Tyre Extinguishers est un groupe activiste international qui dégonfle les pneus des SUV. Pourquoi ? Pour tirer la sonnette d’alarme. « Les SUV et les 4×4 sont un désastre pour l’environnement, notre santé et la sécurité routière. Les grosses voitures dominent nos villes, tout cela pour permettre à quelques personnes privilégiées d’étaler leur richesse. » Selon ses membres, si le gouvernement et les politiques n’ont pas réussi à nous protéger de ces envahisseurs, c’est aux citoyen·nes de « prendre les choses en main ».
Le collectif veut rendre « impossible la possession d’énormes 4×4 polluants dans toutes les zones urbaines du monde ». Comment le groupe s’y prend ? Les activistes utilisent un petit objet pour presser la goupille du bouchon de valve d’un SUV, de sorte que le pneu se dégonfle lentement au fil du temps, et laissent des tracts sous les essuie-glaces pour que les propriétaires soient informé·es que leur voiture est inutilisable. Le papier présente aussi une explication sur les raisons de l’action. « Ce n’est pas vous, c’est votre voiture. »
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Le nom « Tyre Extinguishers » est évoqué depuis 2021, mais le groupe n’est passé réellement à l’action qu’en mars 2022. En Belgique, cette propagande par le fait a commencé un an plus tard dans des grandes villes comme Bruxelles et Gand.
VICE a rencontré l’un des pionniers à Gand, ainsi que deux autres activistes, pour en savoir un peu plus sur leurs objectifs, leur vision de la chose et leur demander pourquoi ils ne s’attaquent pas aussi aux compagnies.
Bert* (âge non communiqué)
VICE : Vous avez commencé quand ?
Bert : On a fait un essai en début d’année. C’était surtout pour déterminer comment on allait procéder et avec quelle facilité on pouvait le faire. Aujourd’hui, le moment est venu d’appliquer les leçons tirées de nos premières actions. On va continuer, mais en faisant quelques ajustements.
Vous avez appris quoi de cet essai ?
La prudence. Le risque de se faire prendre par la police et de recevoir une amende ou un truc du genre. Y’a aussi le risque que des citoyen·nes nous prennent sur le fait et nous menacent ou deviennent violent·es parce qu’on touche à leurs biens « de valeur ». On en a déjà fait l’expérience. Quelqu’un nous a vus de sa fenêtre et nous a crié dessus ; on a tracé. Du coup, on a décidé d’instaurer des règles, comme celle de ne dégonfler les pneus que du côté du trottoir. Et, bien sûr, la répartition des rôles. Qui dégonfle quoi, qui surveille, etc.
C’est quoi votre but exactement ?
L’objectif c’est de sensibiliser les gens, y’a encore beaucoup d’ignorance sur le sujet et sur les actions. On espère que ça aboutira à un débat et que ça amènera les gens à se demander ce qui ne va pas avec les SUV. À notre avis, la publicité pour ces véhicules devrait être interdite parce qu’ils sont nocifs. Les 4×4 devraient être chassés du paysage urbain et les gens devraient réfléchir à deux fois avant d’acheter un tel véhicule ou de le conduire dans le centre-ville. Il est impératif que les responsables politiques se sentent obligé·es de prendre de nouvelles mesures. Les constructeurs automobiles devraient aussi se rendre compte que ces véhicules sont dépassés. On est dans une situation d’urgence climatique, faut pas l’oublier.
Pourtant, vous ne visez que les conducteur·ices de SUV et de 4×4. Vous pensez pas que les constructeurs automobiles, les politiques ou, comme tu l’as mentionné, les publicitaires ont, à leur niveau, plus de responsabilités ?
Bien sûr. C’est précisément pour ça qu’on exige une action gouvernementale. Les constructeurs devraient en effet être le premier groupe ciblé, mais ça ne se fera pas tout seul, pas automatiquement. L’objectif c’est de faire pression sur le gouvernement pour qu’il mette un frein aux SUV, ou du moins qu’il les réglemente – désavantages fiscaux, places de parking, interdiction de publicité, etc. Mais t’as raison, les constructeurs ne sont pas directement visés par nos actions.
« On a tou·tes un passé d’activiste climatique et de manifestant·e en mode pancartes, mais ça n’a pas beaucoup de poids. »
Dégonfler des pneus, c’est donc une bonne action ?
Pour nous, oui ; on trouve que le rapport effort/résultat est bon. Ça demande peu d’efforts de notre part, et l’impact est souvent immédiat. Regarde à Lyon par exemple, le stationnement est devenu plus cher pour les voitures plus lourdes. On pense que nos actions jouent un rôle dans ces décisions. Les consommateur·ices commencent à réfléchir, à réaliser qu’il existe un lien direct entre le changement climatique et les émissions de CO2 de ces véhicules. Nos actions sont plus claires pour les gens que celles d’autres activistes qui jettent de la soupe sur des tableaux. Le lien de causalité n’est pas évident. On a tou·tes un passé d’activiste climatique et de manifestant·e en mode pancartes, mais ça n’a pas beaucoup de poids. C’est l’action directe qui compte.
Comment gérer les discours de haine ?
L’interdiction de fumer dans les bars et les lieux publics a suscité beaucoup d’opposition aussi. Mais on ne peut pas ignorer le fait que c’est bénéfique pour la société. C’est pareil pour nos actions.
Vous êtes généralement contre l’usage de la voiture ?
Non. On est conscient·es qu’il y a des gens qui achètent des SUV pour leur confort, comme des personnes âgées ou des personnes moins mobiles. On veut absolument pas que les SUV soient complètement interdits. Dans certains cas, ces véhicules peuvent être très utiles. Enfin, on peut aussi discuter de ce qu’on fait de mal sur le plan juridique. On va un peu dégonfler un pneu, on ne cause pas de dommages permanents. D’ailleurs, tu peux très facilement le réparer temporairement à l’aide d’une pompe à vélo. Même si oui, y’a de fortes chances que tu doives passer par le garage. On veut leur rendre la vie plus difficile.
Benny* (âge non communiqué)
VICE : Ta première action à Gand date de quand ?
Benny : Le 4 janvier.
Pourquoi tu penses que c’est la meilleure solution ?
Parce que ça marche, y’a des plaintes qui viennent de partout à cause de ces SUV. Je pense qu’on joue un rôle utile en incitant le gouvernement à les interdire.
Mais vous vous attaquez aux gens qui en possèdent avant tout.
Bien sûr, les constructeurs ont une grande responsabilité, mais ils mettent en avant la demande des consommateur·ices et déplacent la responsabilité. Nos actions aujourd’hui, c’est surtout un signal pour les consommateur·ices et les autorités politiques. Si les consommateur·ices prennent conscience des effets néfastes de ces monstres et que le gouvernement les interdit dans les villes, les fabricants seront dans l’obligation de changer de cap.
Comment tu réagis face aux réactions négatives ?
Sans polarisation, on ne peut rien changer à la société. C’est un mal nécessaire.
Pendant une action, t’as peur de te faire prendre ?
Oui, personnellement, j’en ai assez peur. Je voudrais pas que quelqu’un se fasse frapper. Je crains que dans ce cas, on n’ait vraiment aucune défense. Juridiquement, notre agresseur serait en tort, mais les coups seraient déjà tombés. J’ai participé à la première action, mais pas à la deuxième ni à la troisième. La prochaine fois, je vais participer. Ce qui me retient, c’est purement lié à la peur.
Pourquoi tu veux recommencer ?
Si t’oses pas sortir de ta coquille, tu pourras jamais changer les choses.
« J’ai deux enfants qui vont à l’école en vélo tous les jours, et je vois ces grosses bagnoles qui circulent dans le centre de Gand… »
Vous espérez que d’autres gens vous suivent ?
Oui, j’espère que tout le monde commencera à faire des trucs comme ça. Y’a un an, de la peinture (lavable) a été pulvérisée sur quelques SUV, mais ça ne venait pas de notre collectif. C’étaient d’autres gens qui avaient géré ça, et c’est toujours agréable à voir.
Outre la question du climat, qu’est-ce qui vous préoccupe dans les SUV et les 4X4 ?
La sécurité routière. J’ai deux enfants qui vont à l’école en vélo tous les jours, et je vois ces grosses bagnoles qui circulent dans le centre de Gand… C’est beaucoup trop gros. Et les pubs pour les voitures sont toujours aussi machistes, ça me dérange.
T’as une voiture ?
Oui.
Elle pollue moins qu’un SUV ?
J’en sais rien. J’ai l’impression que je devrais m’excuser. C’est la première voiture que j’ai achetée dans ma vie et ce sera aussi la dernière. Et c’est pas un SUV !
Ouais, ce serait très hypocrite sinon.
Oui, c’est vrai. Je suis pas contre les voitures en général. En soi, on a besoin de voitures pour aller travailler. On veut pas empêcher ça. Le gouvernement devrait veiller à ce que les transports publics soient optimaux pour que les voitures soient de moins en moins utilisées. Si t’achètes un SUV pour te la péter et jouer les gros machos, tu mérites une gifle.
Frederik* (âge non communiqué)
VICE : Vous avez beaucoup de membres à Gand ?
Frederik : Je pense qu’on est une dizaine. Quand on part en action, on est divisé·es en petits groupes. On communique par le biais de canaux cryptés, comme Signal.
Pourquoi tu penses que ces actions constituent la meilleure solution ?
Je pense pas que ce soit la meilleure solution, c’est pas ce qu’on dit. Nous, on veut juste réveiller les politiques, les gens et les chefs d’entreprise sur les conséquences de la production de telles voitures.
Tu penses qu’il faudra beaucoup de temps avant que les politiques ne fassent quelque chose à ce sujet ?
À Gand ? Non. Je pense qu’il faudra quelques années, voire quelques mois, avant que de nouvelles mesures ne soient introduites. Ce sera probablement des mesures subtiles, comme une augmentation des prix.
« Les gens doivent prendre conscience de l’urgence de la situation. »
La cause climatique nécessite des actions plus violentes contre la menace croissante ?
Non, absolument pas. On a surtout besoin de créativité et d’actions plus fortes. Les gens doivent prendre conscience de l’urgence de la situation.
Vous espérez que la pratique s’étende au-delà du collectif ? Qu’une personne ordinaire suive votre exemple ?
Oui, mais c’est important de travailler en groupe. Et que les gens connaissent le récit sous-jacent et les dangers de ces actions.
Tu participes à d’autres types d’actions ?
Oui, en tant qu’activiste climatique. Je participe régulièrement à des actions avec certains groupes, comme Code Rouge. L’essentiel, c’est que ce soit non violent et qu’on puisse faire valoir notre point de vue en ciblant des entreprises ou certaines situations.
*Les noms ont été changés afin de protéger l’identité des personnes en question.