détenus s’ennuient donc ils passe leur temps à nous écouter. J’ai fini par comprendre que ça n’était pas un drame et qu’il fallait mieux être naturelle que psychorigide.
Qu’est-ce qui vous fait le plus peur au quotidien ?
Maria : Les cas psychiatriques. On gère énormément de personnes qui ne devraient pas être en prison. J’ai vu un détenu se coudre la bouche parce qu’il ne voulait pas parler au juge. J’en ai vu un autre se couper une phalange et essayer de l’envoyer par courrier.
Denis : Sans même parler des cas psychiatriques, il y a des tas de détenus qui sont capables de se faire du mal. On voit beaucoup de scarifications. J’ai des collègues qui ont démissionné parce qu’ils étaient tétanisés face au sang.
Sébastien : Je n’ai jamais eu proprement peur parce qu’en cas de danger, je suis du genre à foncer dans le tas. Je crois que mes craintes concernent uniquement les autres. J’ai peur d’être trop débordé et de ne pas voir qu’un détenu essaye de se pendre, par exemple.
Est-ce que vous avez déjà subi une agression ?
Maria : J’ai déjà eu peur, mais non.
Denis : Oui et bien comme il faut. J’ai essayé de maîtriser un homme qui détenait de la drogue. Il m’a projeté au mur et j’ai pris un gros choc à l’épaule. Depuis, je suis handicapé du bras droit.
Sébastien : Non, mais on se prend souvent des menaces de mort. Une fois, un détenu a menacé ma famille et là j’ai riposté.
« Tout se trafique. Une fois, un détenu m’a proposé 50 euros pour que je l’emmène à la douche avant son parloir et c’est déjà très grave »
« Riposté », c’est-à-dire ?
Sébastien : J’ai effectué une prise de krav-maga qui consiste à frapper dans le plexus. J’ai été convoqué parce qu’une caméra a filmé la scène. J’ai été soutenu par mes collègues et la hiérarchie a compris que j’avais été poussé à bout.
Denis : Il faut connaître ses limites. Moi, ce sont les délinquants sexuels, j’ai des enfants donc je ne peux pas. Une fois, un mec m’a dit : « je prendrais bien une petite fille de 6-7 ans sur les genoux… » Je l’ai frappé dans sa cellule. J’ai été soutenu par ma direction car j’ai avoué.
À l’inverse, est-ce que vous avez déjà été touchés par des détenus ?
Maria : Oui, une femme qui purgeait une très longue peine pour assassinat et qui était déchirée que ses enfants grandissent sans elle.
Denis : Je papote souvent avec un ancien détenu qui est devenu caissier à mon supermarché. Il avait commis plein de vols mais il s’est réinséré. C’est le seul que je connais qui a réussi.
Sébastien : Pas un en particulier, mais c’est vrai que j’ai été surpris de voir qu’à 80% ils nous respectaient.
En tant que surveillant, que voyez-vous des trafics dans la prison ?
Sébastien : On saisit du cannabis et des téléphones tous les jours. Il y aura toujours des collègues complices du trafic car en prison, la misère n’est pas que du côté des détenus.
Denis : Tout se trafique. Une fois, un détenu m’a proposé 50 euros pour que je l’emmène à la douche avant son parloir et c’est déjà très grave. Pour le reste, c’est comme à l’extérieur mais en plus cher : 50 euros le paquet de cigarette, 200 euros le flash d’alcool…
Maria : J’ai tout vu : un hamburger dans le soutien-gorge d’une fille, un préservatif rempli de shit et de tabac… Je ne tolère rien, sinon je sais que je peux vite être dépassée.
Pour finir, parlons politique. Que devrait faire le gouvernement pour améliorer le sort des prisons ?
Denis : Instaurer un dialogue entre les agents et les directions car personne ne nous écoute. Je pense que les politiques ont la trouille de mettre vraiment en place des réformes. Pour ma part j’ai voté blanc en 2017 car je vote plutôt à gauche.
Maria : Je vote bien à gauche, et j’ai aussi voté blanc à la dernière présidentielle. Je pense que le gouvernement devrait embaucher du personnel car tous les problèmes viennent de là.
Sébastien : J’ai toujours voté à droite et pour la première fois en 2017, j’ai voté Le Pen car la thématique de la sécurité compte beaucoup pour moi. Je pense que tout irait mieux si le gouvernement revalorisait nos salaires. Le métier serait plus attractif alors que là, au recrutement, on se ramasse le fond du panier. Beaucoup d’agents trempent dans les trafics et ont des problèmes d’addictions.
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