Allongé sur un transat, tongs et peignoir gryffondor, Damien profite d’une pause bien méritée. Entre deux parties de Worms et Fall Guys, il lance un épisode de Assassination Classroom avec Antoine, son ami et voisin de rangée. À 32 et 31 ans, les deux joueurs sont des habitués de la Gamers Assembly. Depuis presque dix ans, ils se retrouvent chaque année avec leur bande de potes pour profiter de ces trois jours de vacances. Le temps d’un week-end, les immenses hangars jaune et rouge du Parc des Expositions de Poitiers se transforment alors en une gigantesque colonie où les interminables rangées d’écrans et de tours RGB se mêlent aux milliers de joueurs dans un vaste et joyeux chaos.
Dans une telle foire, pas facile de savoir par où commencer. Tout le week-end, près de deux mille participants s’affrontent dans des compétitions de League of Legends, Valorant, Rainbow 6 ou encore Teamfight Tactics. Ce grand rassemblement de joueurs autour de cette passion commune est ce qu’on appelle une LAN, ou tournoi en réseau local. À l’époque où les ordinateurs étaient moins performants et les connexions internet plus douteuses, la LAN était une des rares façons pour les joueurs de montrer leurs capacités – et surtout jouer ensemble. Aujourd’hui, l’esport s’est professionnalisé et les grandes compétitions se déroulent désormais dans des stades devant des millions de spectateurs à travers le monde. Pourtant, ce genre d’événement comme la Gamers Assembly perdure. Par nostalgie, pur plaisir du jeu et de la rencontre ou pour essayer de se faire un nom dans le milieu. Toutes les raisons sont bonnes pour participer.
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Après quelques heures de trajet en voiture – écrans et tours de PC dans le coffre – les joueurs s’installent dans les longues rangées de bureaux en plastique. Au fil des matchs, les cris de victoire viennent interrompre le brouhaha général et rythment ces longues journées de compétition. Au milieu des groupes de joueurs qui se déplacent en troupeau et les visiteurs qui déambulent l’air hagard dans l’espoir d’apercevoir un streameur un peu connu, commence notre expédition.
Au beau milieu de la confusion générale, un lieu un peu particulier se démarque par son ambiance un peu plus tranquille et posée. Un petit coin dans lequel se sont justement installés Damien et toute sa bande de potes. Ici, c’est la zone des joueurs libres. Aucune obligation ou programme à respecter, chacun est libre de suivre ses envies. De la première partie de beer-pong sur le parking le vendredi soir au dernier match improvisé de Counter-Strike le lundi après-midi. Le temps d’une pause, on va piocher quelques bières dans une grande glacière calée entre le bureau et le sac de couchage. Malgré la chaleur et une certaine odeur de transpiration qui monte au fil de la journée, on garde l’agréable impression d’être à la fois au cœur de la Gamers Assembly et en pleine anomalie. Car il ne faut pas l’oublier, la majorité des joueurs présents sont là pour la compétition.
Tout au fond du grand hangar rouge, un jeune joueur de 20 ans découvre pour la première fois cet événement. Après deux ans de crise sanitaire à jouer derrière son écran, « BMS » se sent pousser des ailes aux côtés de ses coéquipiers de l’équipe Pandore. « Il y a quelque chose de très concret, presque viscéral dans le fait d’être sur place, raconte en souriant le jeune joueur de Rainbow 6. Le fait de voir nos adversaires, de pouvoir leur parler, ça donne encore plus envie de les battre. Si on avait joué en ligne, on se serait sûrement fait fumer. »
Après avoir éliminé quelques équipes de haut niveau, ils réussissent à se hisser jusqu’en demi-finale. Le match est serré. Tout va se jouer sur la dernière manche. Lorsqu’arrive enfin la victoire, l’un de ses coéquipiers hurle à ses adversaires : « Allez ça dégage, rentre chez toi ! » Rien de bien méchant, il paraît que c’est une tradition d’insulter cordialement ses adversaires sur tous les jeux FPS. « Il fallait voir les compétitions sur Call of Duty il y a quelques années, précise Damien croisé par hasard, ça c’était quelque chose. On a même déjà vu des gens casser leurs bureaux. Aujourd’hui, les joueurs sont quand même un peu plus sages. »
Avec ses airs de camps de vacances, on pourrait se dire que la Gamers Assembly est un événement comme un autre. Un parc d’attractions pour joueurs en manque de sensations. Pourtant, l’événement est encore aujourd’hui un haut lieu de l’esport ; ou plutôt l’antichambre de la scène compétitive française. En plus de vingt ans d’existence, la Gamers Assembly a vu passer tous les grands champions de l’esport français, que ce soit sur Starcraft, Call of Duty ou League of Legends.
« Pour l’instant, j’en ai pour plus de 1500 euros mais c’est un peu comme si je payais mon week-end au parc d’attractions avec toute la famille » – Charles
En effet, il n’existe pas de prérequis pour pouvoir participer à une compétition. Il suffit de payer sa place, entre 40 et 60 euros, et n’importe qui peut espérer remporter les récompenses des nombreuses compétitions, allant de quelques centaines à plusieurs milliers d’euros. Alors, pour de nombreux jeunes espoirs français qui rêvent de devenir pro, participer à cette LAN est presque un passage obligé. L’opportunité de se faire un nom dans le milieu et, pourquoi pas, de battre ses idoles. Sans oublier que la Gamers Assembly est aussi une étape importante de la compétition de League of Legends : l’Open Tour France, la ligue 2 du championnat français.
Pour ne pas rater ce rendez-vous, Charles a bien été obligé de donner de sa personne. Lorsque les joueurs de son équipe se sont retrouvés sans structure à quelques semaines de la compétition, le jeune manageur de 24 ans a tout financé de sa poche pour rendre les choses possibles. Transport, nourriture, logement… « J’essaie de ne pas trop regarder le compte en banque, sourit le jeune homme, confiant. C’est un tournoi important, donc il fallait qu’on puisse respecter notre engagement. Pour l’instant, j’en ai pour plus de 1500 euros mais c’est un peu comme si je payais mon week-end au parc d’attractions avec toute la famille. »
Après quelques belles performances, l’équipe des Golem finit malheureusement par rendre les armes. Malgré le soutien de Charles, de toute son équipe d’encadrants et les nombreux fans venus les encourager, un hurlement victorieux à l’autre bout de la salle sonne la fin du tournoi. Les bras croisés et la mine grise, ils attendent sans un bruit que leurs adversaires viennent les féliciter d’une poignée de main. Une tradition dans l’esport.
« Au départ, on y va un peu pour la blague mais il y a une telle ambiance qu’en fait on est trop à fond. On a presque perdu notre voix à force de trop crier » – Antoine
Quand certains espéraient toujours faire mieux, d’autres s’amusent de leur fulgurante défaite. « De notre point de vue, c’était plus marrant de s’inscrire à un vrai tournoi plutôt que de rester avec les joueurs libres, explique Florent, 21 ans et le plus jeune d’une bande d’amis venus de La Rochelle. Il y a plus de pression, d’adrénaline… Bon après nous on avait un niveau de touristes. Au moins, on a joué et on a confirmé qu’on était bien mauvais. » Au fond du hangar jaune, les cinq membres de l’équipe Impulsion, inscrits dans la compétition de Counter Strike, ne s’en font pas trop. Bien sûr, tous les joueurs qu’ils soient confirmés, amateurs ou débutants, ont envie de gagner. Mais la fin de la compétition ne signifie pas pour autant que le week-end est terminé.
Dehors, quelques centaines de joueurs et visiteurs viennent prendre l’air. Sous un beau soleil et la caresse d’une douce brise de printemps, les plus jeunes savourent des glaces à la menthe allongés dans l’herbe. Les autres sont déjà passés à la bière. Quelques visiteurs plein d’énergie échangent des coups avec leurs nouvelles armes achetées pas loin, au stand de goodies. Très vite, la foule éparpillée commence à prendre forme et se dirige lentement vers la grande scène. À l’oreille, on me souffle qu’une des plus importantes compétitions du week-end est sur le point de se lancer.
Je m’installe sur l’une des chaises bleues devant la scène, très vite rejointe par une dizaine de jeunes gens, pull orange criard et casquette noire flanquée d’un énorme logo du nom de leur association. Soudain, je me rends compte que je suis entourée des jeunes bénévoles – et cheerleaders – de Silver Geek, une association qui organise des compétitions de jeux vidéo entre les différents Ehpad de France. Un rendez-vous immanquable pour de plus en plus de retraités qui veulent décrocher le titre de champion de bowling sur Wii.
Entourée de tap tap et instruments de supporters en tous genres, je découvre alors une compétition où Claudette aussi appelée « Poussin jaune » affronte Michel, retraité local et grand favori du public. Non loin de moi, je retrouve encore une fois Damien et Antoine qui s’époumonent pour soutenir les deux compétiteurs. « Au départ, on y va un peu pour la blague mais il y a une telle ambiance qu’en fait on est trop à fond. On a presque perdu notre voix à force de trop crier. » Il faut bien l’avouer, ces vieux esportifs ne sont pas trop mauvais pour enchaîner les Strikes. Quelques problèmes techniques viennent toutefois agacer Michel qui râle après sa manette. Dans le public, une tendre moquerie se mêle alors aux encouragements.
Après le couronnement de Jean-Louis, la grande scène laisse place à un autre style de compétition, celle des jeux de combat. Pour la grande finale de Tekken, Fuhito, un petit prodige de 19 ans, affronte l’ancien joueur pro et célèbre animateur de télévision, Gen1us. Les coups s’échangent et le match est serré. Dans le public, on profite des commentaires d’une bande de potes hilares qui détaillent toutes les erreurs de leur ami Fuhito. Pires que des vieilles commères corses, ça charrie, ça rigole et ça s’éclate devant ce match plein de rebondissements.
« La Gamers Assembly a été un tournant dans ma vie, raconte Gen1us après une heureuse défaite. C’est là que j’ai fait mes débuts et je reviens chaque année. Même si la scène compétitive s’est professionnalisée au fil des années, on vient toujours chercher ce côté famille, ce côté à l’ancienne qu’on retrouve ici. Je ne viens pas pour le boulot, pas pour gagner d’argent. Généralement je viens juste pour profiter de ce moment de fête. »
Dehors, la nuit commence à tomber. Les joueurs et équipes les plus sérieuses décident de rentrer à l’hôtel ou dans leur location pour un peu de repos. Demain, la compétition continue et il n’est pas question de throw. Seul avec son sac de couchage, Corentin attend patiemment l’ouverture du gymnase du collège d’à côté pour pouvoir se reposer. Sans les moyens de se payer une grande chambre d’hôtel, il passera la nuit dans le grand bâtiment. Ça fait des mois que le joueur de 19 ans s’entraîne pour participer à son premier tournoi de FIFA et il souhaite être en forme. À 23 heures, quand le gymnase s’ouvre enfin, il est le premier et le seul à rentrer se coucher.
Une fois les joueurs compétitifs rentrés, les choses sérieuses commencent dans la zone des joueurs libres. Si certains ont tellement tout donné et dorment déjà profondément sur leur bureau, ou dessous, ou même enroulés dans leur sac de couchage dans un recoin de l’immense salle… d’autres se lancent à soixante dans des parties endiablées de Fall Guys. Toute la nuit, on lance des compétitions de Mario Kart commentées, des parties de Just Dance ou de jeux indépendants plus improbables les uns que les autres.
En pleine nuit, la légende raconte qu’on aurait même retrouvé un photographe et sa journaliste en plein tournoi de Worms et de Teamfight Tactics. Délaissant quelques instants leur appareil et leur carnet pour aller se frotter à la compétition. Au petit matin, les cernes se dessinent sous nos yeux mais autour de nous se dégage toujours la même atmosphère un peu hors du temps.
Sur place, on se rend quand même bien compte que cette édition était un peu particulière. Après deux ans d’annulation et un week-end chargé d’autres événements majeurs comme le stream caritatif Speedons, la plus grande compétition de Smash Bros Ultimate aux Etats-Unis et même un festival de manga en Suisse… Moins de joueurs ont répondu à l’appel.
« C’est un retour un peu timide mais je pense que beaucoup de joueurs attendaient de voir comment ça allait se passer, confie un membre de l’organisation. On a aussi eu un peu moins de têtes d’affiche mais il faut espérer que ça reparte de plus belle l’année prochaine. »
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